"Nous serons des dieux",
pour une humanité sans eux
par Raúl Ernesto Colón Rodríguez - 20/04/2006
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"Nous serons des dieux", le livre de Hervé Fischer, un auteur franco-canadien qui a pris part à la Biennale de La Havane, est paru à Montréal cette année et nous pouvons déjà affirmer qu´il s´agit de l´un des apports les plus substantiels aux idées de l´athéisme durant ces dernières décennies.
Il paraîtra bizarre de parler d´athéisme en des temps où l´humanité cherche avec ardeur un refuge en des divinités traditionnelles, oubliées ou jusqu´à nouvelles, cela peut paraître inopportun, quand des centaines de millions d´êtres humains sont si sensibles au traitement de ces sujets, tant en Orient qu’en Occident. Cependant, il est nécessaire, je dirais même vital, pour tous, athées et croyants, de pouvoir réfléchir, comme le fait Fischer sur un sujet incombant à tous les êtres humains et qui possède une importance capitale pour l´espèce, mais laissons l´auteur lui-même nous offrir l’une de ses réflexions :
"Il n´est donc pas sûr que les hommes veuillent changer beaucoup, même s´ils se détestent parfois eux-mêmes. Nous sommes encore analphabètes de nous-mêmes. Nous le nous serons sans doute toujours ; mais il ne faut cesser d´apprendre à lire notre nature et à écrire notre vie, à composer à plusieurs mains, collectivement, un chef-d’œuvre humaine qui sera notre destin. Nous en avons déjà une ébauche, encore très médiocre, mais que nous pouvons tendre sans cesse à corriger."
Pour ceux qui comme moi, lors de leurs études universitaires ont approché, même brièvement, l´histoire de la pensée athéiste de l´humanité, un livre comme celui qui vient d´être publié au Canada, contient de nombreux développements de topiques que nous abordons à un certain moment sans leur donner suite. Nous rappellerons avec Fischer la tradition de la pensée libertaire et humaniste depuis un panthéisme matérialiste au style de Spinoza, en passant par un matérialisme historique marxiste, parmi de nombreux autres, jusqu´à arriver à la proposition de l´auteur : l´hyper humanisme : une réforme étique de la civilisation.
Il est nécessaire de connaître la tradition de la pensée philosophique française pour comprendre un livre comme celui-ci. Le pays qui donna au monde le siècle des lumières, avec sa pléiade de lumineux penseurs, avec le gouvernement révolutionnaire qui a prétendu abolir pendant quelques années la religion monothéiste dominante, en essayant d´imposer le culte à la raison, pour rompre avec le système précédent qui légitimait la monarchie : le système providentiel et divin, a été sans doute l’un des moments les plus sublimes qu´a eu cette grande révolution bourgeoise. Tout cela a engendré une tradition de pensée et de propositions libertaires, dont Fischer se sent l’héritier, dans son livre il cite abondamment, un Babeuf utopique, en passant par l´existentialisme sartrien, ou la théorie récente de la complexité, dont l’un des défenseurs est Edgar Morin, (qui est venu récemment dans notre pays pour un événement philosophique). Fischer cita savamment de nombreux philosophes allemands, européens ou orientaux qui ont ouvert des chemins sur l´athéisme, et ceci est l’un des grands mérites du texte.
Le livre de Fischer n´est pas seulement une actualisation de l´athéisme, bien que je pense que ce soit son plus grand apport, mais il traite les plus importants sujets actuels des civilisations, mais laissions de nouveau l´auteur nous le dire :
"L´homme libéré des dieux païens par les monothéismes, libéré du dieu unique occidental par la Révolution et le culte à la Raison, libéré d´un ordre social dit naturel par la sociologie, libéré, si je puis dire, du rationalisme par le postmodernisme et de la sociologie par le marketing, ne s’est pas encore pour autant affranchi de ses mythes, quoi qu’aient pu dire et faire la psychanalyse et l´athéisme. Même s’il croit accéder désormais à une distanciation critique vis-à-vis des dieux, de la société et de lui-même, il demeure dans un rapport aliénant de l´univers. De cela il ne peut se délivrer si facilement, car le langage lui-même dans lequel il tente de s’en libérer est constitué de métaphores pleines de mémoire mythique. Même le rationalisme et la science ils ne peuvent se soustraire à la syntaxe et aux analogies du langage, qui représentent autant de condensations archaïques, irréductibles à de simples signes opératoires."
Le langage, mais aussi le sens de la vie, une éthique planétaire dans le siècle du "choc du numérique" (un autre texte fischérien que nous recommandons), sont certains des thèmes que nous trouvons dans ce texte et pour cela il serait très séduisant de pouvoir disposer d’une traduction en espagnol rapidement, l´utilité en serait évidente dans notre pays.
C’est un livre, comme celui de Bertrand Russell, intitulé "Pourquoi je ne suis pas chrétien" qui déplaça les fondations de l´ordre mythique établi, (au moins dans l´intellectualité de son époque), qui nous fera réfléchir sur notre rôle comme espèce et comme forme de vie, sur cette planète, dans ce système solaire et dans cette galaxie, pour arriver tous, un certain jour, à la conviction que nous propose Fischer, dans le sens que "créer est notre destin" et pour cela il est nécessaire d´assumer que nous sommes et serons, les seuls dieux.