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Freud et la religion

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par Joël Bernat   -   5 mars 2004 [1]

Voir le début de l'article : Freud et la religion



Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.



II. Les trois phases d'évolution de l'humanité


Nous allons maintenant aborder la question par un autre bord, disons un peu rapidement, celui de l'héritage culturel dans lequel nous baignons et qui offre et nous permet de construire des systèmes de croyance.

"Parallèlement à la domination progressive du monde par l'homme, a lieu une évolution de sa conception du monde, qui s'écarte de plus en plus de sa croyance primitive en la toute-puissance et s'élève de la phase animiste à la phase scientifique par l'intermédiaire de la phase religieuse[9]." Affirmation qui s'appuie bien évidemment sur les travaux anthropologiques de l'époque[10] - qui prolongeaient une pensée importante des Lumières - ainsi que sur certains travaux philosophiques, (voir Franz Brentano ou Auguste Comte [11]), l'ensemble restant au service des adhésions de Freud à Lamarck et Haeckel : une évolution, un progrès de l'humanité qui serait transmis phylogénétiquement. Jusqu'à un certain moment. S'il y a une certaine insistance de Freud dans le rappel, de 1905 à 1913, des trois phases d'évolution de la pensée de l'humanité, cela tient peut-être au fait que, peu à peu, il va les relier à trois formes cliniques. Ainsi, par exemple : "on pourrait se risquer à dire qu'une hystérie est une image distordue d'une création artistique, une névrose obsessionnelle celle d'une religion, un délire paranoïaque celle d'un système philosophique."[12] Freud s'explique, sur ce lien des trois phases avec la clinique, quelques années plus tard : "L'hystérique est un indubitable poète, bien qu'il présente ses fantaisies essentiellement sur un mode mimique et sans prendre en considération la compréhension des autres[13] ; le cérémonial et les interdits du névrosé de contrainte nous obligent à juger qu'il s'est créé une religion privée, et même les formations délirantes des paranoïaques montrent une ressemblance externe et une parenté interne qu'on ne souhaitait pas avec les systèmes de nos philosophes. On ne peut se défendre de l'impression qu'ici les malades entreprennent pourtant, d'une manière asociale, les mêmes tentatives pour résoudre leurs conflits et apaiser leurs pressants besoins que celles qui s'appellent poésie, religion et philosophie quand elles sont effectuées d'une manière acceptable pour une majorité."[14] Auparavant, Freud avait inscrit ces constats cliniques dans une explication phylogénétique lamarckienne, qui fut "poussée" à un certain terme dans un texte de 1915 non publié, Vue d'ensemble des névroses de transfert, théorisant le lien entre le type de pathologie et une phase de l'humanité que cette problématique répéterait (thèse encore plus poussée par Ferenczi dans Thalassa).

La thèse freudienne, lamarckienne à cette époque, est la suivante : l'histoire du développement de la libido répète un développement phylogénétique. Le lien pathologie - phase de l'humanité fut d'abord évident pour Freud dans l'association névrose obsessionnelle - religion : "On pourrait se risquer à concevoir la névrose obsessionnelle comme constituant un pendant pathologique de la formation des religions, et à qualifier la névrose de religiosité individuelle, la religion de névrose obsessionnelle universelle[15]". "Le premier, j'avais essayé en 1910 d'aborder les problèmes liés à la psychologie religieuse, en établissant une analogie entre le cérémonial religieux et celui des névrosés. (...) Le Dr Pfister (...) a tenté de rattacher la rêverie religieuse à l'érotisme pervers[16]". En 1928, la religion est conçue comme répétition de la situation œdipienne[17], prolongeant ainsi l'étude amorcée dans le Vinci. Et l'adoption d'une religion, c'est-à-dire d'une névrose de contrainte collective, dispense de la tâche de former une névrose personnelle.[18]Ainsi, "Dans la phase animiste, c'est à lui-même que l'homme attribue la toute-puissance ; dans la phase religieuse, il l'a cédée aux dieux, sans toutefois y renoncer sérieusement, car il s'est réservé le pouvoir d'influencer les dieux de façon à les faire agir conformément à ses désirs. Dans la conception scientifique du monde, il n'y a plus place pour la toute-puissance de l'homme, qui a reconnu sa petitesse et s'est résigné à la mort, comme il s'est soumis à toutes les nécessités naturelles."[19] Mais, la référence aux trois phases, que Freud répète de nombreuses fois, disparaît après les travaux sur la métapsychologie en 1915.

Les phases animiste, religieuse et scientifique révèlent, sous ces dénominations, un cours du processus psychique - lorsqu'il n'est pas entravé ou fixé - cours incessant en ce sens où il prend en charge chaque objet psychique et qu'ainsi, selon nos objets psychiques, nous observons des degrés d'élaborations fort différents. Ainsi, à côté de représentations scientifiques, peuvent exister des croyances animistes ou religieuses. Ceci signifie que ces trois phases du processus psychique ne concernent pas la psyché dans sa globalité (comme si elle était "une"), et qu'il ne s'agit pas de phases au sens d'une représentation génétique, même si l'on observe des prédominances de l'une ou de l'autre dans le développement de l'être humain. C'est ce que nous allons voir en résumant brièvement ces trois étapes du processus psychique.


Suite   >>>   II. 1 - La phase animiste

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Notes

[9] Freud S., "L'intérêt de la psychanalyse", (1913), Résultats, idées, problèmes, tome I, PUF 1984 (p. 209) ; ou Totem et tabou, (1913), Gallimard, 1993, p. 191.

[10] Par exemple, le philosophe et anthropologue célèbre de l'époque, Léo Frobenius écrivait en 1897, dans La civilisation africaine, Ed. du Rocher 1987 : "Le mythe est déjà dans l'essence de l'émotion, mais il demeure muet dans la phase de l'action cultuelle (danses, processions, cérémonies ou imageries), il ne peut être exprimé qu'en une deuxième phase. Puis une troisième où il est condensation dynamique des éléments jadis muets ou invisibles du monde, et libère ses propres interprétations, dit métaphysiquement ce qui couvait inconsciemment chez les auteurs du mythe."

[11] Le positivisme de Comte, que Freud connût grâce à Franz Brentano, est une discipline ayant pour objet la coordination des faits observés sans dépasser les acquisitions de la science expérimentale. Cela exclut toute investigation sur l'essence du réel. L'esprit humain ne peut atteindre le fond des choses et doit se borner à la seule recherche des lois de la nature conçues comme relations invariables de succession et de similitude. Le positivisme repose sur la loi des trois états, en rapport au développement spirituel de l'humanité, de la science comme de l'individu qui passe donc par : a - un état théologique ou fictif où l'homme explique les phénomènes du monde par l'action d'êtres surnaturels, agents détenant une volonté (Zeus est la cause des anomalies de la nature) : c'est un état animiste. b - un état métaphysique ou abstrait équivalent à des théories, qui sont des croyances masquées, où les êtres surnaturels sont remplacés par des êtres abstraits, vides. Stade non productif mais dissolvant, qui mène au suivant. c - un état scientifique ou positif ; la recherche de la cause dernière est abandonnée pour les faits établis : abandon du "pourquoi" pour le "comment". Le fondement de la recherche est l'observation qui permet de connaître les lois générales effectives gouvernant les phénomènes, soit l'utile, le palpable et non le fictif et l'imaginaire. Est positif ce qui est réel et utile, ce qui supprime la séparation théorie - pratique, et vient à la place des prétentions métaphysiques. A. Comte : Cours de philosophie positive (1830 - 1842), Discours sur l'esprit positif (1844), Système de politique positive (1851 - 1854).

[12] Freud S., (1913) Totem et tabou, op. cit., p. 183 ; de même, "Les fantasmes hystériques et leur relation à la bisexualité", texte de 1908, in Névrose, psychose et perversion, PUF 1973, p. 149, ou encore dans Les trois essais sur la théorie sexuelle, (1905), Gallimard 1987.

[13] C'est en cela qu'il diffère du dramaturge : ce dernier possède l'art d'éviter les résistances du spectateur et celui de procurer un plaisir préliminaire tout en permettant de s'identifier au conflit et à ses issues que présente le personnage. Voir "Personnages psychopathiques à la scène", Résultats, Idées, Problèmes, Tome I, P.U.F. 1984, et "Le créateur littéraire et la fantaisie", in Inquiétante étrangeté, Gallimard 1985.

[14] Freud S., "Avant-propos à Théodore Reik, Problèmes de psychologie religieuse" (1919), OCF-P. XV, PUF 1996, p. 213.

[15] Freud S., "Actes obsédants et exercices religieux" (1907), in L'avenir d'une illusion, PUF 1971, pp. 93-4.

[16] Freud S., "Contribution à l'histoire du mouvement psychanalytique", in Cinq leçons de psychanalyse, Payot 1984, p. 113.

[17] Freud S., "Un événement de la vie religieuse" (1927), in Avenir d'une illusion, op. cit.

[18] Freud S., Avenir d'une illusion, op. cit., p. 185.

[19] Freud S., Totem et tabou, op. cit., p. 104.



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