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"Respect de la foi des autres" et intolérance :

Les liaisons dangereuses


par Jean-François Moizan  -  25/01/2015




Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.




La couverture du N°1178 de Charlie Hebdo, premier numéro qui a suivi la tuerie dans la salle de rédaction le 11 janvier 2015, a encore fait couler beaucoup de bile, et suscité la polémique.

Grosso modo, la question tourne autour de ceci : la caricature de Mahomet, à défaut d'être illégale en France, est-elle une faute morale, dans la mesure où elle blesse certaines personnes ? Doit-on respecter la foi de certaines personnes en s'abstenant de toute caricature ?

Voilà qui mérite analyse ! Certains points ci-dessous ont été largement repris des commentaires récents sur l'actualité ; auxquels j'en ajoute d'autres, m'amenant à penser que sous couvert de respecter la foi des autres, se manifeste en réalité de l'intolérance. J'appuie mon discours sur l'actualité, mais on pourra généraliser le propos. Pour des considérations générales sur la tolérance et la laïcité, je renvoie au début de mon article précédent. Les deux dialogues que j'ai inséré plus bas, proviennent du film "Le Nom de la Rose".

De l'absence du délit de blasphème

On peut commencer par rappeler ce fait simple : en France, le délit de blasphème n'existe pas. Sauf, par incohérence historique, en Alsace-Moselle. Soit dit en passant, si un jour nos législateurs pouvaient homogénéiser le droit sur ce point (et sur d'autres particularismes de l'Alsace-Moselle, où rien ne justifie une divergence par rapport au reste du territoire), ça serait bien.

Donc, blasphémer n'est pas un délit. Je n'irais pas jusqu'à dire que c'est un droit ; en tout cas si c'en était un, je ne le mettrais pas au même niveau que le "droit au logement" par exemple. Autant se loger est un besoin fondamental, autant blasphémer n'en n'est pas un (du moins pas aussi universellement répandu que le besoin de se loger).

Du non-sens d'un délit de blasphème dans un État laïque

Dans un État laïque, il ne peut exister de délit de blasphème, dans la mesure où le contraire serait reconnaître à une religion le pouvoir de créer du droit. Or par définition, l'État laïque ne se mêle des cultes ; et surtout il laisse chacun libre de son culte ou absence de culte : un culte ne peut donc imposer aux autres ses propres règles. Chacun est libre de ne pas se donner les interdits d'un autre culte. Les règles communes se décident démocratiquement, pas par quelques-uns.

De la prétention extraordinaire des religions (concernant les caricatures de Mahomet, et aussi pour le reste) à vouloir prendre leur cas pour une généralité

Le propre d'une religion, au moins pour les trois religions du Livre, c'est de relier des gens par l'adhésion à des normes et croyances arbitraires. Et, par conséquent, de créer une frontière identitaire entre ceux qui en sont, et les autres. Or, une croyance est un acte de foi, c'est l'adhésion inconditionnelle à une idée, en l'absence de toute preuve et en renonçant à tout examen critique. La croyance ne laissant pas de place au doute, elle ne peut donc être vue que comme universelle par celui qui croit ; comme devant concerner a priori tout individu.

Il y a donc, intrinsèquement, un potentiel d'intolérance dans toute religion de ce type (basée sur le renoncement à la raison). Selon les religions, les époques, les lieus et les individus, cette intolérance se manifeste ou non.
"Guillaume de Baskerville : Personne ne devrait se voir interdire de consulter ces livres.
Adso : Peut-être sont-ils considérés comme trop précieux ? Trop fragiles ?
Guillaume de Baskerville : Non, ce n'est pas cela. C'est parce qu'ils renferment souvent une sagesse différente de la nôtre, et des idées qui pourraient nous amener à douter de l'infaillibilité de la parole divine.
Et le doute, Adso, est l'ennemi de la foi."
En tout cas, il faut le redire haut et fort : non, aucune religion ne peut prétendre imposer ses règles à la terre entière. Les interdits d'une religion ne concernent que ceux qui adhèrent à cette religion, pas les autres. Enfin, quand je dis "adhérer", je me comprends. on pourrait aussi avoir un regard critique sur les conditions qui ont amené quelqu'un à adhérer à une religion. En général ce n'est pas par libre choix éclairé.

De la toute relativité de cette fameuse interdiction à représenter Mahomet

Des articles récents parus dans la presse française le rappellent : cette interdiction n'a pas toujours existé. Elle serait apparue vers le XVIIIe siècle, en partant d'une interdiction plus générale de représenter un visage humain ; et elle n'est pas universellement répandue dans le monde musulman. Actuellement, l'Iran et la minorité chiite n'ont pas cette interdiction.

Mais ceci étant dit, ça ne change rien au propos. Même s'il y avait homogénéité totale de l'Islam sur ce point, ça ne serait pas une raison pour que cet interdit s'impose à tout le monde. En tout cas, le fait que cet interdit soit à "géométrie variable" donne autant de raisons de s'en garder : maintenant c'est Mahomet, mais demain ? L'interdiction de dessiner une femme non voilée ? L'interdiction de dessiner un homme voilé ? Encore une autre interdiction ?

De l'absurdité qu'il y aurait à prendre son cas pour une généralité et à imposer ses convictions à tout le monde

On peut imaginer des exemples à l'infini : un végétarien pourrait vouloir interdire les couvertures des magazines de cuisine qui montrent des plats de viande, un marchand de journaux pourrait vouloir bannir "Le Figaro" de son étalage parce que sa ligne éditoriale est contraire à ses convictions, un opposant à la peine de mort pourrait vouloir faire démonter toutes les croix aux sommets des églises parce que ça évoque un instrument de peine capitale, etc.

Charlie Hebdo est écrit par des athées anticléricaux, pas par des islamophobes...

Charlie Hebdo critique les excès et le sectarisme de certains (concernant les religions, ou d'autres systèmes de pensée d'ailleurs). Il ne vise pas spécifiquement une religion plutôt qu'une autre, et ne critique pas les adeptes d'une religion en général.

Quelle que soit la cible, ce journal utilise la caricature et l'humour (parfois de mauvais goût) comme moyen d'expression au service des idées qui sont les siennes. Est-ce que c'est une forme d'expression efficace, est-ce que ça prêche d'autres que des convaincus ? Peut-être pas, mais ce n'est pas le débat.

... et personne n'est obligé de lire Charlie Hebdo !

Si le fond et la forme de Charlie Hebdo ne plaisent pas à tout le monde, eh bien que l'on se rassure : personne n'est obligé de lire Charlie Hebdo ! Il n'est pas affiché à l'entrée des mairies ni enseigné à l'école publique. C'est une publication privée, et chacun a parfaitement le droit d'ignorer son contenu. La liberté d'expression va de pair avec la liberté de ne pas écouter l'expression.

"Respecter la foi des autres" : un piège sémantique et une fausse bonne idée

Suite à la publication des caricatures, dans un bel esprit de corps, même le pape des catholiques s'y est mis : la liberté d'expression, oui, mais attention à respecter la foi des autres. Attention ! Dans l'expression "respecter la foi des autres", il y a plusieurs pièges sémantiques.

D'une part, je trouve que le terme "respecter" est à utiliser avec modération, vu sa proximité sémantique avec "obéissance". On devrait en réserver l'usage aux situations où un sujet se trouve dans une situation de devoir inconditionnel par rapport à une autorité quelconque. Là, on parle simplement d'une situation d'égal à égal entre deux personnes. Plutôt que de parler de "respect", on devrait simplement parler des "droits et devoirs" de chacun.

D'autre part, l'injonction de "respecter la foi des autres" est un amalgame verbal très habile entre deux injonctions très différentes :
  • "Laisser le droit à chacun de croire à ce qu'il veut",
  • "Interdire de critiquer ce à quoi il croit".
Or, autant la première injonction relève de la tolérance la plus élémentaire (et à ce qu'il me semble, Charlie Hebdo respecte parfaitement ce droit), autant la seconde injonction relève bel et bien de l'intolérance !

Rejet de la concurrence par conservatisme

Le pape, ainsi que les représentants des autres religions, aimeraient bien faire taire toute critique, toute expression non autorisée à l'endroit de leur boutique. Tous les moyens sont bons, y compris le piège sémantique précédent. Il s'agit en réalité d'une attitude conservatrice de leur part, d'une recherche d'un STATU QUO basé sur des positions établies, et d'une attitude anticoncurrentielle. C'est comme si Skoda voulait interdire à Renault de faire une publicité comparative entre les voitures Renault et Skoda, en arguant que ce serait blessant pour les possesseurs de Skoda !

Or, sauf à avoir une conception fixiste du monde, il est essentiel que les idées puissent circuler librement et être confrontées. Que des idées puissent naitre et se développer, que d'autres puissent régresser et mourir. Dans un monde libre, les idées sont libres, on a le droit de défendre ses propres conceptions, et d'attaquer les conceptions des autres. Mais avec des mots et des dessins, pas avec des armes. Et aucune religion n'est au-dessus de ces principes ; aucune ne mérite un "respect" particulier, ni ne bénéficie d'un statut particulier, d'une "immunité diplomatique" qui la rendrait inattaquable ; aucune ne peut prétendre à une restriction de la liberté d'expression.

Apprendre à vivre dans un monde où d'autres expriment des idées contraires

Tout cela suppose que chacun fasse l'effort, peut-être immense pour certains, d'accepter l'expression d'idées contraires aux siennes, voire même contraires à ses convictions les plus intimes. À ne pas se rendre malheureux à la vue ou à l'évocation d'un dessin. Si des personnes se sentent personnellement agressées par des dessins qui ne les visent pas en tant qu'individu (qui ne sont pas diffamatoires, et qui n'insultent pas leur personne propre), c'est qu'il y a une révolution de l'égo à opérer : une révolution pour ne plus s'identifier à ses propres convictions, pour ne plus souffrir d'expressions contraires à ses propres convictions. À ne plus être prisonnier de sa pensée et laisser sa propre pensée provoquer de la souffrance. Certains auteurs grand public, qui sont tout sauf des athées enragés, nous montrent le chemin de façon admirable :
  • Eckhart Tolle dans "Le pouvoir du moment présent".
  • Don Miguel Ruiz dans "Les quatre accords toltèques".
  • Christophe André dans "Imparfaits, libres et heureux".
Malheureusement, certains discours religieux vont exactement en chemin inverse. le fonctionnement de certaines religions par croyance en tant qu'acte de foi, par renoncement à toute raison et tout doute, rend ce travail d'autant plus difficile. Il a été dit que certains jetaient de l'huile sur le feu. on voit trop facilement l'huile avant le feu !

Il y a aussi une révolution de l'humour à faire chez certains !
"Guillaume de Baskerville : Mais qu'il y a-t-il de si inquiétant dans le rire ?
Jorge : Le rire tue la peur, et sans la peur il n'est pas de foi. Car sans la peur du diable, il n'y a plus besoin de Dieu.
Guillaume de Baskerville : Mais vous n'éliminerez pas le rire en éliminant ce livre.
Jorge : Non, certes. Le rire restera le divertissement des simples. Mais qu'adviendra-t-il si, à cause de ce livre, l'homme cultivé déclarait tolérable que l'on rit de tout ? Pouvons-nous rire de Dieu ? Le monde retomberait dans le chaos."

Pourquoi je n'arrête pas d'utiliser le mot "certains" ?

Parce que je ne veux pas généraliser mon discours et mettre les gens dans des boîtes. Je m'adresse avant tout à des individus et des comportements individuels, pas à des catégories. Je ne fais absolument aucun amalgame du genre "Musulmans = Islam = Coran" (pour rester sur le cas concret dont je suis parti).



Jean-François Moizan
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