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II. La peine de mort en droit arabe aujourd'hui
1) Maintien limité des normes pénales islamiques
La plupart des pays arabes ont abandonné les sanctions coraniques, optant pour un système de sanctions repris principalement de l'Occident. Il reste cependant quelques pays qui continuent à recourir aux sanctions dites islamiques ou y sont retournés. Ainsi, l'Arabie saoudite continue à appliquer les sanctions islamiques contre des délits comme le vol, l'adultère, l'atteinte à la vie et à l'intégrité physique et l'apostasie , alors que l'Égypte a abandonné ces sanctions.
Le Soudan a appliqué le droit pénal musulman depuis le mois de septembre 1983 jusqu'au coup d'État de mars 1985 qui a renversé le président Numeiri. Cette expérience a été bénéfique pour l'Égypte en faisant échouer le projet pénal islamique de 1982, écarté en mai 1985. Le Soudan, cependant, a renoué avec le droit pénal musulman avec un nouveau code pénal musulman de 1991 aussi sévère que le précédent où toutes les sanctions pénales islamiques y sont prévues.
La peine de mort reste cependant une sanction admise par la législation des pays arabes qui appliquent le droit musulman comme ceux qui l'ont abandonné. Signalons ici que sur les 57 pays qui ont ratifié le Deuxième protocole facultatif de 1989 se rapportant au Pacte civil visant à abolir la peine de mort, seuls l'Azerbaïdjan, Djibouti, la Turquie et le Turkménistan parmi 57 pays musulmans l'ont fait. Au Proche-Orient, le seul pays à avoir aboli la peine de mort est Israël. Cependant, il s'agit d'une abolition formelle, une manière de se montrer "civilisé" et "démocrate". En effet, ce pays procède souvent à des exécutions extra-judicaires. Et cela constitue une forme encore plus sournoise d'atteinte à la vie faite sans procès, sans présence d'avocat et sans appel.
On évoque actuellement en Jordanie non pas l'abolition de la peine de mort, mais la réduction de nombre des délits passibles de cette sanction. Un projet de loi va dans ce sens, mais il rencontre une opposition de la part du public. Un journaliste écrit à cet égard que la pire accusation qu'on puisse adresser à ce projet pour empêcher son adoption serait de dire qu'il a été dicté par la pression d'organisations abolitionnistes internationales. Il récuse une telle accusation "non justifiée" et affirme que le but du projet n'est pas d'aboutir à l'abolition de la peine de mort, et qu'il émane de la conviction que certains délits ne méritent pas la peine de mort. Lui-même soutient le gouvernement dans ce sens, mais serait opposé à une abolition totale de la peine de mort. Le barreau jordanien a mis en garde le gouvernement jordanien contre les conséquences de l'abolition de la peine de mort, indiquant que la démarche du gouvernement est le résultat de la pression d'organisations "suspectes" comme l'américaine Human Rights watch qui fait toujours usage de deux poids deux mesures.
L'Algérie se dirigerait vers l'adoption d'une loi abolissant la peine de mort. Déjà en juin 2004, le ministre algérien de la Justice, Tayeb Belaïz avait annoncé la volonté de l'abolir pour des délits autres que le terrorisme, l'atteinte à la sécurité de l'État, la trahison et les crimes d'infanticide et de parricide. Il a précisé que l'Algérie est confrontée au problème des extraditions de certains criminels que les pays hôtes refusent de lui remettre justement en raison de l'existence de la peine capitale. Actuellement on parle d'un projet prévoyant l'abolition totale, mais on ignore quand ce projet serait adopté.
2) Positions arabo-musulmanes au sein de l'ONU
Sur requête du Secrétaire général concernant le 2ème protocole facultatif du Pacte civil en vue de l'abolition de la peine capitale, trois pays arabes et musulmans ont répondu comme suit :
L'Algérie dit que la peine capitale existe dans sa législation mais qu'il n'est pas exclu que l'on assiste, à terme, à une abrogation "de fait" de cette peine.
Le Pakistan s'est déclaré "dans l'impossibilité d'adopter quelque mesure que ce soit visant à échéance l'abolition de la peine capitale" en raison de sa constitution qui "impose l'application de la Shari‘ah islamique". C'est pourquoi, "des lois, conformes aux prescriptions de l'Islam telles qu'elles sont exposées dans le saint Coran et dans la Sunnah, prévoyant la peine capitale pour certains crimes ont été appliquées et continueront de l'être au Pakistan".
Le Qatar dit qu'il a limité dans une large mesure l'application de la peine de mort, réservée aux crimes les plus graves. Il estima néanmoins "qu'il est nécessaire que la loi continue de prévoir la peine capitale. Il s'agit d'une peine juste, dissuasive et décisive dans un nombre limité de cas et dans des circonstances précises énoncées dans la législation en vigueur". Il ajouta que la Shari‘ah est "la source principale de sa législation. Ce droit prescrit la peine de mort pour des crimes dont les auteurs méritent d'être éliminés de la société, tels que le meurtre prémédité et la sédition". Pour ces raisons, il entend maintenir la peine capitale.
La représentante du Maroc à la 3ème Commission dit le 27 octobre 1981 qu'elle "espère que durant ces débats (sur la peine capitale) les partisans de l'abolition de la peine de mort feront preuve de patience et de mesure, en s'abstenant notamment d'émettre des jugements de valeur sur la peine de mort, qui reste en vigueur dans 115 pays pour des raisons que ces derniers doivent estimer valables".
Dans sa résolution 2005/59 du 20 avril 2005, la Commission des droits de l'Homme des Nations unies s'est prononcée en faveur d'un appel à l'abolition de la peine de mort, exhortant les États dans lesquels la peine capitale reste en vigueur à un moratoire en vue d'une abolition totale. Cette résolution a été adoptée par 26 voix contre 17, avec 10 abstentions, comme suit :
Ont voté pour :
Afrique du Sud, Allemagne, Argentine, Arménie, Australie, Bhoutan, Brésil, Canada, Costa Rica, Équateur, Fédération de Russie, Finlande, France, Honduras, Hongrie, Irlande, Italie, Mexique, Népal, Paraguay, Pays-Bas, Pérou, République dominicaine, Roumanie, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, Ukraine.
Ont voté contre :
Arabie saoudite, Chine, Égypte, Érythrée, États-Unis d'Amérique, Éthiopie, Guinée, Indonésie, Japon, Malaisie, Mauritanie, Pakistan, Qatar, Soudan, Swaziland, Togo, Zimbabwe.
Se sont abstenus :
Burkina Faso, Congo, Cuba, Gabon, Guatemala, Inde, Kenya, Nigéria, République de Corée, Sri Lanka.
On constate qu'aucun pays musulman n'a voté pour cette résolution. Dans le rapport du Secrétaire général des Nations Unies relatif à la peine de mort du 12 janvier 2006 , l'Algérie indique que depuis 1993, l'Algérie a décidé de suspendre l'exécution de cette peine et s'est engagée sur la voie de l'élimination progressive de la peine de mort. Depuis 2001, l'Algérie s'efforce de réduire le nombre de catégories de délits passibles de la peine de mort. Dans un premier temps, cette peine a été abolie pour les délits économiques. L'Algérie est en train de réviser sa législation, notamment le Code pénal, et l'abolition de la peine de mort est envisagée pour plusieurs délits.
Le Gouvernement du Maroc dit que le Code pénal est en cours de révision afin de réduire progressivement le nombre de délits passibles de la peine de mort jusqu'à un minimum comprenant les délits les plus graves et les plus répréhensibles. L'abolition de la peine de mort fait l'objet d'un débat national. La question a été discutée au cours d'un séminaire sur la politique en matière pénale organisé par le Ministère de la justice en 2004. La Charte nationale des droits de l'homme de 1990 préconise explicitement l'abolition de la peine capitale et de nombreuses organisations de la société civile l'exigent aussi. Si l'on s'oriente dans cette direction, la question figurera dans la liste de priorités fixées par le comité chargé de modifier le Code pénal. La peine de mort est prévue par la législation marocaine, mais n'est appliquée que dans de rares cas de délits graves. Les tribunaux prononcent rarement la condamnation à mort. Entre 1994 et 2005, 152 condamnations ont été prononcées.
3) Amnesty International et l'Arabie saoudite
La peine de mort fait l'objet de polémique entre cette organisation et l'Arabie saoudite. Ainsi, dans son rapport du 15 mai 1993, elle a critiqué l'augmentation des cas d'exécution dans ce pays. Pour la seule année 1992, dit le rapport, 105 personnes ont été exécutées publiquement.
L'Ambassadeur de l'Arabie à Londres a répondu que les peines islamiques qu'applique son pays sont prévues par le Coran. Il s'étonne devant le mépris qu'Amnesty international affiche à l'égard des croyances des musulmans en affirmant que la peine de mort prévue par le Coran constitue une peine cruelle et inhumaine. Il souhaite que cette organisation qui prétend croire à la liberté admette la liberté d'autrui à appliquer le système qu'il a choisi et non pas le système forgé par les philosophes de cette organisation. Par ces prises de position, elle se mue en une organisation contraire à l'Islam.
Amnesty international répliqua que sa lutte contre la peine de mort est indépendante des religions et des régions et découle de sa croyance que cette peine est contraire au principe du droit à la vie. Elle signala aussi que les condamnés ne bénéficient pas des garanties d'un procès équitable : aveux obtenus sous la torture, absence de commission indépendante pour enquêter sur des cas de torture, déni du droit d'avoir un avocat.
L'ambassadeur saoudien à Paris, répondant à un éditorial du journal Le Monde, dit que son pays "applique, certes, conformément à la loi coranique, le châtiment suprême à l'encontre des meurtres prémédités, le viol et l'assassinat des femmes et des enfants et le trafic de drogue. L'exécution se fait en public, c'est l'expression de la foi d'un peuple croyant et le droit d'un État souverain d'appliquer sa loi".