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Freud et la religion

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par Joël Bernat   -   5 mars 2004 [1]

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I. Le "besoin de croire" comme conséquence physiologique et ontologique ?


Cela peut sembler étonnant que d'annoncer qu'il existerait une raison physiologique et ontologique au besoin de croire. La thèse de Freud s'appuie sur le fait suivant :


1 - Inachèvement physiologique biologique de l'être humain.

Une particularité fondamentale du petit humain, comme beaucoup de mammifères, est de venir au monde : inachevé. En effet, si nous le comparons avec un poussin, celui-ci est d'emblée capable de marcher, trouver sa nourriture et la picorer, et peut différencier de suite le vol d'un pigeon ou d'un faucon et se cacher, etc. Le petit humain poursuit sa maturation pendant un long temps, en une sorte de grossesse externe, non plus dans un utérus mais dans l'enveloppement procuré par les soins vitaux.

Cet état produit une première phase de dépendance, que l'on pourrait qualifier de physiologique (besoins vitaux, protection, etc.), dépendance qui a son envers lorsque les oins tardent ou manquent, les états de détresse du nouveau-né (lié au fait qu'il est totalement incapable de satisfaire à ses besoins).

En même temps, on observe la création d'un nouvel état, psychique celui-ci, celui de la satisfaction hallucinatoire du désir : dans l'attente du soin dont il a l'expérience, des représentations peuvent venir en différer la réalisation, mais dans un état particulier, une sorte d'hallucination. (Nous verrons plus loin le destin de ce processus).

Ces états premiers de la vie de chaque individu ont un destin, avec le développement d'un autre type de nourriture (non plus physiologique mais psychique : affection, parole, jeu, connaissances, etc.), ce qui produit, non plus une dépendance physique, mais une dépendance psychique, qui, dans un premier temps, s'exprime dans la relation aux parents. Cette dépendance a un envers, celui de la croyance en la toute-puissance des parents, qui seront plus tard représentés comme des Géants (ils le furent physiquement), des Grandes Déesses et des Dieux, ou, encore, des Magiciens (car l'ont croit qu'ils savent tout et tout faire). Cette toute-puissance a aussi son avantage, celui de se sentir protéger et aimer. Cette période va perdurer, déposant dans nos psychés ce que nous nommons la croyance en une toute-puissance (infantile) du geste et du mot, dont nous avons vu une manifestation avec Faust : c'est dire qu'elle ne nous lâche pas, et que d'ailleurs, nous y tenons.

Notons enfin que cette toute-puissance a pour particularité d'agir au niveau des liens de causalité (nous y reviendrons) : en effet, lorsqu'une causalité échappe à notre entendement, ce sont des liens da causalité magiques qui viennent offrit une explication.


2 - Sehnsucht ou le désir nostalgique

L'enfant ayant grandi, progressé dans la conquête de son autonomie, nous observons une nouvelle période de sa constitution psychique : avec la sortie de l'enfance et de la dépendance, apparaît une sorte de nostalgie. En effet, un envers de l'indépendance se constitue autour du souvenir de ce temps premier fait d'amour et de soins, s'accompagnant du sentiment de perte (telle une Chute), perte de l'enfance et de l'infantile, chute hors du monde du merveilleux, des contes de fée, etc. Cela vient tracer une ligne de partage, dans la psyché, entre le monde et sa réalité ainsi que le désir d'être un individu autonome, et la nostalgie d'un univers magique et merveilleux. Ce partage se repère aisément dans des états psychiques, tels que :
  • la mélancolie ("l'enfance, c'était le bon temps !", mais on oublie les cauchemars, les peurs, les vécus d'abandon, etc.) ;
  • la culpabilité ("je suis nul, je me suis fait chuté, incapable de créer mon monde") ;
  • le ressentiment ("le monde est moche, pourri, et de plus en plus ! Ils m'ont fait perdre mes illusions ou mes idéaux, ils m'ont jeté hors de la vie, etc.").
Au fil des séparations progressives d'avec l'univers de l'infantile, une Sehnsucht se constitue et s'exprime sur plusieurs registres :
  • retrouver ce qui est pensé après-coup comme ayant été un Eden ou Nirvâna, fait de bras et d'enveloppes protecteurs, sur un plan physique ;
  • au plan psychique, retrouver le monde de l'infantile, celui des magiciens, des Géants et des dieux, et donc la toute-puissance des gestes et des mots (la dissolution de soi dans la jouissance, l'âme-sœur, le Un, la Vérité, la Science ou le Concept, le système universel, la Parole Révélée, le Dieu, etc.) ;
  • retrouver une masse ou une grégarité, un groupe (familial), une institution ou un État (la "mère-patrie"...) fait de bras, d'enveloppes (autos) et de liens (portables, net, etc.).
Soit autant de formes qui offrent :
  • un sentiment retrouvé de protection, de satiété, illusoire ou non, face à un environnement hostile (la nature et ses tempêtes, les humains et leur violence, etc.) ;
  • et de façon plus psychique, le sentiment que l'on veille sur nous de façon protectrice (les Dieux, les astres, l'État, etc.).
Ainsi, l'on ne ferait que quêter un Graal perdu, l'état de dépendance bienheureuse de la première enfance, quête qui nous fait investir des objets nouveaux toujours dans l'espoir d'une retrouvaille (en une attente de satisfaction hallucinatoire). Dans le souhait de réaliser cette Sehnsucht, ce désir nostalgique des temps premiers, on ne fait que déplacer. Mais ce qui est visé et espéré comme étant devant soi est, en fait, notre passé, reprojeté.


3 - La croyance comme réparation ?

Nous voici donc tous, chacun à notre façon, en quête d'utopies aussi diverses que variées... Utopies réparatrices en ce qu'elles sont des tentatives de retrouvailles du Paradis Perdu, retrouvaille soit dans la réalité du monde, soit dans la pensée aussi bien scientifique qu'imaginaire. Ainsi que Brecht l'écrivit assez justement[6], l'utopie c'est croire pouvoir changer le monde, c'est-à-dire, en fait, retrouver le sien. Mais il est remarquable que ce mouvement ou quête de la retrouvaille suscite très souvent une sorte de nouveau mythe, une sorte d'idée nécessaire, celle de la croyance en un Progrès de l'Humain (invention du XVIIe), qui donnerait du coup un sens à la vie, selon un cycle ou une vision-du-monde chrétienne : Paradis à chute à Paradis. La religion tire en effet sa force de sa promesse de retrouvaille, de retour à l'état supposé heureux d'origine. De même, la promesse de Vie Éternelle est celle d'une vie d'avant le temps, d'avant la séparation de l'enfance, d'un temps sans temps sinon celui des cycles biologiques, un temps où n'existait pas la conscience du temps. Retrouvaille promise aussi de la Félicité, une nourrice parfaite : il n'y a plus de manque (voir les mystiques). La croyance est une adhésion hallucinatoire contre toute réalité et grâce au refoulement de l'histoire. Ainsi, le besoin de croire serait :
  • un désir nostalgique de retrouvaille du temps de la dépendance (fantasme du ventre maternel, d'être un dans le tout, la métaphysique, etc.) Religion et utopies ont un point commun, la "nécessité du Tout ou du Un", promettant la réparation ou une défense contre la nostalgie / mélancolie de la fusion perdue ;
  • grâce à l'illusion de la toute-puissance magique de la parole et de l'acte (ce que le mercantile exploite). Cela peut tenir tant qu'il ne se passe rien (exemple : la coupure d'électricité, la tempête, etc...)
Croire serait refuser la séparation pour une massification ou une fusion maintenues dans l'illusion de la ré-union. Mais il y a une ambivalence psychique fondamentale : le désir de re-fusion et sa jouissance, a son envers, l'angoisse - qui s'y oppose - d'auto-dissolution (du moi). De plus, à cette réunion s'oppose radicalement éros, la pulsion de vie : car elle pousse à l'écart, à la séparation, la différenciation - et c'est donc une source d'angoisse. éros pousse vers le monde et vers l'individuation, et c'est en cela qu'il est l'ennemi, le diable, pour toute religion (d'où son refoulement dit "civilisateur").Enfin, une dernière remarque : croyances utopiques ou religieuses ne tiennent que si il ne se passe rien. Pour illustration, un conte d'Ésope ("La mer et le naufragé"[7]) nous semble indiqué : "Rejeté sur la côte, un naufragé recru de fatigue s'était endormi. Peu après, il revint à lui ; voyant la mer, il lui reprocha d'enjôler les hommes par son air tranquille, pour se déchaîner furieusement et les exterminer dès qu'elle les avait accueillis. Alors la mer prit l'apparence d'une femme et lui fit cette réponse : "Homme, ne t'en prends pas à moi, mais aux vents : car pour ma part, je suis naturellement telle que tu me vois à présent ; ce sont eux qui m'attaquent par surprise, m'agitent, et me rendent furieuse."

De même, nous ne devons pas rendre responsable d'un crime ses exécutants, lorsqu'ils ne sont que de simples subordonnés, mais bien les chefs auxquels ils sont soumis.
Hans Blumenberg[8] prolonge la fable d'Ésope, prenant la défense des vents, puisque le naufragé ne peut que tourner son accusation vers eux, la mer s'étant mise sur un pied d'égalité avec la terre ferme en une argumentation physique. Ils auraient pu dire : "La mer n'est pas comme la terre. Quand nous nous jetons sur celle-ci, elle ne bouge pas. Pour qu'elle bouge, il lui faut l'intervention du maître des tremblements de terre. Si la mer ne se montrait pas docile avec nous, il n'y aurait pas de vagues ni de naufrages."


Suite   >>>   II. Les trois phases d'évolution de l'humanité

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Notes

[6] ("L'Utopie c'est savoir que le monde a besoin d'être changé et sauvé.")

[7] Ésope, Fables, GF-Flammarion, 1995, p. 171.

[8] Hans Blumenberg, Le souci traverse le fleuve, L'Arche, 1990.



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