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Science et religion :

l'irréductible antagonisme

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par Jean Bricmont  -  12/04/2000

Jean Bricmont est professeur de physique théorique à l’Université de Louvain en Belgique et président de l'AFIS (Association Française pour l'Information Scientifique). Il est co-auteur, avec Alan Sokal, du livre "Impostures intellectuelles" (Odile Jacob / 1997).



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"Si nous prenons en main un volume quelconque, de théologie ou de métaphysique scolastique, par exemple, demandons-nous : Contient-il des raisonnements abstraits sur la quantité ou le nombre ? Non. Contient-il des raisonnements expérimentaux sur des questions de fait et d'existence ? Non. Alors, mettez-le au feu, car il ne contient que sophismes et illusions."
David Hume (1)


Introduction


Il semble que l'heure soit au dialogue, après des siècles de conflit et de séparation, entre science et foi, ou science et théologie. On ne compte plus les séminaires et les rencontres consacrés à ce thème. Des scientifiques éminents comme Friedrich von Weizsacker et Paul Davies ont reçu le prix "pour le progrès de la religion", offert par la fondation Templeton. L'American Association for the Advancement of Science a organisé récemment (en avril 1999) un débat public sur l'existence de Dieu (2). L'hebdomadaire Newsweek n'hésite pas à proclamer sur sa couverture que "la science découvre Dieu" (27 juillet 1998). Plus près de nous, l'Université Interdisciplinaire de Paris (3) (UIP) organise de nombreuses conférences sur le thème de la convergence entre science et foi, avec la participation de scientifiques de très haut niveau et cette "université" jouit de soutiens puissants. Le 'positivisme' n'est plus de mise en philosophie et la science, post-quantique et post-gödelienne, s'est faite modeste. D'autre part, les théologiens se sont mis à l'écoute de la science qu'ils ont renoncée à contredire ou à régenter.

Tout ne va-t-il pas pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Non. Je vais plaider une thèse qui va à l'encontre de cette tendance et montrer que, si elles sont bien comprises, la démarche scientifique et la démarche religieuse sont en fait inconciliables. Évidemment, la démarche religieuse est aujourd'hui difficile à cerner, parce qu'elle est devenue terriblement vague et diversifiée, ce qui rend la critique malaisée. On peut toujours me répondre que je n'ai pas compris l'essence de la démarche et me renvoyer à la lecture d'un nouvel auteur. Je limiterai par conséquent ma critique à quatre axes qui me semblent caractériser les principales attitudes adoptées aujourd'hui par les croyants face à la science : d'abord, le concordisme, c'est-à-dire l'idée que la science bien comprise mène à la religion. Deuxièmement, la doctrine, opposée à la première, selon laquelle il existe différents ordres de connaissance, l'un réservé à la science, l'autre à la théologie (avec parfois la philosophie entre les deux). Troisièmement, la thèse, réactualisée récemment par le paléontologue Steven Jay Gould (4), affirmant que la science et la religion ne peuvent pas entrer en conflit parce que l'une s'occupe de jugements de fait, l'autre de jugements de valeur. Et, finalement, ce qu'on pourrait appeler le subjectivisme ou le postmodernisme chrétien. Pour conclure, je ferai quelques remarques sur l'actualité et l'importance de l'athéisme.

Pour le dire d'un mot, la racine de l'opposition entre science et religion porte essentiellement sur les méthodes que l'humanité doit suivre pour obtenir des connaissances fiables, quel que soit l'objet de ces connaissances. Un des principaux effets que la naissance des sciences modernes a eu sur notre façon de penser, c'est la prise de conscience, à l'époque des Lumières, des limites que la condition humaine impose à nos possibilités d'acquérir des connaissances qui vont au-delà de l'expérience. Par ailleurs, je suis parfaitement conscient du fait que les idées avancées ici ne peuvent paraître neuves que dans la mesure où elles ont été en partie oubliées. Néanmoins, la confusion qui existe dans une partie du monde intellectuel à propos des rapports entre science et religion force malheureusement les incroyants à réaffirmer régulièrement leurs propres "vérités éternelles" (5).


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Notes :

1) HUME (David), Enquête sur l'entendement humain, traduit par BARANGER (Philippe) et SALTEL (Philippe), Paris, GF-Flammarion, 1983 [1748], 247p. Cette phrase, la dernière du livre, peut sembler un peu brutale mais il ne faut pas oublier qu'à l'époque de Hume c'étaient en général les théologiens qui allumaient les bûchers.

2) Opposant le prix Nobel de physique Steven Weinberg à John Polkinghorne, physicien et pasteur anglican.

3) Qui n'est pas réellement une université, mais une association qui organise des conférences et édite une revue, Convergences. Dans le conseil scientifique de l'UIP, on trouve, entre autres, Olivier Costa de Beauregard, Jean Staune, Anne Dambricourt-Malassé, Rémy Chauvin, Michaël Denton, Bernard d'Espagnat, John Eccles, Ilya Prigogine, Jean-Pierre Luminet, Trinh Xuan Thuan.

4) Voir GOULD (Steven Jay), Rocks of Ages : Science and Religion in the Fullness of Life, Ballantine Books, 224p.

5) Pour de bonnes critiques de la religion, d'un point de vue scientifique, voir : RUSSELL (Bertrand), "Pourquoi je ne suis pas chrétien" , in RUSSELL (Bertrand) Le mariage et la morale, Paris, Éditions 10/18, 1997, 350p. ; RUSSELL (Bertrand), Religion and Science, Oxford, Oxford University Press, 1961, 256p. ; et WEINBERG (Steven), Le rêve d'une théorie ultime, Paris, O. Jacob, 1997, 279p., surtout le chapitre XI.



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