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Il est plus que temps de réaliser le voeu de Voltaire : Écrasons l'infâme !


par André Léo  -  1899





André Léo (1824-1900) est le pseudonyme littéraire de Léodile Champseix, romancière, journaliste engagée et féministe française. Ecrit dans un contexte de préparation de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, ce texte, dont le titre est inspiré de la déclaration de Sieyès le 10 juin 1789, est une charge virulente contre le catholicisme, l'emprise funeste de la religion sur les esprits, son rôle dans la politique, les Jésuites,... et un plaidoyer pour la laïcité.
Plus d'un siècle après il garde toute sa pertinence.

Un texte rare à découvrir absolument.






Il est plus que temps de réaliser le voeu de Voltaire : Écrasons l'infâme.

Il est plus que temps de débarrasser la Vie des exploiteurs de la Mort ! - De délivrer l'homme de l'esclavage et de l'obscurantisme. - Le Vivant de la Momie primitive !

Assez de barbarie ! - En marche pour l'Ère nouvelle !




   I

Religion signifie lien entre les hommes par le fait d'une croyance commune.

Il y a cependant un grand nombre de religions ; mais pour chaque groupe de croyants, il n'y en a qu'une, la sienne, qu'il nomme par excellence : La Religion !

La source de ces conceptions chez l'homme est le besoin de croire, qui s'éveille avant de pouvoir connaître. C'est l'imagination précédant la réflexion et le savoir ; supposant ce qu'on craint et ce qu'on désire ; personnifiant les forces de la Nature, le bien et le mal. Cette tendance générale fut précisée et codifiée par certains intelligents, variant du poète à l'illuminé, de l'éducateur à l'ambitieux, du rêveur au fourbe.

Il en résulta l'institution de systèmes religieux et politiques, liés naturellement l'un à l'autre en vue d'un ordre public, placés sous l'invocation des puissances occultes, que l'on croyait devoir exister, à cause des procédés réguliers et concordants de la Nature.

- De qui procèdent l'ordre et la régularité ?

- De l'intelligence, de la volonté.

- L'homme a de l'intelligence, de la volonté ; pourtant, il est incapable d'avoir créé et organisé le monde terrestre et céleste. Qui donc l'a pu faire ?

- Des êtres bien supérieurs à l'homme, il n'y a pas à en douter !

Ils ne se dirent pas, simples qu'ils étaient, que l'ordre et la régularité n'existent dans la Nature que parce qu'ils sont les conditions de la vie ; et que sans eux la vie ne pourrait exister.

Les religions officiellement connues, pour ne parler que des principales, remontent à une antiquité reculée. Ce sont le Paganisme, le Brahmanisme, les mythes égyptiens, la Bible, ou Livre Juif, et le Boudhisme. Celles-ci ont donné lieu à toutes les autres de l'Ere Moderne, comme si la supposition de l'existence des Dieux n'eût pu naître qu'aux premiers temps de l'espèce humaine, et, naturalisée par l'accoutumance, y dut chercher ses racines ? Le Christianisme, dont le développement date des IVe et Ve siècles, est fondé sur la Bible. Le Mahométisme, au VIIe siècle, s'y rattache par tradition. Et au XVIe siècle, le Protestantisme n'est que la réforme des abus et des excès du Catholicisme, qui crut devoir se qualifier universel, du moment où il fut scindé. D'autres croyances diverses, peu nombreuses en adhérents, portent le nom de sectes. Le Fétichisme, qui attribue une sorte de divinité et une influence heureuse ou malheureuse à certains objets, fut la première de ces superstitions, et dure encore parmi les tribus sauvages.

La loi de cause et d'effet, si vaste, si précise et si générale dans la nature, dominait invinciblement l'esprit de l'homme primitif. Il bâtissait sa demeure ; il s'y préparait un lit de feuilles sèches. Il lançait la pierre de sa fronde aux animaux qu'il destinait à sa nourriture ; mais assurément ce n'était pas lui qui avait allumé le soleil et les étoiles et construit la voûte des cieux !

Aussi fit-il, de la nature même des choses, une résultante de l'esprit et de la volonté ; et voyant l'eau couler sur la pente, l'oiseau s'élever dans l'air, il en fit hommage à des êtres conscients ; après quoi, il acheva de produire ces êtres en leur donnant un nom : ce furent les Dieux ! Et il en rêva, et même leur parla, en élevant ses yeux vers le Ciel.

Cependant, il ne les voit pas !... Où sont-ils ?

Alors, une autre idée, ou plutôt une autre supposition, s'ajoute à la première : - Il y a des choses apparentes, sensibles, palpables ; et d'autres qui existent aussi, et que pourtant on ne peut ni voir, ni toucher ! On peut voir et toucher le bois, la pierre, la terre, l'outil, en faire ce qu'on veut. - Cela, c'est la matière. - Mais le son qui passe, la parole qui charme, avertit, parfois épouvante.... qui fait frémir le corps sans le toucher !... la pensée, encore plus subtile, qui voit sans les yeux, crée le fait avant qu'il se produise, conserve le souvenir... le sentiment, qui remplit l'homme et le passionne, le rend délirant de joie ou de fureur, le transporte hors de lui-même, ou le berce doucement,... tout ceci n'est point de même nature !... Cela est plus haut, plus puissant ! Cela possède l'homme, au lieu d'en être possédé. Cela, c'est l'Esprit ! L'Esprit domine la matière. L'Esprit est Dieu ! Et les Dieux sont des Esprits. C'est pour cela qu'on ne les voit pas ! Immatériels, Immortels, ils habitent les Cieux immenses. Ils disposent du temps, de l'espace, de la nature et de toutes choses, comme du sort des hommes !

Mais pourquoi ne se laissent-ils pas voir ? Pourquoi ne parlent-ils pas ? Puisqu'ils ont créé l'Humanité, sans doute, ils s'occupent d'elle ? Ils peuvent l'aimer et la secourir ! - O Dieux puissants ! Aidez-nous ! Secourez-nous ! Ne soyez pas insensibles à nos souffrances ! Guérissez nos maladies ! Ecartez de nous votre tonnerre ! Faites tomber la proie dans nos filets. Nous vous saluerons et vous bénirons dans nos festins ! Votre gloire sera vantée sur la Terre ! Montrez-nous enfin votre face ! Et faites-nous entendre votre voix !

"N'est-ce pas une chose étrange que les maîtres du Ciel et de la Terre, qui possèdent une puissance sans bornes, dédaignent ainsi leurs créatures ? Combien il eût été beau d'entendre retentir sous la voûte céleste la parole divine aux sons éclatants, suaves, ou terribles, dispensant aux hommes les conseils de l'éternelle sagesse, qui eussent enflammé toutes les âmes, fortifié toutes les faiblesses !... Que de fautes évitées ! Que d'erreurs détruites ! Que d'affreuses douleurs épargnées aux malheureux humains ! Si les Dieux sont les pères de l'humanité, comment peuvent-ils lui refuser leur aide, qui la sauverait ?»

Tout cela était évident ; mais on eût dit que les Dieux ne comprenaient pas ; car ils restaient muets, immobiles, et comme indifférents aux souffrances de l'homme, qui pourtant les invoquait désespérément, dans ses crises morales comme dans ses maladies. - Etaient-ils donc sourds aussi ?

Il y avait bien, çà et là, quelques sages, ou prétendus tels, qui donnaient à l'occasion des conseils, indiquaient le bien, ou le mieux, apaisaient les différends. Mais ce n'étaient que des hommes ! Et leur savoir était contesté ! Ils se trompaient quelquefois. Que savait-on, quand nulle connaissance n'existait encore ?

Quelques-uns prétendaient que la vue des Dieux si grands, si éclatants, incendierait l'homme chétif ! que leur parole eût foudroyé son cerveau débile. Déjà leur tonnerre ne suffisait-il pas à terrifier les pauvres humains !

Les Dieux furent enfin touchés de ces désirs curieux et sincères. Un jour, un orage violent éclatait sur la montagne. Et bientôt après on en vit descendre un solitaire, un sage respecté. Les cheveux hérissés, la face délirante, il se présente au peuple et d'une voix émue, lui fait ce récit [1] :

"Au sommet du mont, parmi les éclairs et les tonnerres, il avait entendu sortir, d'un buisson ardent de mille feux, une voix divine, qui lui avait communiqué ses lois, en le chargeant de les transmettre au peuple !"

Il n'avait pas achevé que déjà le peuple s'était prosterné pour les entendre !

Et les tables de la Loi, sous la dictée du sage, avaient été écrites, puis renfermées dans un sanctuaire. Un des premiers articles était l'institution d'une tribu sacrée, ointe de certaines huiles, sacrées également, laquelle tribu, inspirée des Dieux, leur servirait d'intermédiaire avec l'homme.

La royauté divine était fondée ! Elle avait ses lois et ses interprètes !

Ce fut une joie folle et des réjouissances publiques !...

Aux jours où nous sommes, tant de crédulité parait impossible ! - Elle est historique ! - C'était aux premiers temps connus, à quelque 50 siècles de distance actuelle - Mais ne trouverait-on pas encore, en des coins isolés, des crédulités pareilles ? - Que dis-je ?... Ces crédulités même ne nous sont-elles pas enseignées à tous dès l'enfance ? Et la ténacité sacerdotale n'a-t-elle pas accompli ce miracle, vrai, quoique incroyable, de propager et d'infuser, depuis tant de milliers d'années, l'insanité native des primitifs dans le cerveau des hommes d'aujourd'hui ?...

L'homme naît enfant, le cerveau débile ; mais plein d'innéités qui ne demandent qu'à se développer en pleine lumière ; et nous, majeurs, mais infestés déjà par l'opération infâme, légers, inconscients pour la plupart, dans le flux de contradictions qui nous entourent, ne laissons-nous pas souiller la page blanche et pure des cerveaux enfantins qui nous sont confiés, par la tache d'ombre, indélébile, de l'époque barbare - qui les engourdira peut-être à jamais ?

Le mutisme des Dieux avait enfanté les prophètes et les prêtres. Ceux-ci, pour se rendre plus sacrés, et presque invisibles aux yeux du vulgaire, se retirèrent dans les temples, et firent choix d'un agent extérieur, nécessaire pour conduire le peuple, et faire exécuter leurs desseins. Ils le prirent dans l'ordre des guerriers, seconde classe de l'Etat. Au-dessous des temples, ou à côté, se voit le palais du roi, entouré des guerriers, qu'il conduit au besoin à la défense ou à la conquête, et qui forment sa cour, avec les principaux de l'Etat : généraux, ministres, princes, conseillers, favoris, juges, administrateurs, courtisans, visiteurs illustres. Là, circule et parade tout privilégié de naissance, tout intrigant habile, tout chantre divin ; les serviteurs distingués qui approchent le roi, qui exécutent ses ordres, et transmettent ses commandements. Toute une aristocratie ! - Au-dessous de ceux-là, dans les villes, commerçants, artistes, industriels, chargés de pourvoir aux besoins et aux fantaisies de tous ces oisifs. Et enfin, le gros du peuple, qui travaille pour tous. - La pyramide éternelle !

Chez les peuples primitifs, tous les premiers gouvernements sont théocratiques ; mais à mesure que l'action extérieure devient plus active et plus étendue, plus orageuse parfois, le gouvernement des prêtres s'efface devant le héros, le conquérant. Abrité dans le temple, allié successif de tous les pouvoirs, quels qu'ils soient, satisfait de gouverner sans périls et sans défaites, mais gouvernant toujours... Arbitre nécessaire, conseiller intime, oracle écouté, car il dispose du peuple, le prêtre reste inviolable et sacré.

Les deux principes se complètent l'un l'autre ; ils sont inséparables dans le passé. On voit des rois incroyants ; on n'en voit pas qui se dispensent d'honorer et de défendre le prêtre et la religion. L'immuable, le prêtre, accepte forcément la chute du roi, mais il n'aspire qu'à le remplacer par un autre, même par plusieurs s'il le faut, comme dans les républiques aristocratiques ; toutefois, un roi, c'est le plus sûr. C'est au moins la paix et l'ignorance populaire pour une vie d'homme.

Les théologiens préconisent comme un grand progrès l'unité de Dieu. En effet, elle est le couronnement de l'idée hiérarchique. La pluralité des Dieux, comme celle des rois, engendre la discorde parmi leurs interprètes et leurs favoris. L'unité de Dieu c'est la monarchie absolue - une grande force de plus pour les arrêts divins et royaux. Ce fut l'idolâtrie qui fit la monarchie, laquelle est encore une idolâtrie chez ses fervents. Qui attaque un de ces pouvoirs, attaque bientôt l'autre. Notre XVIIIe siècle mena l'attaque parallèlement. Il y a du Dieu dans le monarque ; et c'est pour cela que l'humanité presque entière a souffert pendant tant de siècles, et souffre encore, dans sa chair et dans son âme, les sujétions les plus viles et les plus cruelles ; respectant dans le monstre la volonté indiscutable du Dieu. Ensemble, ils commencent l'histoire, et, grâce à une politique habile, grâce à l'ignorante crédulité des peuples, aujourd'hui encore ils sont unis.

L'histoire écrite s'ouvre, pareille à un théâtre au lever du rideau, sur des civilisations déjà vieilles, placées sous le joug théocratique. Ce qu'on y voit au premier plan, ce sont les temples de Thèbes, de Memphis, d'Eleusis, de Delphes, etc., habités par des prêtres-rois, qui gouvernent les peuples courbés et soumis.

Leur gouvernement est une monarchie hiérarchique.

La hiérarchie est une sorte de chaîne de commandement, qui part du prêtre-Dieu pour descendre au peuple. Chacun de ses anneaux représente à la fois un degré de pouvoir en bas, et de sujétion en haut. Le supérieur est sur votre tête et l'inférieur sous vos pieds. Ainsi le commandement et le servage s'entremêlent dans l'homme pour le salut de l'Etat et la gloire du chef. C'est l'art de réduire à une seule volonté les volontés générales, de pétrifier l'intelligence et les sentiments naturels à l'espèce humaine. Pas un chaînon n'exécute un faux mouvement que le grand chef n'en soit averti. Immédiatement précipité à terre, on le remplace par un autre. C'est ainsi que sont liées étroitement les forces aristocratiques, tandis que les forces populaires, éparses et incohérentes, ne s'agglomèrent que momentanément, par de fortes secousses, renversant tout... jusqu'à ce que la machine relevée de nouveau fonctionne. Organisme parfait, qui pourtant s'use à la longue, combattu par les forces naturelles. - Celles-ci ne vaincront que lorsque la machine sera brisée - et surtout remplacée par un ordre tout différent ; lorsque cette pyramide, chère à l'Orient, surmontée de l'Idole, ne subsistera plus, et que la foule délivrée s'associera fraternellement pour fertiliser la plaine.

Souvent, en effet, le peuple a voulu se ressaisir. Mais, lui, ne s'entend pas aux machines, il est ignorant. Il rêve de fraternité ; mais n'a pu, dans sa misère, la pratiquer, ni l'organiser. Il s'éveille ; mais ne sait pas encore s'orienter. C'est pourquoi la hiérarchie dure depuis le monde connu, et se rétablit sans cesse, après qu'on l'a ébranlée. Le peuple ne pourra s'entendre qu'en se groupant en de grandes familles, ou petites communes, qu'il gouvernera par lui-même aisément, associé par le travail et par la connaissance, dans la justice ; relié par la vapeur et le télégraphe à tous les autres groupes de la même nation, de même qu'aux nations voisines ; développé dans toutes ses aptitudes, penseur et travailleur - après avoir aboli les monstres qui ont jusqu'ici dévoré l'humanité : l'autorité et la guerre et jouissant de la vie, dans la paix et la liberté.

Alors seulement, sur cette échelle maudite, qui fut appelée l'Ordre, on ne verra plus grimper des acharnés, dont les pugilats féroces couvrent le sol de victimes. On ne poignardera plus ; on ne massacrera plus. Il n'y aura plus de mensonges, d'hypocrisies, de fureurs, de regards de haines échangés entre les hommes ; mais des sourires fraternels ; car il n'y aura qu'un même intérêt pour tous, et l'on pourra s'aimer !

Dans l'antiquité la plus reculée, en Inde, en Egypte, partout, le peuple n'a pas d'histoire, et cependant il est loin d'être heureux ! - L'éternel fellah bâtit les pyramides, et reçoit des oignons pour récompense. Hérodote nous apprend qu'une loi défend à l'homme du peuple égyptien de quitter son pays, parce qu'il doit toujours se tenir à la disposition de l'Etat, qui peut le réclamer à tout moment, soit dans la paix, soit dans la guerre. - L'Egypte était divisée en districts autour de chaque temple - Les prêtres réglaient non seulement la vie publique des rois ; mais aussi leur vie privée. - Dans les festins, un esclave promenait autour de la table un cercueil, contenant l'image d'un cadavre parfaitement imité et le montrait à chacun des convives, en lui disant : - C'est ainsi que vous serez après votre mort ! - Les magistrats étaient nommés par les prêtres. - Quant à l'art égyptien, c'est la grandeur, dans le sens d'énormité, qui domine ; toute innovation était interdite. Et, sans plus de détails, copions cette phrase d'un historien peu critique : "L'immobilité est le principal caractère des gouvernements théocratiques."

Dans l'Inde, à laquelle ce jugement est applicable aussi, autrefois gouvernée par les Brahmines, aujourd'hui, sous la domination des marchands anglais, grâce à la persistance de la religion, les mours et les croyances sont les mêmes qu'aux premiers temps : le paria se prosterne toujours à plat ventre devant le Brahmine qu'il rencontre. La domination du prêtre a pétrifié, on dirait à jamais, ces deux vastes contrées. Depuis huit mille ans et plus, ni l'Egyptien, ni l'Indou n'ont retrouvé la moitié de leur âme. Et combien d'autres peuples sont, pour les mêmes causes, dans la même inertie ? Le prêtre n'est pas seulement stérile, il est stérilisateur. Pour avoir eu des Dieux, et, quoique branlants, tenant encore, le monde humain a végété et végète toujours ! Les peuples surtout sont immolés en masse à la sainte hiérarchie ! Et cela se conçoit à merveille. Le Dieu, étant parfait, n'a pas à progresser. L'homme, de nature progressive, doit se fossiliser, ou rompre avec la Divinité.

La Grèce et Rome eurent l'avantage de ne connaître que le paganisme. Les Dieux païens représentant les forces de la vie, ne sont en réalité que de joyeux hommes, très proches de l'Humanité, (comme d'ailleurs tous les Dieux, en bien ou en mal). Ils prêtent leur aide aux héros dans l'embarras, sont amoureux des femmes, et mêlent volontiers les deux races, témoins tant de Demi-Dieux. Leurs prêtres sont fonctionnaires de l'Etat, soumis à l'élection populaire, époux, pères et citoyens. Grave différence avec les nôtres !

N'oublions pas cependant qu'en Grèce, Socrate but la ciguë. Ce n'est du moins qu'un fait isolé dans cette Grèce philosophique.

A l'époque des Césars, quand sombra la vieille Rome, envahie de toutes parts et sous toutes les formes par les nations qu'elle avait soumises, l'esprit âpre de l'Orient la pénétrait. A force de consommer des légions dans l'éternelle guerre, elle s'était vue contrainte d'armer pour sa propre défense les peuples vaincus. Après avoir pillé la terre entière, elle avait noyé dans l'excès des richesses toute sa force et sa vertu. Maîtresse du monde connu, elle était tombée sous le joug plus ou moins indigne des Empereurs.

Les vieux soldats romains, las de guerroyer, absents de leurs foyers depuis des lustres, veulent enfin goûter les délices de la ville souveraine qu'ils ont enrichie - tandis que les légions barbares, au service de Rome, veulent, à leur tour, gouverner leurs vainqueurs ; et ramènent de Gaule ou de Pannonie, des empereurs élus par elles, qu'elles intronisent. De Tibère à Caligula et Néron, de Julie à Messaline et Agrippine, Rome épouvante le monde de ses meurtres et de ses débauches.

Dans ce gouffre central, où toutes les nations se confondent, il reste encore, malgré tout, un peu de sang pur, un peu de respect et de sentiment humain parmi les hommes. Le phénomène puissant de la conscience grâce auquel l'indignation du crime produit l'amour de la vertu, et l'horreur enfante une pitié énergique et vengeresse, éclate sur les ruines mêmes du charnier romain. Le mouvement grossit, se répand, déborde. Le peuple, la femme, l'enfant, le pauvre, ont été foulés aux pieds, huit siècles durant !... On les relève, on les groupe, on leur offre des asiles, des vêtements, des banquets, où ils sont servis par les riches eux-mêmes ! L'enfant est choyé ; le malade guéri ; l'homme et la femme fraternisent - Après tant d'oppression et de barbarie, c'est un élan de communisme, de vraie religion humaine !... - On dit que le monde va finir ?... Eh bien, assez d'horreurs criminelles ! Soyons purs et bons au regard de l'éternelle Justice ! L'esclave vaut le maître ! Et bien plus, car il a souffert !

Des philosophes, revenus de l'Orient, prêchent le Boudhisme, l'immortalité des âmes purifiées. Des hommes pieux, qu'on appelle bien à tort les pères de l'Eglise : Saint-Chrysostôme, Saint-Grégoire de Nazianze, etc... foudroient les excès des riches et des puissants, parlent de l'égalité des hommes, et prêchent un ordre nouveau, qui n'est autre que le socialisme, la fraternité effective des humains.

Il y eut des scandales, affirme-t-on, entre ceux qui s'appelaient frères et sours. Le socialisme actuel a vu s'élever contre lui des accusations pareilles. Rien de très grave sans doute au milieu de ce grand élan ? Mais toute innovation, fût-elle dix fois sainte, doit être parfaite, ou condamnée, en face des débordements publics d'un monde vicieux ! Ces gens agissaient de leur propre impulsion, en vue d'une vie supérieure, et peu attentifs aux formalités, se contentaient de leur propre juridiction ! C'était scandaleux ! Et des hommes, nés prêtres, se hâtèrent d'y mettre ordre.

On sait quel chaos d'ambitions démesurées agitait alors le monde romain. Rien de plus naturel que des gens hardis et ambitieux entreprissent la fondation d'une religion nouvelle, quand la religion païenne n'était plus apte à dominer le courant établi. Un de ces hommes du moins nous est donné par l'histoire : Saul, persécuteur des chrétiens, devenu l'apôtre Paul. Il n'entendit sur le chemin de Damas d'autre voix que celle de sa propre réflexion : le paganisme était usé, et désormais sans vigueur. Une croyance nouvelle, plus élevée et plus sévère, pouvait seule satisfaire les âmes ardentes, et relever les âmes déchues. C'était un homme sec et roide, net et violent, un jacobin d'avant les clubs. Il se retourna de suite, et refit, cimenta à sa manière l'idée qu'il venait de combattre.

Sous l'empire de César Auguste, un prophète juif nommé Jésus, avait prêché dans la Judée contre les abus des Pharisiens et des princes des prêtres. Il guérissait les malades qui avaient foi en lui ; et même, assurait-on, ressuscitait les morts ! Les Pharisiens (Jésuites de ce temps-là) le firent mettre en croix.

Il ne manquait pas alors de prophètes qui, de même que Jésus, prêchaient la fin du monde et la venue d'un Messie ardemment attendu. Jésus parlait aussi contre les riches, aimait les pauvres, les humbles et les enfants. Mais, Juif de la religion de Moïse, il croyait au démon et à l'Enfer. Il y fait allusion plusieurs fois dans l'Evangile, s'adressant aux Pharisiens.

"Serpents ! race de vipères ! comment pourriez-vous éviter d'être condamnés au feu de l'Enfer ? - C'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents !"

Ailleurs, parlant encore de l'Enfer, il dit : "Un feu qui ne s'éteindra jamais."

Il s'appelle lui-même, tantôt fils de Dieu, tantôt fils de l'homme ; et parle souvent de son Père, qui est aux Cieux. Prophète parmi les prophètes, crucifié parmi les crucifiés, l'histoire n'a point écrit son nom. Ce n'était qu'un innocent sacrifié de plus ou de moins ; et le nombre en était grand alors, s'il est vrai que Titus, surnommé les Délices du monde, après avoir pris Jérusalem, fit crucifier 70.000 Juifs, pour les punir d'avoir défendu leur ville !

On cite un passage d'un historien peu connu, Josèphe, parlant de Jésus ; passage qu'on dit avoir été plus tard intercalé. On assure que les quatre Evangiles de ses disciples : Mathieu, Marc, Luc et Jean, ne furent publiés que longtemps après, dans le second, ou troisième siècle ? - Qu'importe ? En certains faits, justiciables surtout du raisonnement et de la conscience, les dates sont secondaires. Il est hors de doute que la doctrine de Jésus convint à des prêtres pour établir une religion nouvelle sur la tradition biblique. Cette doctrine se prêtait non seulement aux sentiments plus élevés où le monde semblait vouloir se jeter, comme dans un refuge, et aux vengeances terribles du Dieu de la Bible, contre les coupables. Elle avait des ambiguïtés qui pouvaient donner lieu à de nombreuses interprétations. Et quant au merveilleux exigé pour toute religion extra-terrestre, quant au changement du prophète en fils de Dieu, le terrain était préparé depuis longtemps, par les incarnations fréquentes des Dieux Olympiens. Elle satisfaisait enfin à la morale plus saine et plus sévère, importée de l'Orient par les philosophes d'alors ; plus dogmatique et plus sombre, elle donnait aux chefs du mouvement un outil de gouvernement plus sérieux et toute l'autorité nécessaire à des réformateurs.

La religion du Nazaréen se propagea donc sous la répulsion excitée par les orgies et les désordres de l'Empire. Et ses chefs eurent bientôt fait d'acquérir l'appui des Empereurs et des Rois : certains de ses évêques tinrent en respect les chefs barbares, envahisseurs de l'Italie, Constantin Ier accueillit le christianisme comme une force politique ; et déjà, agissant par le moyen des femmes, après avoir fait épouser à Clovis, roi des Francs, une princesse chrétienne, ils baptisèrent le roi lui-même. ?

"Courbe la tête ! fier Sicambre !" Tout l'orgueil du prêtre chrétien est dans cette parole ! A partir de ce moment, ils tenaient la France... et ne la lâchèrent plus !

Les crimes de l'odieuse dynastie Mérovingienne se commirent à leur ombre. Les dynasties suivantes ne furent pas beaucoup plus respectables. Mais le nom de la religion chrétienne, celle dont ils étaient les prêtres, s'y attachait ! Ils firent sacrer Charlemagne empereur d'Occident, par le pape Léon III, chef de l'Eglise nouvelle !...?

Grand triomphe ! Tout, dans les commencements de cette Eglise, comme par la suite, porte l'empreinte de l'autorité et de l'ambition. Pour prix de ces honneurs, Charlemagne opère par le fer et le feu la conversion des Saxons à l'Evangile, et transporte ce malheureux peuple, comme un troupeau, hors de son pays natal.

Désormais, et de nouveau, les prêtres sont liés aux rois, comme les rois avec les prêtres. Echange complet de vues ; association parfaite. Pour la religion contre la société, les continuateurs du prophète Nazaréen acceptent tout : extermination de peuples, meurtre des individus gênants, guerres de conquête, servage populaire, brigandages de toutes sortes, et de même la fornication des grands, l'adultère des souverains. Soit conscience, soit ambition, on en voit parmi eux quelques-uns qui détonnent dans l'ensemble ; mais la chose est rare ! Inexorables pour les petits et les faibles, vis-à-vis des grands, ils indulgent les fautes royales et jettent sur elles des voiles complaisants - O Jésus ! ennemi des Pharisiens



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Notes

    1. Moïse et le Sinaï. Il dut se passer ailleurs des faits analogues, de la part de civilisateurs qui n'eussent pu agir autrement sur un peuple superstitieux.



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