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Athéisme mystique

L’'éloge du blasphème


Un entretien avec Patrick Lévy (juin 2005)
Propos recueillis par Patrice van Eersel (Nouvelles Clés)


Le site de Patrick Levy



Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.



"De même qu’il y eut le "Manifeste des 131 contre la guerre d’Algérie" ou celui des "343 salopes pour l’avortement", il faut susciter un "Manifeste des blasphémateurs" pour défier, sur le terrain de la liberté d’expression, celle de se moquer des croyances et des Dieux."
Ainsi parle Patrick Lévy. Attention les oreilles !


Intéressé et même concerné par l’ésotérisme juif, connaisseur du yoga et des religions de l’Inde, Patrick Lévy n’est pas un élève sage. Il y a quelques années, animant un débat interreligieux au Sénat, il secouait aussi bien les intervenants bouddhistes que juifs, chrétiens ou musulmans : "De grâce, arrêtez de réciter chacun sagement son catéchisme, en disant à la fin que les autres ne sont pas mal non plus, parce qu’ils acceptent l’idée de compassion ! Trop facile… Dialoguez vraiment ! Osez remettre en question la formulation même de vos credo respectifs, et discutons du fond !" Auteur de plusieurs essais, dont Dieu croit-il en Dieu et Le Kabbaliste, cet homme joyeux et drôle n’entre pas dans les catégories toutes faites. Nous n’avons pas hésité à saisir la perche qu’il nous a tendu un soir, en toute innocence.

Nouvelles Clés : Vous avez dit un jour, au cours d’un débat, que le blasphème était "sain". Une partie de l’assistance en a été offusquée. Qu’entendiez-vous par là ?
Patrick Lévy : Le blasphémateur est au Livre et à la parole ce que l’iconoclaste est à l’image. L’iconoclaste brise l’image pour montrer qu’elle n’a aucun pouvoir, de même le blasphémateur insulte Dieu ou défie le sacré avec des mots et témoigne qu’il ne lui arrive rien de fâcheux, que la relation à Dieu ne se joue pas là. Il dédramatise.
Dieu n’a jamais tué personne pour blasphème. Ce sont les hommes qui tuent. De peur qu’on en déduise que le blasphème est la preuve de l’inexistence de Dieu, les juristes religieux en font un crime de lèse-majesté divine. Comme si Dieu était froissable !
Dieu n’a pas besoin de dédommagement, disent souvent les musulmans. En effet. Le blasphème ne concerne pas Dieu mais ceux qui souhaitent s’approprier Dieu et qui prétendent dire à sa place ce qu’il pense. C’est cette appropriation que le blasphème défie.

N.C. : N’est-ce pas là un problème propre aux religions du Livre, qui énoncent noir sur blanc une "révélation" divine ?
P.L. : C’est un problème universel. Un maître du bouddhisme zen a dit : "Si tu croises le Bouddha, tue le Bouddha ! (…) Alors seulement tu trouveras la Délivrance. Alors seulement tu esquiveras l'entrave des choses, et tu seras libre..." Il ne s’agit pas d’une incitation au meurtre, bien sûr. Il s’agit de se faire violence, se débarrasser de tout préjugé sur Bouddha, la bouddhéité, et l’état de conscience que cela signifie. Ce qui peut être pris pour un blasphème ici - "Si tu rencontres Jésus tue Jésus" - est un chemin de libération dans une autre dimension de la quête de l’ultime dans laquelle nos conceptions de Dieu sont des entraves à la connaissance de Dieu. Le blasphème est mystique.
Puisque Dieu est indéfinissable, innommable, irréductible, tout ce qu’on dit de Dieu est faux. Dieu n’est pas ce qu’on croit. C’est sur ce fondement que doit commencer la théologie.
La sagesse est d’inclure l’ironie, le sacrilège et le blasphème dans l’arsenal des moyens d’atteindre la connaissance ultime. Encore faut-il avoir une ambition spirituelle ultime. Le blasphème est une voie de libération.

N.C. : À l’heure où le boom religieux bat son plein et où une certaine confusion règne sur les fondements de la "foi", les libre-penseurs se sentent menacés, au point que l’un d’eux, Michel Onfray, éprouve le besoin d’écrire un Traité d’athéologie…
P.L. : Les religions gagnent du terrain dans leur lutte contre la liberté d’expression. Avec l’affaire Salman Rushdi l’islam a gagné son combat contre la pensée libre. Salman Rushdi a dû vivre caché à cause d’une fatwa et cette fatwa menace tous les musulmans qui tombent sous le coup de la charia, même s’ils vivent au sein de pays démocratiques où la liberté d’expression est un droit. Et cette charia transnationale qui ne concerne cependant que les musulmans, fait peur aux autres.
Une affiche, un film, un calembour trop osés à leurs yeux et les associations chrétiennes plus ou moins liées à l’épiscopat mais qui représentent assez peu de personnes, portent plainte. Et gagnent parfois au prétexte que la sensibilité des croyants est blessée ou que pourrait être troublé l’ordre public. Cette persécution judiciaire devient rapidement auto censure ; l’inquisition entre dans les têtes.
Il faut réagir.
De même qu’il y eut le Manifeste des 131 contre la guerre d’Algérie, celui des 343 salopes pour l’avortement, il faut susciter un Manifeste des blasphémateurs pour défier, sur le terrain de la liberté d’expression, celle de se moquer des croyances et des Dieux.
Lorsque la vérité religieuse, qui est subjective, illogique et irrationnelle, s’énonce comme une évidence universelle, lorsqu’elle prétend guider les autres, les instruire, faire pencher leur jugement, aiguillonner leur vie, il faut l’analyser, la critiquer, la démonter sans tabou avant qu’elle ne devienne obligatoire et se transforme en camisole mentale.
Les croyances visent à soumettre la pensée, à la paralyser. Le sacré est une prison mentale en ce qu’il introduit des tabous dans la pensée. Le blasphème fait sauter des édifices symboliques et sémantiques qui tendent à enfermer la pensé. Il faut oser se moquer du sacré lorsqu’il menace et avant qu’il n’envahisse. C’est une œuvre utile.

N.C. : Utile contre tout ce qui rigidifie ?
P.L. : Le blasphème introduit l’humour dans la réalité divine. L’humour doit être une vertu laïque et républicaine puisque les croyants en ont peu et que Dieu ne rit jamais. Un Dieu qui ne rit pas ne ressemble pas à l’homme dont le rire est le propre.

N.C. : À l’inverse, le monde moderne se moque de façon souvent fort peu subtile de ceux pour qui la dimension spirituelle est essentielle
P.L. : La pratique religieuse est un droit reconnu dans la nouvelle constitution européenne. L’illogique et l’irrationnel font partie de nos droits. Fort bien. Le religieux est respectable. Mais pas a priori les religions.
Le blasphème ne doit pas être pris comme une insulte, mais comme un service : il ouvre une porte à la prison de tous ceux qui, endoctrinés par leur famille ou leur milieu, se sentent contraints de croire. Nombreux nous en seront reconnaissants. Le blasphème est un antidote aux intégrismes, un acte de défense de la République, une prérogative de la laïcité et une activité de salubrité mentale. Une mission. Il y a une limite au politiquement correct.

N.C. : Que blasphème-t-on, au fond ?
P.L. : Les dogmes.
Qu’est-ce qu’un dogme ? C’est une assertion arbitraire, nécessaire à une démonstration, qu’il est vain d’interroger parce qu’elle est indémontrable et parce que la suite du raisonnement est construite dessus. Le postulat est à la géométrie ce que le dogme est à la religion. Si vous le mettez en question tout s’effondre. Il est extrêmement inélégant d’en abuser.
Indémontrable et parce qu’elle ne supporterait pas une analyse critique, même très simple, l’assertion dogmatique est très fragile et doit donc être imposée, scellée dans un tabou. Pour empêcher la raison de trouver la faille on la bride, on la camisole. Le dogme trace un destin à l’intellect, le conditionne, dénie le libre arbitre mental.
Le blasphème brise les préjugés, l’enfermement sacré, la componction, la soumission. Il permet à la raison de triompher de la peur. C’est une vertu de l’intelligence et un acte de la raison. Il est libérateur pour ceux qui veulent se libérer. Il fait du croyant un interlocuteur de Dieu.

N.C. : Or, comme vous le demandiez déjà, il y a quelques années, "Dieu croit-il en Dieu ?"
P.L. Le Dieu version dogmatique ne m’a pas attendu pour avoir le mauvais rôle. Même dans ses textes révélés, il n’est pas très reluisant. C’est souvent un affreux.
Par exemple : Le coran nous raconte que lorsque Allah a créé l’Homme, il a demandé aux anges de se prosterner devant lui. Tous l’ont fait sauf le Shaïtan qui a refusé. Il a désobéi. Il s’est rebellé.
Din Attar, le poète iranien, relève avec justesse qu’on ne doit se prosterner devant nulle autre que Allah, et qu’en refusant d’honorer l’Homme, le Shaïtan avait été le plus fidèle des anges, souffrant même d’être privé de Dieu pour l’éternité par fidélité et par amour.
Cette histoire coranique révèle aussi que Allah ne souhaite pas qu’on lui soit fidèle, il exige qu’on lui soit soumis. Bien que le Shaïtan soit le plus fidèle, il est le moins docile. Et il fut banni. Sa majesté l’Un-seul ne supporte pas qu’on lui montre ses contradictions ; les hommes et les anges qui courbent l’échine, esclaves jaloux d’un Dieu de courtisans, rêvent de couper la tête de ceux qui s’en dispensent.
YHVH n’est pas mieux. Job a été donné par YHVH à Satan pour éprouver sa foi dans une sorte de pari. Satan lui tue ses fils, le ruine et lui inflige la maladie. Job se plaint alors de ce traitement injuste et ignoble. Il interpelle Dieu et exige des explications. Ses amis l’accusent de blasphémer. Demander des comptes à Dieu, c’est blasphémer ! Ce n’est qu’une manière de tenir tête à l’injustice.
Il n’y a qu’à regarder autour de soi pour savoir avec un degré très suffisant de certitude qu’il n’y aucune raison de faire confiance à Dieu.
C’est en tant qu’homme religieux que je revendique le droit de blasphémer. Blasphémer, naqav en hébreux, c’est percer, forer, exprimer avec des trous. Je revendique la liberté de sonder Dieu. Dieu attend que je perce sa carapace dogmatique et que je lui pardonne.

N.C. : Pour les mystiques, ce débat n’a pas de sens, puisqu’à leur sens, Dieu est "Cela" qui s’éveille en chacun de nous…
P.L. : Certains saints de l’islam ont été martyrisés pour voir dit : "Je suis Dieu, je suis la vérité, il n’y a aucun Dieu." Ça ne pouvait être vrai. Ça ne devait pas être vrai. Il furent décapités par ceux qui pensent que Dieu seul est la vérité et qu’il est autre. Leurs bourreaux étaient idolâtres de la soumission.
Toute la théologie est fondée sur l’idée que l’homme est très inférieur à Dieu qui, lui, est "Seigneur". Cette posture est elle aussi très contestable.
Lorsque qu’un homme et une femme conçoivent un enfant, ils ne souhaitent pas qu’il soit moins bien qu’eux. Ils espèrent qu’il sera plus beau, plus intelligent, plus heureux. Alors que l’homme s’engendre donc à peu près en l’égal de lui-même, Dieu aurait créé Adam au prix d’une terrible réduction dans la qualité de l’Être ? Il engendrerait des domestiques, des serviteurs, des esclaves, des soumis ? N’est-ce pas extrêmement dévalorisant pour Dieu ?
Dieu crée-t-il du moins bien que lui ?
Peut-être pas après tout. Il y a d’autres façons de lire la Genèse. Lorsqu’il est question de manger du fruit de l’arbre de la connaissance, le serpent promet à l’Adam et à sa femme : "Vous serez comme des Dieux..." Généralement, nous prenons cette promesse pour une tentation de Satan, parce que nous la lisons avec des préjugés de prêtres qui nous font accepter, sans en douter, que désirer être comme Dieu serait un crime ! Cela ne me paraît pas du tout illégitime que de vouloir être Dieu. D’ailleurs, ne nous a-t-il pas créé à son image et selon sa ressemblance ?
En leur disant "vous serez comme des Dieux..." le serpent induit l’Adam et sa femme à penser qu’ils ne sont pas des Dieux. Vous serez comme Dieu, donc vous n’êtes pas Dieu. Elle est sans doute là sa fourberie qui va aboutir à une chute, en effet, celle de se croire inférieur à Dieu.
Poursuivant la tradition du serpent, nos prêtres et nos rabbins nous ont enseigné que nous ne sommes pas des Dieux. Dieu est un autre, "tout autre", en beaucoup mieux. Dans cette perspective, nos religieux enseignent la religion du serpent.
Si Adam est coupable de quelque chose, c’est d’avoir oublié qu’il est Dieu ou d’en avoir douté. Ce n’est pas irrattrapable. En citant un psaume, Jésus rappelle : "Vous êtes des Dieux." (J 10 :34 Ps 82 :6). À nous de l’entendre. À nous d’accepter d’être un homme en assumant notre condition divine.
Dieu n’avait pas de temple, en créant l’homme il s’en est construit quelques-uns. C’est lui-même qui le dit : "J'ai fait de vous mon sanctuaire" (Ex 25:8; Jér 7:4). "L’homme est le temple de Dieu".
Si l’homme est moins bien que Dieu, il n’est pas à l’image de Dieu mais seulement à l’image d’une croyance.
Il y a d’autres façons de lire le sacré.

N.C. : Alors, quelle différence entre Dieu et l’Homme ?
P.L. : Si Dieu a créé l’homme avec un corps, l’homme est mieux que Dieu qui n’a pas de corps et n’a donc aucune activité sensorielle et sensuelle. Ce qu’il perd en puissance supposée, il le gagne en sensualité. Cecorps nous permet d’aimer, de jouir et de ressentir du plaisir. Reconnaissons que nous n’avons pas du tout envi de perdre ce corps, c’est-à-dire de mourir. C’est sur ce constat, qui est vrai, que nous devons construire notre spiritualité.
Créé au commencement à l’image de Dieu, c’est-à-dire en deux dimensions, comme un projet, une esquisse, une ombre, une fois dans notre corps nous acquérons une troisième dimension : De l’image à la forme.
Nous sommes aussi l’amour ! Et le verbe réel : ce sont les hommes qui parlent. Dieu, jamais.
L’Homme, celui que l’on gonfle d’une majuscule, celui dont on se demande ce qu’IL devrait être, celui qui suivra homo-religiosus et dont l’espèce actuelle est un chaînon dans la chaîne de l’évolution, l’Homme créé à l’image de Dieu, c’est l’Athée, homo-athéistus, l’homme qui, comme Dieu, ne croit pas en Dieu.

N.C. : Dans le jargon communiste, on aurait dit : "Vous allez désespérer Billancourt !" Un avocat des croyants vous proposerait peut-être d’user du mot "agnostique" (on ne peut prétendre connaître l’inconcevable) plutôt que "athée" (qui prétend SAVOIR l’absence du divin). Quant à la foi, sortie de l’enfance, elle n’est plus une "croyance", mais un "vécu" : le mystique parle de ce qu’il expérimente en lui-même, non ?
P.L. : Il y a toujours deux religions en chaque religion : celle du prêtre, qui est faite de prêt-à-croire, le prêt-à-porter de la pensée et du sentiment religieux et celle du mystique qui est faite de méthodes et de pratiques qui conduisent à faire l’expérience de la connaissance. En Inde, par exemple, ce qui fait une religion, c’est un sage qui a réalisé ce dont il parle et qui décrit le chemin à parcourir pour atteindre la même réalisation. Donc, contre ce désespoir de la réponse toute prête qui ne s’adresse qu’aux O.S. de la foi, il y a plus que de l’espoir, il y a cette ambition de la connaissance. L’inquiétude se dissout dans la confiance, et la confiance vient de l’expérience pour qui n’a pas de foi.
Ce sont les croyants qui manquent d’espoir. Ils devraient savoir que si on ne peut prétendre décrire l’inconcevable, on peut le connaître. L’athée constate l’absence de Dieu, ce qui ne signifie pas l’absence de divin. Le divin dépasse Dieu. L’athéisme n’est pas seulement une négation. L’absolu est plus que Dieu et l’homme est plus qu’un fidèle ou un croyant. L’athée et l’agnostique cherchent ce plus.

N.C. : Les religions ont une grande visibilité, avec leurs temples, leur corpus de textes, leurs personnels, leurs bienfaiteurs... Aimeriez-vous que l’athéisme soit représenté à sa façon ?
P.L. : Pourquoi l’athéisme n’a-t-il pas de temple ? Parce que la religion est un business. Et un métier. Le prêtre n’y gagne pas que son paradis, il y gagne aussi sa vie et du prestige ! Mais il faut une clientèle fidèle… Or, si l’on peut vendre l’absence d’une chose, une maison isolée par exemple, on ne peut pas vendre l’absence d’une promesse durablement. "Dieu n’existe pas" n’est pas commercialisable. Ce n’est pas rentable. On ne peut pas vendre "rien". Le client d’un prêtre athée ne reviendrait pas. Il n’a pas de raison de revenir. Ainsi Dieu, le paradis et l’enfer sont représentés par plusieurs multinationales de la foi mais l’athéisme est sans représentation. Il n’y a personne pour clamer et rappeler que "rien" après la mort n’est pas une perspective effrayante. Vous n’avez rien à craindre du néant, vous n’y serez pas.

N.C. : Vous avez de la chance, en d’autres temps, on vous aurait lapidé.
P.L. : Jésus a été condamné pour blasphème. Pour cette seule raison, cette possibilité de transgression devrait ne plus exister. La rencontre de Dieu ne se produit pas toujours dans le mielleux mœlleux des certitudes. Il faut parfois briser quelque chose. On se relie à Dieu comme on peut. Mon chemin vers Dieu, c’est le blasphème.
"Il est certaine façon de nier Dieu qui rejoint l'adoration", écrivait André Gide.




A lire, de Patrick Levy
Le Kabbaliste (Pocket)
Dieu croit-il en Dieu ? (Question de / Albin Michel)
Contes de Sagesse (Dangles)


POUR UNE GRÈVE GÉNÉRALE DE LA PRIÈRE


Un jour, j’assistais à la messe de funérailles d’un homme qui avait sauvé un de ses amis de la noyade mais s’était lui-même noyé. Avant l’homélie, un enfant de chœur a chanté Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie à ceux qu’on aime. Moi, un juif athée, je n’ai pas l’habitude de cette rhétorique ! J’ai trouvé cela révoltant. Il faut tout donner à Dieu, dit le curé plus tard dans son homélie. Qui perd sa vie à cause de moi la trouvera…
Je m’étais assis vers le fond. Derrière moi, deux hommes d’un peu plus de quarante ans, athées mais ambigus, se sont mis à discuter entre eux :
- Au lieu de glorifier le sacrifice et la souffrance, il ferait mieux d’engueuler Dieu de créer des circonstances dans lesquelles toutes les options conduisent à mort ! a pesté le premier qui avait un accent de Toulouse.
- Engueuler Dieu ? s’est exclamé le second très parisien et stupéfait. Mais d’abord il faudrait y croire !
- Il faut l’engueuler même si tu n’y crois pas, a déclaré le premier, par principe. Comme tu engueules un politicien devant ta télé.
- Ah bon ?
Ils se turent quelques instants. Poursuivant son homélie le curé déclara : Dieu s’est fait homme pour partager nos souffrances…
- Nous sommes six milliards dans cette situation ! ponctua la Parisien.
- Oui, se moqua celui de Toulouse, Dieu serait venu faire un stage dans le monde. Ce Dieu qui nous accablait du pécher originel, serait venu y goûter. Le tout puissant s’essayait au moins puissant. Mais comme un touriste, avec un aller-retour en première classe pour rentrer, bien à l’abri, à la droite de soi-même.
- Il voudrait qu’on s’attendrisse sur le sort de Dieu ! renchérit le Parisien. C’est un comble ! S’il faut plaindre le Tout-puissant, qu’est que je devrais dire de moi !
- Jésus ne rachète pas l’humanité, il tente de racheter Dieu, le Père, qui est inhumain, insupportable, inefficace, muet et sans doute sourd. Incurable. Je ne crois pas en Dieu et je trouve ce curé coupable d’y croire : il collabore avec un Dieu qui, s’il existait, serait impardonnable !
- Calme-toi, souffla le Parisien.
- Et qui donc est responsable de l’égoïsme sinon le Dieu qui a créé un monde de pénurie qu’il faut travailler à la sueur de son front ? Les croyants ont si peu de foi qu’ils ne peuvent pas imaginer un monde qui serait agréable pour tous. Pour eux, Dieu n’est responsable de rien. Et il faut souffrir pour gagner son salut.
- Si j’étais Dieu, je me cacherais, de honte !
- Il faudrait organiser une grève générale de la prière jusqu’à ce que Dieu accepte de négocier, décida le Toulousain.
Et je pensais à ce mot du Marquis de Sade : "Mon plus grand chagrin est qu'il n'existe réellement pas de Dieu et de me voir privé, par là, du plaisir de l'insulter plus positivement."


Citations

"La tolérance est le respect des individus mais pas celui des idées ou des croyances."
"(LABEL/ Appel pour l'insolence et le blasphème)

"Les religions devraient solennellement proclamer que toute guerre en leur nom constitue véritablement un blasphème."
(Albert Jacquard, Petite philosophie à l'usage des non-philosophes, 1997)


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