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L'hygiène du blasphème

par Michel Bellin  -  14/07/2005





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"Ce que je reproche le plus au christianisme, c’est d’ajouter à l’absurdité du réel la niaiserie d’une explication."

      Voilà un de mes aphorismes qui me tient vraiment à cœur. A la fois fondement et défi permanent : face à la bouffonnerie élevée au rang de Révélation, que faire sinon s’esclaffer ou ironiser ? Car on peut dire que le christianisme aggrave son cas : si Dieu s’était contenté d’être YHWH, si Mahomet s’était contenté d’être le prophète d’Allah, on laisserait volontiers la divinité régler ses comptes avec l’une ou l’autre communauté croyante. Mais voilà, Jésus est passé par là… Dieu s’est fait homme pour que l’homme se fasse Dieu (disait un Père de l’Eglise dont j’ai oublié le nom). Ni plus ni moins. Il a envoyé sur terre son propre Fils (et pourquoi pas sa bru ?) pour racheter l’Humanité en perdition. En prétendant clôturer l’histoire des hommes, la théologie de l’Incarnation et de la Rédemption invente en fait une théologie de l’Histoire. Le christianisme a capturé le devenir de notre planète pour en faire sa chose : la seule histoire sainte possible et souhaitable. Le christianisme s’est arrogé le droit du dernier mot ! D’où l’urgence de proclamer cette Bonne Nouvelle (= Evangile) jusqu’aux confins de la planète et de baptiser au nom du Père, du Fils etc. Le Sens – unique et consubstantiel à l’événement pascal – est confisqué par l’institution ecclésiale qui, par le fait même, devient "experte en humanité." Forcément ! CQFD.

      Fascinante métamorphose : tel le catoblépas, cet animal fabuleux des cathédrales qui se repaissait de sa propre chair, la prétention de la Tradition chrétienne - et son absurdité - s’engraisse d’elle-même, indéfiniment, infiniment. Nulle objection possible, l’Eglise aura forcément réponse a tout puisqu’ "elle a les paroles de la Vie éternelle". Démonstration : pourquoi Dieu se tait-il ? Parce qu’il écoute. Pourquoi le scandale de la mort ? Pour le triomphe de la vie. Pourquoi le péché originel ? Pour la rémission perpétuelle. Etc. etc. Imparable glossolalie qui décourage toute contradiction puisque, dixit St Paul "l’avorton", Dieu (encore lui !) s’est servi de ce qui est Folie pour proclamer sa Sagesse aux yeux des nations. Formidable paradoxe chrétien, génial coup de bluff : en se rassasiant d’absence, le croyant se gave de sens ! C’est exactement ce qui se passe dans l’eucharistie, non pas simple commémoration, mais logophagie : il s’agit d’absorber une parole – le Verbe fait chair – de s’en gaver, de l’avaler au double sens du terme, comme on parle d’un bobard ou d’une hostie. C’est mystérieux, c’est sublime. N’essaie pas de comprendre, crois seulement, abêtis-toi et… gobe !

      Et si l’on souffre d’inappétence chronique voire d’allergie ? Que rétorquer à cette énormité chrétienne, sorte de monstrueuse guimauve trop sucrée pour être nourrissante, si boursouflée qu’elle en devient étouffante ? Encore un petit effort, semblent nous susurrer les âmes pieuses : qui n’aimerait pas être sauvé ? Ressuscité d’entre les morts ? Qui ne serait pas soulagé d’abandonner définitivement son corps de péché (donc sexué, pouah !)) pour devenir une âme immortelle, défaillante de bonheur dans l’éternelle garden-party céleste ? Paradisiaque Parousie qui fait délirer tous les frustrés. L’athée convaincu – dont l’intelligence est blessée – peut évidemment protester, contre-attaquer, démontrer, croiser le fer etc. A mon avis, c’est assez vain et épuisant. L’arme la plus forte, c’est le rire, un grand rire iconoclaste dévastateur, irrespectueusement goguenard. D’ailleurs, j’ai toujours imaginé un ton ironique dans la remarque de Pilate à Jésus : "Qu’est-ce que la vérité ?" En perfectionnant un peu, en visant là où ça fait le plus mal aux bigots et aux moralistes : le sexe. Le sexe est le talon d’Achille du christianisme parce que c’est le triomphe de la chair sur l’âme. Je tente un pas de plus : le sexe homo– que ce soit dans l’acte masturbatoire ou dans la sodomie – est autrement et doublement scandaleux pour eux car il caricature l’âme - oblative par charité- et l’acte naturel par essence procréatif.

      Double crime de lèse-majesté. Péché mortel impardonnable. C’est précisément là où je frappe, appelant en renfort souvenirs et fantasmes, autobiographie précise et autofiction délirante. Foncièrement matérialiste, intrinsèquement gay, farouchement hédoniste, telle est ma Trinité. Mon arme en forme de trident. Infamie pour "eux", épiphanie pour moi. Vallée de larmes pour les croyants ascètes et névrosés, bonheur béatifique pour l’hédoniste impie que je m’acharne à devenir. Le rire pornographique plutôt que la remontrance ratiocineuse. L’outrance et le mauvais goût littérairement revendiqués, pour me mettre à l’exact diapason de l’obscénité chrétienne. Si, singeant St Jean, je dis que Dieu a planté sa tente parmi nous, pourquoi n’aurait-il pas aussi planté … autre chose ! Le Mystère de l’Incarnation devient clystère, ou pire encore… et une telle médi(t)cation en devient salutaire. On peut d’ailleurs faire dans le soft, juste se faire peur en s’amusant, en folâtrant dans la jungle de pacotille de cet indémodable Evangélic Park ! (D’où l’importance de la rubrique "Humour" de notre site.) Oui, à mon avis, au jour d’aujourd’hui, l’ironie est le meilleur contrepoint du sérieux religieux et du fondamentalisme qui rapplique ventre à terre.

      Conclusion (provisoire puisque rien, décidément, ne saurait être dogmatiquement gravé dans le marbre) : le contraire de croire, c’est savoir. Le contraire de prier, c’est rire. L’hygiène de notre époque, c’est le blasphème joyeux. Preuve à l’appui, le texte suivant (extrait). Est-ce étonnant que ce dernier manuscrit n’ait pas encore trouvé d’éditeur ? Le rire fait peur, le rire iconoclaste fait doublement peur. Il (me) fait en tout cas du bien. Puisse-t-il amuser aussi les Internautes (cathos ou non) en les ancrant dans une salutaire et plaisante perplexité face au redoutable et si secourable Bon Dieu !

A Paris, ce 14 juillet 2005





Ceci dit, trêve de nostalgie, mon ex-colocataire me joue encore parfois des tours pendables. Pas plus tard que la semaine dernière, un plan d’enfer a foiré à cause de Dieu. Toujours lui ! Tu te souviens de cette pièce que j’ai adorée l’automne dernier aux Bouffes Parisiens ? Eh bien, j’ai tout de suite sympathisé avec le metteur en scène. J’avais le projet de monter une pièce éroticomystique, un mélange détonant de Claudel et de Dürrenmatt avec un petit zeste (plutôt un gros zob) de Georges Bataille. Vraiment, du grand art. Sublimissime. Bref, Bob – le génial Yankee qui vient de s’illustrer à la Comédie Française - s’enthousiasme illico, pleure de joie, m’étouffe dans ses bras de bûcheron. Une semaine plus tard mon texte est mis en lecture, l’affaire est montée dans la foulée, les premières répétitions commencent sur-le-champ puis sur les planches.

Génial, non ? Inespéré ! Et soudain, patatras. Une phrase, une seule phrase de mon script se coince dans la gorge du metteur en scène, ou plutôt au travers de son oreille droite (la gauche a été définitivement explosée par un coup de Trafalgar de baladeur). Son masque tragique se fige, le crayon sur l’oreille frémit, son verdict tombe, plus sec qu’une décharge électrique dans le couloir de la mort : "Tu coupes." Je m’étonne, je fais répéter l’ordre par la traductrice, je vérifie mon texte. J’avais bel et bien écrit : "Dieu est un pet cosmique." Je rigole, d’abord ingénument puis nerveusement, je m’explique, je tente d’expliquer à Bob la saillie métaphysique, de la resituer dans le contexte. Evidemment, je le concède, dit comme ça, à la sauvette, c’est un peu fort de café, ou plutôt de méthane et l’on sait les pudeurs des fondamentalistes… Bob est un baptiste qui ne badine pas, dit-on, avec la préséance divine. "Tu coupes. C’est ton texte ou moi." Nouvelle exégèse : bien sûr que Dieu reste Dieu, bordel de nom de Dieu. Bien sûr qu’Il est pur esprit, qu’Il sent bon, qu’Il sulfate de Sa grâce la surface de la terre etc. J’en suis d’accord, complètement d’accord. Il n’empêche, Bob, si on y réfléchit bien, Dieu c’est en quelque sorte l’envers du monde, non ? La face cachée du Mal. Le péché sublimé, quoi ! Tu es d’accord, sacré Bob, tu ne peux tout de même pas oublier Gantanamo, Hiroshima, le camp de Treblinka, l’enfer de Gaza, les cyclones, les moussons, les tsunamis, les naufrages, la polio, les crimes, les sécheresses, le sarcome de Kaposi, le bacille de Sarkozy, la pollution, la pub, le pognon… j’en passe et des pires. Bref, où se cache-t-il ton Bon Dieu pendant tout ce temps ? Oui ou non, ne se planque-t-il pas dans le trou du cul du monde ? Et "ils" continuent d’affirmer sans rire que le cadavre de Zeus bouge encore ! Comme au bon vieux temps ! Mais le spectacle du monde est trop atroce, sa vérité trop insoutenable. Alors, on aseptise, on enjolive, on embaume à la morgue. Oui, Dieu bouge encore, c’est entendu, il pète toujours, comme tous les cadavres et ses ongles acérés continuent de pousser sans bruit et de griffer sous terre. Dieu n’est pas tout à fait mort, il rêve à sa revanche, il cauchemarde plutôt mais ses coups bas sont inoffensifs, simples réflexes, gestes somnambuliques, spasmes de léthargie. En tout cas moi, Bob, je ne marche plus. Tu sais que le théâtre c’est du trucage, génial certes, mais trucage tout de même. Et Dieu, c’est le plus génial des démiurges, le plus sublime des cabots, toutes catégories confondues. Tout comme d’ailleurs le Pape, son sous-fifre : pur effet médiatique, grand maître du Téléscopat, le plus célèbre des travellos ! Allez, Bob, on se calme. On reprend la répet ? J’ai écrit cette phrase, ok, mais sans acrimonie, je t’assure, un simple constat en forme d’hommage a posteriori car le pet, je t’assure, (tu verras, Nat, tiens-bon, je vais y venir) a ses lettres de noblesse. Avant de te fâcher, Bob, ou plutôt avant de nous réconcilier, laisse-moi te dire mes conclusions sur Dieu après 10 ans d’études et 40 ans de désintoxication théologique. Là, je suis très zen, je ne polémique pas, j’énonce mon credo qui est d’une simplicité biblique : Dieu, c’est tout parce que c’est rien… mille fois rien. Et c’est rien parce que c’est tout. Voilà tout ! Dieu est le manque absolu et l’universel rassasiant. C’est bien pour ça qu’Il est increvable et que, sous toutes les latitudes, une grande majorité d’homoncules ne peut s’en passer mais, dans le fond, ils finissent par s’en foutre complètement parce qu’ils ne risquent rien. Du vent ! De la poudre aux yeux ! Les plus lucides d’entre eux – si rares ! – savent depuis belle lurette qu’il vaut mieux ne plus prendre des messies pour des lanternes et se contenter d’avaler l’hostie comme on gobe un bobard. Ni plus ni moins, ni chaud ni froid : un conte à dormir debout et qui ne vaut pas un pet de lapin ! Juste un folklore… un atavisme… une pestilence transcendée sous des volutes d’encens. Oui, quand toute la merde du monde fermente, "Dieu" est la bonne mauvaise conscience planétaire qui s’exhale de ce cloaque. C’est pour cela que toutes les religions – qui défendent, elles, leur bifteck (kascher ou non) en recyclant le concept – polluent et nous infectent ! Conclusion : Dieu n’est qu’un pet, un énorme pet cosmique ! Et c’est sublime. Volatile mais sublime. Génial parce que trivial. Et je persiste et signe. Quod scripsi scripsi (bis).

Que crois-tu qu’il arriva alors, Nat ? Je constate que tu es suspendu à mes lèvres. Bob me regardait avec des yeux de poisson frit. Soudain il sursauta. Comme il ne connaît pas un traître mot de latin, il prit ma citation pour une insulte chiite. Fin de la trêve, débâcle de la feuille de route. Très digne, impérial mais le regard glacial, il me rend le manuscrit. "Sorry." Ni au revoir ni merci. Fin de notre idylle. Spectacle avorté (puisque aujourd’hui ce sont les metteurs en scène qui font la loi et châtrent les auteurs). The end. Une fois de plus, Dieu s’était vengé de moi. Un peu vicieux, non ? Du coup, me sont revenues en mémoire quelques bribes de mon vieux catéchisme. Bien sûr, Nathanaël, tu es bien trop jeune pour t’en souvenir. A l’époque, à question toute simple, réponse simpliste. Et j’y croyais dur comme fer - si je mens je vais en Enfer -, et je savais par cœur les questions et les réponses !

En dehors des oraisons jaculatoires, à quoi devrait encore s’exercer souvent le chrétien ?
En dehors des oraisons jaculatoires, le chrétien devrait s’exercer à la mortification chrétienne. .

Qu’est-ce que se mortifier ?
Se mortifier, c’est sacrifier pour l’amour de Dieu ce qui plaît, et accepter ce qui déplaît aux sens ou à l’amour-propre.


Décidément, pas marrant du tout mon ex-locataire ! Un sacré rabat-joie !



(extrait du dernier manuscrit de Michel BELLIN "Les oraisons jaculatoires" Editeur bienvenu ?!)


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