Qu’est-ce que la philosophie
et que peut-elle apporter aux athées ?
par Djhaidgh - 12/10/2005
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Qu’'est-ce que la philosophie et que peut-elle apporter aux athées ?
Le rôle de la science dans la formation des idées athées semble aller de soi. Tandis que celui de la philosophie ne fait pas l’unanimité. Car la philosophie a ce caractère singulier d’être, un jour, le pilier même de la religion, et un autre, le plus violent des détracteurs.
Tout d’abord le rôle de la science n’est pas si évident, historiquement. Pendant de longs siècles, science, religion et philosophie n’étaient nullement séparées par des frontières précises. Au contraire les esprits les plus rationalistes, observateurs et empiristes trouvaient confirmation de leur foi à travers leurs travaux et études.
Pour affirmer que la science est le sine qua non de l'athéisme, encore faudrait-il montrer que la science est née en s’opposant à l’irrationnel. Or, un spécialiste de l’histoire mésopotamienne, Jean Bottéro, montre que la divination a véritablement constitué un creuset pour l’esprit scientifique ; il n’y aurait pas vraiment rupture radicale entre l’esprit divinatoire et l’esprit scientifique.
En effet, la divination tente de recenser minutieusement les faits et de les interpréter. On y retrouve donc des caractères que l’on pensait propre à la science :
le souci d’exhaustivité
le besoin de mise en ordre du monde
etc.
Mais, c’est chez les intellectuels de l’empire abbasside que l’on peut en avoir le plus expressif des exemples. La religion musulmane, plus tardive que les autres grandes religions, était, de manière beaucoup plus conséquente, totalement monothéiste. Beaucoup moins de références aux vieux mythes païens et, donc, plus de place à l’élaboration d’un concept de Dieu plus abstrait et réfléchi.
En étudiant l’œuvre écrite de celui que l’on peut considérer comme le premier faylasuf (philosophe) arabe, al-Kindi, on peut parvenir à imaginer comment philosophie, religion et sciences se confondaient en une même conception du monde. Ce penseur du IXème siècle après J.C était doué d'une connaissance véritablement encyclopédique et qui va bénéficier du mécénat de trois califats abbassides (dont Al-Ma'm?n qui créa à Baghdad la fameuse Maison de la Sagesse).
Al-Kindi adopte la philosophie aristotélicienne, tout en la parant de platonisme.
Dans sa Philosophie première, il définit la métaphysique comme "la connaissance de la Réalité Première, Cause de toute réalité". La connaissance de la métaphysique est la connaissance des causes des choses, la connaissance physique étant simplement la connaissance des choses ; ce qui est de l'aristotélisme pur et simple.
Comme Aristote, il distingue donc deux niveaux de réalité :
- La voie de l’expérience, par la perception sensible, atteint les choses créées, matérielles et mobiles.
- La voie de la cognition rationnelle, "qui est plus proche de la nature des choses", accède à l’universel, l’immatériel, aux choses divines, incréées et immobiles.
Par là, la métaphysique s’attache à l’étude de Dieu, mais elle est aussi celle des lois qui gouvernent le monde, c’est-à-dire, dans l’esprit d’al-Kindi, les lois de Dieu.
La philosophie arabe est la continuation logique du "miracle grec". On pourrait d’ailleurs presque parler d’un ‘miracle arabe’. Avec l’avènement de la philosophie arabe on assiste à un progrès formidable dans les sciences médicinales, mathématiques, astronomiques, sciences dont les grecs avaient tenté de donner les bases. Par suite de ce développement, l’homme savant connaît l’émerveillement devant la nature : tout se passe comme si la nature avait été faite pour lui, Dieu a dédié la nature à l’homme. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles la finalité, la fameuse cause finale d’Aristote, impose sa suprématie dans toutes les sciences et la philosophie.
Paradoxalement donc, c’est la science (la constatation d’un univers merveilleusement agencé) qui renforce la croyance en un Dieu. Ce qui reste mystérieux (la vie, l’âme…) à l’époque où ces domaines ne sont pas encore étudiés scientifiquement, est vénéré comme quelque chose émanant de la toute puissance divine, prouvant sa science infinie par rapport à celle de l’homme. Ainsi donc il serait faux d’assimiler purement et simplement religion et obscurantisme.
De même que la raison grecque s’est tout d’abord méfiée de ce que lui offrait les sens, pour chercher quelque chose d’intelligible, de stable, derrière la réalité mouvante et insaisissable, la philosophie d’al-Kind? va tenter, grâce à l’idée de Dieu, de donner une forme d’intelligibilité au monde qui nous entoure. L’idée d’un Dieu unique comme principe premier du monde va être autrement plus féconde que les hypothèses des premiers philosophes (l’eau, l’air, l’atome…) en matière de désacralisation du monde. Les spécialistes d’histoire de la religion en répandent de plus en plus l’idée : "il y a une illusion évolutionniste qui hante l’histoire des religions : voir dans l’avènement du monothéisme l’aboutissement d’un processus qui, partant d’un polythéisme aux semelles de plomb, collant encore à la nature, aboutit, par un progrès de l’esprit religieux, à la conception du Dieu Un, dans toute sa majesté. Ainsi irait-on d’un obscur et primitif pressentiment du divin à l’affirmation du Tout-Puissant et de sa transcendance" (le monothéisme, ouvrage collectif sous la direction d’André Akoun). Apparemment, l’affirmation d’un Dieu unique semblait accroître la puissance du religieux sur la conception humaine du monde. Il n’en est rien : le temps des Dieux multiples est celui de la plus grande aliénation au sacré, derrière chaque chose pouvait se cacher un signe des Dieux. Le religieux était omniprésent dans la vie de l’homme. Au contraire, le monothéisme contribue au désenchantement du monde et rend possible un certain écart entre le profane et le religieux où l’homme se meut enfin dans un monde qui est entièrement sien. Le monothéisme apparaît ainsi, paradoxalement, comme le meilleur allié de la rationalité humaine. Il était donc naturel que la religion islamique, beaucoup plus conséquente dans son monothéisme que les autres (juive et chrétienne), parce que plus tardive, ait porté certains des plus beaux fruits de la culture humaine, ces savants doués d’une curiosité universelle, embrassant à la fois tous les domaines du savoir : al-Khawarizm? (astronomie et géographie, surtout connu comme le fondateur de l’algèbre), ibn S?n? (philosophie, médecine mais aussi astronomie, mathématiques…), Omar al-Khayyam (poésie, philosophie, astronomie…), ibn Khald?n (philosophie de l’histoire, sociologie…)
Aussi, si aujourd’hui on semble pouvoir se reposer sur les découvertes de la sciences pour fonder notre athéisme, c’est plus par commodité et jugement à l’emporte-pièce que véritablement par esprit critique et rationnel. D’ailleurs, au niveau des croyances, l’éminence d’un scientifique ne l’empêche pas de croire en des choses d’un autre âge… Citons ici Einstein qui disait à peu près cela : "ce qui est incompréhensible dans l’univers, c’est qu’il y ait quelque chose à comprendre !", pensée d’où il tirait une certaine croyance religieuse.
La philosophie peut-elle quelque chose ?
Puisque la science s’avère ne pas être ce qui, à l’origine, fonde notre athéisme ? La philosophie comme recherche sur les fondements peut-elle nous être ici utile ?
En premier lieu, décrétons que la philosophie n’a rien à voir avec ce que l’on nous enseigne dans les lycées, ou dans les "cafés-philo" mondains et tant à la mode. Cette philosophie est constituée par un ensemble de lieux communs que François Châtelet analyse impitoyablement dans son livre La philosophie des professeurs. Ces lieux communs forment en fait l’idéologie dominante actuelle. Parmi les nombreux exemples, citons : "C’est dans la nature de l’homme d’être mauvais", cette phrase si "philosophique" aujourd’hui est lourde de sens politique : cela signifie clairement que changer la société est utopique ! Or, cette idée de nature humaine est depuis longtemps rejetée par les philosophes (Rousseau, Hegel, Feuerbach, Darwin, Marx, etc.) Cette sentence remonte en fait aux théoriciens du pouvoir religieux et conservateur !!!
Alors, qu’est-ce donc que la véritable philosophie ?
Pour cela, il faut revenir aux fondateurs : Socrate - Platon. Platon est en fait la référence première puisque lui a écrit des textes, contrairement à Socrate. La philosophie est pour ces fondateurs une remise en cause du fondement de ce que nous avançons dans nos discours : Qu’est-ce qui nous permet d’affirmer telle ou telle chose dans tel ou tel domaine ? On cherche alors un discours universel ; un discours que tout le monde peut recevoir. Après un discours fondé et universel sur un sujet, chacun devrait acquiescer face à la Raison.
Mais un problème se présente : Que dire à quelqu’un qui ne veut pas rentrer dans la discussion, du genre : "mais je m’en fous de ce que tu me racontes !"
La solution de Platon est d’établir qu’il existe des Idées universelles, existantes dans un monde que le regard ne voit pas, mais qui s’imposent nécessairement à l’esprit de tous. Il développe donc une position idéaliste. Par la suite, comme on le sait, la religion se servira de Dieu. La version matérialiste dira : Nous vivons en société, celle-ci nous impose des normes : on ne peut pas faire ou dire tout ce que l’on veut. La philosophie semble servir, à tour de rôle, les idées matérialistes les plus avancées aussi bien que les idées religieuses les plus singulières. Elle se révèle en fait être le terrain d’une lutte idéologique.
Dans "Science de la science et réflexivité", Bourdieu montrait que, bien qu’il existe des luttes de clans et de laboratoires dans le monde scientifique, en définitive, il y a un certain "arbitrage du réel". Les chercheurs se référant majoritairement aux expériences réelles. En philosophie, les choses sont différentes : en philosophie on n’a pas affaire à un champ structuré mais à des individus isolés qui, bien souvent, ne sont pas philosophes de métier, mais ont des opinions "philosophiques". L’ensemble de ces opinions constituerait ce que nous appelons la philosophie. Peu de personnes s’entendent concernant ce qu’est le discours philosophique, chacun y va de sa propre opinion… la philosophie ne semble pas avoir de normes de discours, en tout cas l’arbitrage du réel n’existe pas…
Aussi, il est par conséquent possible qu’ils ne fassent que relayer des points de vue de classe. La philosophie sera religieuse, idéaliste ou matérialiste selon… La philosophie arabe d’ibn Sina ou d’ibn Ruschd déduisent de l’observation du monde qu’un monde si bien organisé ne peut être que l’œuvre de Dieu. Elle soutenait ainsi sans nécessairement le vouloir le pouvoir en place ; Le matérialisme du XVIIIème siècle œuvre évidemment en faveur de la classe montante : la bourgeoisie.
En tous temps, la philosophie a servi à rendre cohérent une position matérialiste ou idéaliste. Aujourd’hui, les sciences posent des problèmes d’ordre philosophique. "la matière n’existe pas", cette idée, née depuis que notre conception simpliste de l’atome insécable s’est effondrée, tend à prendre le pas et cherche à réintroduire l’idéalisme dans la recherche scientifique… La lutte pour le matérialisme n’est pas finie.
En fin de compte, nous tombons sur un paradoxe, auquel la vie ne semble même pas prêté attention : Notre rationalisme exige que nos choix envers l’athéisme soit solidement fondés, mais la raison se démène pour ne pas nous donner de réponse définitive et irrévocable. Comme pour toutes choses, l’homme est face à un choix, et, ici, la philosophie peut l’aider à rendre cohérent sa position comme à lui en indiquer les faiblesses.