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Coupons le câble !

Il est plus que temps de réaliser le voeu de Voltaire : Écrasons l'infâme !

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par André Léo  -  1899

Début du texte d'André Léo : Coupons le câble !





   II

D'après l'opinion vulgaire, qui suppose volontiers que le progrès s'accroît de lui-même, avec le temps - et à laquelle on ne peut opposer qu'une objection : c'est que le progrès a pour facteur l'homme, ses idées, ses institutions et leur engrenage. Ce qu'on a appelé l'Ere moderne et qui prolonge parfaitement l'Ere barbare, eût dû être une réaction contre l'ère ancienne : plus humaine, plus savante, plus paisible, moins cruelle. Elle ne l'a pas été. Et tout en comprenant la gravité, l'importance du jugement, que pourtant j'oserai prononcer, ce fut à cause de sa religion.

Cependant, elle était partie d'un grand élan, d'une réaction véritable ! Qu'on lise ceux qu'on prétend être les pères de l'Eglise ! Mais cet élan même fut sévèrement réprimé par saint Paul. Il y avait Jésus portant avec lui la Bible ; il prit la Bible d'abord, et Jésus ensuite, y joignant sa brutalité native, et le souffle d'ambition furieuse qui remplissait l'air autour de lui. Né à Rome, le Christianisme eut son siège à Rome, où il recueillit les derniers relents de l'Empire.

Avant tout, remarquons une chose : Aucune des religions présentes et passées n'a empêché, ni condamné, le forfait le plus grand qui puisse exister dans l'humanité, contre elle-même : la Guerre. Toutes les religions ont cette toquade, assez fâcheuse, de contempler obstinément le Ciel, sans daigner abaisser leurs regards sur la Terre - du moins en principe. - La religion est tout pour l'Humanité ; si bien que l'Humanité n'est rien pour elle-même. L'homme n'a rien de sacré pour l'homme !

Dans la première période de l'histoire, on voit les rois - même les reines - quand ils ont suffisamment pressuré leurs peuples, se mettre à leur tête pour les conduire au pillage des peuples voisins. Il va sans dire que pillage implique massacre. L'histoire n'est guère autre chose que la nomenclature de ces ruées et de ces bouleversements, accompagnés des noms glorieux, désormais consacrés, des grands tueurs, que nous inscrivons pieusement dans notre mémoire et dans celle de nos enfants. Dans l'Asie Mineure, en Afrique, en même temps que s'effondrent, ou s'élèvent, les grands empires, les autels ruissellent de sang humain et les prêtres des temples donnent le spectacle de furieuses orgies. Les druides, en Gaule, et probablement toutes les religions antiques, sacrifient des victimes humaines à leurs Dieux. La Bible, fameuse en égorgements, n'épargne ni femmes, ni enfants. Rome épand sur le monde son champ de bataille et finit par s'égorger elle-même. On se poignarde au Sénat et sur la place publique ; de l'esclave, du prisonnier, on fait des gladiateurs. Et quand les hommes manquent, on s'en prend aux animaux : lions, éléphants, tigres... spectacles dignes des féroces qui les contemplent, et qui rugissent de plaisir ! Il y a des hommes amoureux de gloire, qui aspirent à commander ce monde, où le sang rouge coule plus abondant que la rosée ; et dans les guerres civiles qui commencent à Sylla, des deux côtés, c'est le sang romain qui rougit la terre. Après le grand duel entre César et Pompée, on fit à Rome un nouveau recensement des citoyens. Antérieurement, on y comptait 320.000 citoyens ; après il ne s'en trouva plus que 130.000, tant la guerre civile avait été meurtrière pour Rome, tant elle avait moissonné de citoyens, sans compter tous les meurtres et fléaux dont elle avait affligé le reste de l'Italie, et les provinces [2] !

Et ensuite ?... On recommença ! Ne semble-t-il pas qu'il n'y ait, dans ces religions anciennes, aucune intention de moralisation humaine. C'est une simple superstition ; un besoin d'invocation, de poésie, de lyrisme. On trouve pourtant des punitions aux Enfers, et quelques vengeances des Dieux sur la Terre. En Grèce et à Rome, les prêtres sont intermédiaires ; mais pour l'ordre plus que pour la conscience intime. On essaie par eux de connaître l'avenir. - Le culte des mânes est familial.

Quoi qu'il en soit, depuis l'Humanité immémorée, depuis le seuil de l'histoire écrite, des temples de Delphes et d'Eleusis, jusqu'aux tours de Notre-Dame et aux colonnes de la Madeleine, les prêtres, discrètement ou violemment, gouvernent le monde. Et ce monde est effroyable ! Partout, guerre, massacre et trahison, excès et crimes des grands, écrasement des faibles. C'est de la Gloire ! L'Humanité tout entière est piétinée par quelques hommes ! Toute initiative étouffée, tout progrès interdit. La division et l'intrigue présidant au gouvernement, et l'arbitraire exigeant l'obéissance. Traversons les autels sanglants et les mystères asiatiques, ou africains, les massacres bibliques, les augures Grecs et Romains ; enjambons les guerres religieuses de l'Ère Moderne, les cachots du Saint-Office et ses chambres de torture ; l'inquisition, les bûchers, les tueries des Pastoureaux, des Albigeois, des Vaudois, des Huguenots ; la persécution contre les Juifs et les hérétiques ; c'est-à-dire de tout ce qui n'accepte pas, exactement, les mots et les préceptes de la caste cléricale. Ecoutez, dans ce monde horrible, affolé de haine, les cris de ceux que tord la douleur ! passons sur les atrocités des guerres vendéennes, et arrivons enfin à nos dernières pages en ce siècle de trahisons et de massacres : 1815, 1830, 1848, 1851, 1870 et 1871... les infamies d'hier, d'aujourd'hui, de demain peut-être ?... Et maudissons la morale divine aux mains du prêtre !

C'est par dizaines que les siècles se sont écoulés en guerres atroces, implacables, des hommes les uns contre les autres, tout en invoquant de chaque part la faveur des Dieux !... Et regardez : ce sont toujours les mêmes hommes, ceux qui nous sont apparus à l'ouverture de l'histoire, assis au seuil des temples, ces précurseurs, majestueux et calmes, tandis qu'autour d'eux les peuples obéissants rampent dans l'ignorance et dans la misère. Mais dès que l'homme s'est lassé d'obéir, et de mourir pour ses maîtres, aussitôt le sang a coulé ! C'est alors qu'ont été forgés les appareils de tortures !

Ces hommes représentent Dieu, le maître du Ciel et de la Terre ; n'ont-ils pas tous les droits ? Cette caste infaillible est chargée de deviner les intentions divines et de les imposer au reste des hommes - voire à Dieu lui-même, qui, toujours muet et tranquille, n'a jamais infirmé leurs décisions !

Honorez-les ! Ils seront doux et onctueux. Mais si vous voulez juger leur caractère et leur gouvernement, lisez l'histoire ! C'est à eux que nous devons la société actuelle, la société hiérarchique, bâtie par eux, et dont nous jouissons encore ! Hièro signifie chose de prêtre, chose sacrée ! - Ne serait-il pas temps de la réviser ?

C'est dans les guerres de religion, fomentées par eux, que toute leur exubérance éclate. Les XIe, XIIe, et XIIIe siècles, en France, sont ensanglantés par le massacre des Albigeois, qui osent ne pas se conformer à toutes les décisions des conciles, et croient posséder une conscience libre. Ce pays était un des plus beaux et des plus riches de la France. Il fut anéanti, noyé dans le sang de ses habitants.

Au XIIIe siècle, sous le même prétexte, on extermine les Vaudois, habitants des belles vallées provençales, peuple doux et laborieux, de mours pures. Ceux qui échappèrent aux tueries, désertèrent la France, et allèrent s'établir en Piémont, privant la patrie française d'au moins 20.000 citoyens dignes et paisibles. Les pays qui nous avoisinent sont peuplés des victimes de notre clergé catholique : la Suisse, les bords du Rhin, certaines contrées de l'Allemagne, les Pays-Bas !...

Ce qui fait de l'ère moderne une des époques les plus tristes de l'histoire, et tout autre chose qu'un progrès moral, ce sont les cruautés religieuses ! La passion y atteint dans l'horreur ses dernières limites. A cet âge, l'Humanité eût dû grandir et fructifier, comme tout ce qui vit dans la nature, par les premières découvertes de la science, par le génie de ses enfants, l'étude de plus de justice ; par l'amour idéalisé dans la fraternité universelle. Mais elle fut arrêtée, épouvantée, détournée d'elle-même et de ses voies, pour s'appliquer à l'amour d'un fantoche haineux, puéril et méchant, qui interdit tout amour et toute recherche en dehors de lui, excite l'homme à renoncer à la vie terrestre, l'emmure dans la nuit, vide son cour de toute affection humaine et lui fait renier sa propre nature ! Des siècles passent dans cet étouffement.

Dès qu'on ose parler de réformes, de liberté, tout s'ébranle, se rue, entre en fureur ! C'est à partir du Christianisme qu'on voit de telles guerres, sous la conduite de chefs abominables, évêques ou seigneurs, les hommes, transformés en bêtes féroces, se baigner avec une joie furieuse dans le sang de leurs adversaires ! C'est alors que retentit l'affreuse parole : - Tuez tout, Dieu reconnaîtra les siens !... ?

Au XIVe siècle, l'exubérance du Catholicisme, les décisions bizarres de ses conciles, ses excès de pouvoir, ses dogmes extravagants, la prétention obstinée d'arracher l'homme à sa propre vie, excitèrent de vives protestations en Angleterre, en Bavière, en France. On attaquait l'étrange composition du Dieu unique en trois personnes, la confession, et surtout l'Eucharistie. Quoi, le Créateur des mondes et de l'Humanité se réduirait à la capacité d'une pilule pour s'introduire dans la bouche et les entrailles de sa créature. Quelle bouffonnerie ! et quelles conséquences ! N'était-ce pas manquer de respect à Dieu ! On refusait de comprendre et d'accepter de telles choses ! Le protestant éclairé, sage, se séparait du troupeau chrétien. Il accusait Rome d'impiété, de folie, tout au moins d'insanité, et n'avait pas tort. Etait-on obligé de soumettre à de pareils dogmes la hauteur de sa conscience ? Non assurément ! Et pourquoi, d'autre part, le prêtre renoncerait-il à la vie complète, à la famille, instituée par Dieu même au jour de la création ? La religion ne pouvait impliquer le dédain de la Vie et de la Nature, ouvres divines ! On attaquait en outre le trafic honteux des indulgences ; les voux monastiques, etc...

Ainsi parlaient Wiclef en Angleterre, Jean Huss et Luther en Allemagne, Calvin en France, et Michel Servet l'Aragonnais, autour desquels le sens commun et la dignité humaine augmentaient chaque jour le nombre des disciples. De grandes disputes éclatèrent ; de gros livres furent écrits ; les bulles papales fulminèrent, on les brûla. De leur côté, les catholiques apprêtèrent leurs armes et leurs bûchers. En France, sous la régence de Catherine de Médicis, le parlement porta peine de mort contre les hérétiques ; la Sorbonne, sans examen des doctrines, les condamna. On défendit les prêches dans les campagnes, et les bûchers s'allumèrent à Paris, à Toulouse, à Montpellier.

Tout le Nord de l'Europe et une partie de la Suisse et de l'Allemagne étaient du parti de la Réforme. La France resta catholique, avec l'Espagne et l'Italie, pour des motifs politiques et personnels. Ce fut pour elle un grand malheur ; elle restait inféodée au fanatisme, au servilisme de la pensée et de l'action, et allait au-devant des troubles et des trahisons, auxquels elle est encore soumise ! Les protestants étaient sur la voie de l'examen, de la liberté de l'esprit humain, qui nous eût ouvert des toutes plus faciles et plus promptes. Le parti protestant était en France très fort et très nombreux ; il fut héroïque. Il faillit l'emporter et ne fut vaincu que par l'excès du crime.

Au commencement de la guerre contre les Huguenots, des bûchers furent élevés dans Paris flambant comme en Espagne et dans les Flandres.

Ce fut aux lueurs de ces bûchers que se forma, sous la conduite de l'Espagnol Ignace de Loyola, cette Compagnie de Jésus qui, pour continuer le règne de la Foi, jura d'employer tous les moyens : le mensonge en actes et en paroles, le meurtre, l'empoisonnement, la trahison, la calomnie, sous cet axiome : la fin justifie les moyens. C'est l'autorisation de tous les faux et de tous les crimes.

"Pendant un mois, dit un historien, on ne fit que décapiter, pendre ou noyer." Le chancelier Olivier de l'Hôpital en mourut d'horreur. Il criait au cardinal de Guise dans son agonie : "Cardinal ! par toi, nous voilà damnés !"

Michel de l'Hôpital, son successeur, parvint à empêcher qu'on établît en France le tribunal de l'Inquisition, qui fonctionnait dans presque toutes les villes de l'Espagne. Depuis le massacre de Vassy [3], en 1562, jusqu'à l'intronisation d'Henry IV dans Paris, en 1594, après qu'il eut consenti d'embrasser la religion catholique, ce fut une guerre civile atroce de 32 ans, interrompue par des trêves, mais presque aussitôt recommencée, dont l'acte le plus célèbre est la tuerie nocturne du 24 août 1572, la Saint-Barthélemy ! Même fut elle continuée sourdement pendant tout le règne de Henry IV, par de continuels complots catholiques, jusqu'à l'assassinat du roi. Henry IV, ancien protestant, avait publié un édit (l'Edit de Nantes), grâce auquel les protestants pourraient vivre en paix dans leur patrie, en y pratiquant leur religion. Une telle infamie pouvait-elle être soufferte ? - Il avait en même temps permis aux Jésuites de rentrer en France. Et ce fut Ravaillac, un des leurs, qui l'assassina !

Il faut rendre justice à tous les ordres : c'était un dominicain, Jacques Clément, qui avait poignardé le roi précédent, Henri III.

Soixante-quinze ans plus tard, le petit-fils de Henry IV, Louis XIV, révoquait l'Edit de Nantes ! Ce Louis XIV, qu'on osa appeler grand, parce qu'il avait attiré à lui toute la substance de son peuple, en l'épuisant jusqu'à la mort, par ses cruelles et égoïstes magnificences ! - Quand ce roi absolu et inintelligent, cédant aux instances de ses confesseurs, Bossuet et Massillon, organes du parti catholique, osa révoquer l'Edit de Henri IV et refuser aux protestants l'exercice paisible de leur religion, il acheva dans sa vieillesse tout le mal qu'il avait fait à la France pendant sa longue vie. On estime à 300.000 ceux qui s'expatrièrent, emportant à l'étranger leurs forces, leur génie, leurs secrets d'industrie et leur activité bienfaisante. Ces hommes, qui avaient combattu pour la liberté de conscience contre la servilité de l'esprit, étaient naturellement, pour la plupart, l'élite de la Nation. Ils pouvaient difficilement, à cette époque, aller plus loin dans le libre examen ; mais ils l'acceptaient et c'était déjà beaucoup de ne plus vouloir croupir en des croyances irraisonnées. Pour cela, ils avaient tout sacrifié : leurs positions dans l'Etat, leur vie, leurs richesses ! Ils avaient le beau rôle contre leurs persécuteurs. Ralliés par Henri IV, mais toujours suspects aux catholiques, et sans cesse inquiétés, ils avaient dirigé leur intelligence et leur action vers l'industrie, les arts, le commerce, comprenant bien qu'ils étaient trop peu en faveur pour occuper des fonctions dans l'Etat. Plusieurs d'entre eux, cependant, avaient brillamment servi la France. Duquesne, la Force, Châtillon, Turenne, le Maréchal de Rantzau, Gassion, étaient protestants.

Ceux qui forcément, par pauvreté, restèrent en France, humiliés, découragés, durent traiter leur patrie de marâtre. Et combien parmi les exilés bannis sans être coupables, naturalisés depuis à l'étranger, durent-ils, à regret, employer leurs armes contre l'ancienne patrie, qu'ils eussent honorée et défendue ?

On pourrait évaluer aisément, et le chiffre en serait formidable, ce que le catholicisme a coûté à la France. Quant à ce qu'il lui a donné, j'avoue ne pas le savoir, si ce n'est le défaut de hardiesse dans les ouvres de l'esprit, l'entêtement dans l'habitude, l'inquiétude dans la décision, la soumission trop facile, la férocité militaire et l'immoralité jésuitique.

Voici plus de huit mille ans que les prêtres gouvernent l'homme, et que plus la lumière s'étend sur le monde, plus ils s'attachent à pétrifier le cerveau humain par le mensonge et l'absurdité. Par eux, toutes les formes du progrès ont été successivement combattues : l'imprimerie, le livre, le scalpel, l'étude hors la Bible, l'Evangile et la vie des Saints, pleins de miracles. De même, la parole libre et l'association des hommes, hors des chaires ecclésiastiques et des couvents. De même, la science, la maudite qui ne s'arrête jamais ! La raison et la justice, qui nient le Dieu du prêtre. Ce Dieu tyran, cruel et jaloux qui venge sur les enfants les fautes des pères, qui se plaît aux souffrances de l'homme ; qui n'a pour élus que ceux qui pratiquent l'obéissance aveugle, et livre à des tourments éternels le reste de l'Humanité. Le Dieu immuable, qui baisse à mesure que l'homme grandit, et qui, toujours offert en modèle, est devenu, pour celui qu'on prétend sa créature, une cause d'idiotisme et d'abaissement !...

Que peut-il résulter de ce livre primitif et barbare, sinon une religion sauvage et cruelle ? Que sera le prêtre qui s'en inspire et l'étudie dévotement ? Dans l'histoire moderne, les nombreuses guerres religieuses sont excitées et conduites par des prêtres en fureur. Il leur est défendu de guerroyer par eux-mêmes et de répandre le sang. On voit un évêque se servir d'une massue pour assommer l'hérétique sans manquer au précepte ! Le Dieu de la Bible, maître en l'art de la guerre, n'a-t-il pas ordonné d'exterminer les petits enfants en les écrasant contre la pierre ? Le massacre est donc une loi religieuse et sainte ! Il faut détruire celui qui ne croit pas ce que nous croyons, et toute sa race avec lui !

Le prêtre qui croit aussi en Jésus, pourrait apaiser ces cruautés ; il ne fait que les fomenter et les attiser. Tout ce qui s'élève contre son pouvoir l'exalte et le rend furieux. Qu'y a-t-il pour lui dans la vie ? Rien, si ce n'est le pouvoir, l'autorité ; le droit de commander aux hommes et de leur dire, du plus grand au plus humble : - Croyez ce que je vous ordonne de croire, car je suis le représentant de Dieu !

Chose curieuse ! Plus le prêtre règne, plus il veut régner, comme ces avares, dont la passion s'aigrit en vieillissant. On dirait, au milieu des guerres de religion, que le feu de l'Enfer flambe au sein de chaque dévot. Le prêtre antique, si cruel qu'il soit, ne peut se comparer à celui du moyen âge.

Bien des gens modérés, fidèles à leur caractère, nous accusent volontiers d'exagération en ces choses. Qu'ils lisent et relisent l'histoire ! Y trouveront-ils une passion plus forte, plus enragée, plus constante, que celle de régner et de posséder ? A vrai dire, celle-ci les contient et les satisfait toutes.

Elle existe chez les individus, mais avec une puissance centuplée dans les castes. Elle est secondée, stimulée, par cette malheureuse conception hiérarchique, où le plus élevé est le plus puissant. Or, quelle plus haute puissance que celle de la domination des âmes ? Gouverner le monde au nom d'une suprême sagesse, et sans crainte aucune d'être démentie par elle !... Dans l'exercice d'une semblable fonction, et sous la pression de l'intelligence, la foi, si elle existe, disparaît bientôt ; et l'arbitraire et la ruse se font la Loi. Telle est l'explication trop facile du long combat contre la justice et la vérité, qui, aidé de l'ignorance et de l'égoïsme positif de la race humaine, constitue l'histoire.

Le prêtre est un homme plus ou moins sincère, que ses liens avec Dieu enorgueillissent, et portent à s'estimer supérieur au commun des hommes, fût-il ignorant et d'esprit vulgaire. Il n'en manque pas de ceux-ci, sortis du peuple, où devenir prêtre signifie monter à la bourgeoisie et honorer sa famille. Il est des mères qui destinent leur fils à la prêtrise afin de s'assurer la douce retraite des servantes de curé.

Ses liens avec Dieu, à vrai dire, ont peu de réalité. Il a été consacré par un évêque. De la délégation première des temps primitifs, il ne s'embarrasse point, la tradition lui suffit. Son commerce avec Dieu est tout entier à sa propre charge. A son réveil, et à l'occasion, élever son âme à Lui, ce qu'il fait de son mieux, sans avoir de réponse. Chaque jour, il lit quelques pages de son bréviaire, qu'il sait par cour. Puis il dit sa messe et fait descendre Dieu sur l'autel ! Lien intime assurément ; mais à part de toute explication, et sur la foi des traités ! Après cela, le prêtre déjeune du bon Dieu, et retourne déjeuner réellement dans son presbytère.

Aux solennités, son triomphe est, l'ostensoir aux mains, de montrer Dieu (l'Hostie) à la foule en la bénissant. Tout le monde, agenouillé, baisse la tête, comme ébloui. Le prêtre seul, debout, promenant l'ostensoir d'or, rayonne !

Tels sont les liens divins qui ont rompu les liens naturels de ces hommes avec les autres humains. Pour tous, il est Monsieur le Curé, l'intermédiaire de la divinité ! On le salue humblement. Il va visiter les malades, il confesse les pécheurs ; il parle à tous et leur distribue des sentences pieuses. Il n'a et ne doit avoir d'intimité avec personne. Cependant il voit plutôt les bourgeois, puisqu'il a étudié au séminaire, et il parle d'un ton protecteur aux pauvres qui se plaignent à lui. Hélas ! cet agent de Dieu est pauvre lui-même ; il voit des misères qu'il ne peut soulager, et ne peut qu'enseigner la résignation aux souffrances, que Dieu récompensera un jour. A-t-il du cour, il souffre pourtant de voir ces malheureux sans secours ; mais s'il s'adressait à la bourgeoisie qui n'est pas donnante, il serait indiscret !...

Ne craignez rien, il ne passera pas au socialisme ! Il le déteste par vocation, comme l'égalité ! L'aumône est la rançon... des riches. Et le Paradis arrangera tout plus tard.

Le prêtre est seul, et il doit l'être toujours. Gare à lui, s'il s'attarde en quelque maison de gens de cour, qui l'assisteraient volontiers dans ses bonnes ouvres, surtout s'il s'y trouve quelque jeune fille, ou femme pas trop mûre ! La moindre familiarité serait sa honte ! Peut-être sa perte ? Son émotion serait devinée. Il serait dénoncé, ou calomnié ? Et s'il s'attachait réellement, il faudrait fuir, emporter son cour, ou plutôt l'étouffer à jamais !... Le prêtre doit appartenir à Dieu seul... Eh ! sans doute !... Il le sait bien !... Mais toujours muet, que veut-il, ce Dieu ?.. A-t-il pitié ?... Oh ! si l'on pouvait entendre seulement un mot, un signe, un souffle... - Il y avait des miracles autrefois ?...

Il en est qui se jettent désespérément dans la science, pour ne pas tomber dans l'abrutissement. D'autres plus faibles lourdement succombent. Qui fait l'ange tombe dans la bête, et plus bas - s'il est permis de modifier le mot de Pascal. Dans ce siècle désabusé des religions divines, le sacerdoce, mis en dehors de la famille, achève d'être une monstruosité, et le représentant de Dieu, parfois, trop souvent, devient un objet légitime de haine et de mépris, un danger public !...

Un prêtre, intelligent et sensible, est nécessairement très malheureux. Un prêtre grossier est le pire des malfaiteurs, une honte sociale. On en voit, parmi les premiers, au temps où nous sommes, plusieurs quitter le sacerdoce, et même avoir le courage de dénoncer hautement le piège dans lequel ils sont tombés. Mais, vu la lâcheté générale, créée par la résignation chrétienne, par l'habitude, par la peur, ils courent bien des périls, et rencontrent peu d'appui. Beaucoup de ces infortunés seraient sauvés par la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Mais ceux-ci ne sont que l'élément populaire, les parias de la cité sacerdotale. Pour ceux de la haute hiérarchie, il en est tout autrement. Ceux-là ne sont pas obligés d'observer les règlements, et sous le couvert de leur luxe et de leur Grandeur, ils agissent à l'aise ; orgueilleux par excellence, politiques entêtés, farouches ; animés, en présence du scepticisme général, qu'évidemment ils partagent, d'une animosité passionnée ! Ils font face au courant, armés de la massue de l'évêque anti-albigeois ; et de toutes les armes que donne le pouvoir frappent impitoyablement et surtout calomnient !... Pourtant, malgré tout, se voyant débordés, ils ont eu recours à l'alliance du parti Jésuitique, le seul capable de lutter encore par tous les moyens. Il s'agit de perdre la France, mère de la Révolution !... Et ils font et feront tout, ligués ensemble, pour l'abattre sous leurs pieds !...

Chaque jour, depuis deux ans, dans les procès Dreyfus, la caste religieuse donne à la France, et à l'Europe, la mesure de ses facultés éducatrices, de sa moralité et de son audace. Aujourd'hui, plus que jamais, écrasée par la réalité, par une lumière plus intense, des croyances plus éclairées, des besoins plus intelligents, et par la propre aberration de son dogme suranné, elle comprend que le moment est arrivé où elle doit vaincre une fois encore, ou périr !... Et se dit en sa rage extrême : "Périsse plutôt le monde ! et les nations avec lui !"

Elle ne s'arrêtera pas dans cette ouvre, où, par le lien qui les unit, le gouvernement français lui prêta sa force, et la défend encore, aussi longtemps qu'il ne l'attaquera pas ! Tout ce qu'il y a de sain et de vigoureux en France lui fait face. Le monstre sent son déclin et, ne voulant pas mourir, se tord en des convulsions hideuses, entouré et soutenu - jusqu'à peu de temps - par la tourbe régnante, complice. Et ce sont eux !... Ce sont ces gens-là ! ! ! qui, du fond de leur abjection, nous accusent de n'avoir ni foi, ni base, ni morale !... ?

Pauvres fous !... Nous avons 89 ! ! !

Contre leur Dieu barbare, l'Humanité et la Justice ! Contre leur Hiérarchie, l'Egalité. - Pour base et mesure, l'Individu humain !

Nous avons la morale humaine, depuis tant de siècles en vain poursuivie, et non encore assez répandue, assez comprise, grâce à leur opposition, à leurs intrigues, à leurs calomnies ! - A cause des divisions profondes établies par eux entre les hommes ! - A cause de l'aveuglement et de l'oppression des peuples ! - A cause de l'élévation au pouvoir des intrigants, effet naturel du système !

Nous avons la morale humaine ! Et, à peine leurs ténèbres dissipées, elle rayonnera pour tous ! ?



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Notes


    2. Plutarque (Vie de César, tome III, 445.)

    3. Opéré par le duc de Guise dans un temple protestant.



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