Commençons par constater que l'erreur souvent commise lorsqu'on rencontre une personne est de trop s'attacher à l'image que l'on s'est faite d'elle, car si tel était le cas, l'instauration d'un véritable dialogue, c'est à dire d'un échange entre deux individus, se révèlerait plus difficile, voir impossible à établir, car nous ne pourrions dès lors que tenter de faire correspondre avec cohérence la réalité observée et l'image conçue par notre esprit, sans pouvoir pénétrer la signification de chaque acte ou de chaque parole avec authenticité ; je deviens dupe de moi-même dans la mesure où ce n'est plus avec la personne que j'entre en contact, mais avec l'image que mon esprit s'en est conçue. Il ne s'agit plus d'un dialogue, mais d'un monologue, puisque je ne suis plus que seul avec moi-même.
Cela se produit lorsque notre ego tente de placer les gens dans des catégories ; car toute catégorie a pour vocation de situer dans un cadre plus général, tandis que le général n'existe pas mais seul demeure le particulier. En effet, si je trouve une personne stupide, intelligente, petite, grande ou grosse, c'est toujours parce que je tente de la positionner en regard d'une réalité conceptualisée ; parce que je fais de cette personne l'objet d'une comparaison. Les catégories n'ont en effet de lieu d'être que si les comparaisons ont lieu d'être.
Mais une comparaison entre deux objets, si elle permet de mettre en évidence ce que l'on appelle des différences n'est possible que si l'esprit qui s'y exerce reconnaît un point commun sous-jacent entre les deux objets à comparer, c'est à dire si l'esprit aura auparavant situé les deux objets dans un même concept qui les contient tous deux, et c'est étrangement au nom de cette similitude que les "différences" vont se manifester. Je ne peux par exemple comparer le volume de deux objets que si je les ai auparavant reconnus tous deux comme appartenant au concept "corps", c'est à dire comme des objets situés dans l'espace. On remarquera que, dans le cadre de cette comparaison, le concept de "volume" ne prend de sens qu'en rapport au concept de "corps" ; il en est le pendant, c'est à dire que s'il n'y a pas de corps, il n'y a pas de volume.
Nous pourrions dors et déjà constater que la pensée par catégorie contient sa propre réfutation, car si par exemple je place un homme dans la catégorie "grand", cela ne peut être que parce que je le compare avec plus petit que lui. Mais si par exemple je le comparais à un objet plus grand que lui ? Je dirai sans doute qu'il est petit ! Cette relativité des catégories montre bien leur inconsistance.