Athéisme
L'Homme debout 
Accueil atheisme.free.fr
 
Accueil Grands thèmes
Quelques textes
Citations
Biographies
 Revue de presse
  
Dictionnaire
des religions
Bibliographie
 
  Humour 
 Récréation
Boîte à outils
Some pages in english  Welcome
 Ajouter aux favoris
 Athéisme : l'homme debout. Vivre sans Dieu et sans religion  >  Vos contributions    > Existe-t-il des violences religieuses...


Existe-t-il des violences religieuses hors influence monothéiste ?


par Jean-Pierre Castel  -  16/03/2011




Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.




On assiste depuis une dizaine d'années à une montée des conflits religieux de par le monde: affrontements entre chiites et sunnites, entre chrétiens et musulmans, persécution des coptes, voire résurgence de l'antisémitisme. Ce n'est sans doute pas tant le retour du religieux qui marque l'entrée dans le XXIème siècle que la violence nourrie par la religion.

Or tous ces conflits possèdent une caractéristique commune, mais passée sous silence: l'influence monothéiste. Certes chacun des ces conflits obéit à un contexte particulier et à des motivations plurielles. Mais dans tous ces conflits, et plus généralement dans toutes les guerres de religion au cours de l'histoire - c'est à dire une guerre où l'un des protagonistes veut imposer sa religion-, au moins l'un des protagonistes est monothéiste.

Cette évidence fait pourtant l'objet d'une omerta, d'un déni de la part de la plupart des occidentaux, qu'ils soient soit croyants, agnostiques ou athées. Parmi les multiples arguments avancés pour étayer ce déni, on en citera ici quatre.

Le premier est de s'offusquer que des religions qui prêchent l'amour puissent être accusées d'apporter la violence. Mais le monothéisme ne se limite pas à prêcher l'amour, il porte aussi en lui, par sa prétention à détenir la vérité unique, un exclusivisme, une peur de la liberté de conscience. Tout acte de violence répond à des mobiles multiples: la volonté de pouvoir, la possession, la haine, la peur, le sadisme, etc. L'exclusivisme monothéiste a introduit un mobile nouveau, que le polythéisme ne connaissait pas : la peur de la liberté de conscience, la peur du libre arbitre, la peur de l'hérésie, la peur des idoles. La violence monothéiste, c'est celle qui veut protéger le croyant de la menace de l'hérésie, ou qui veut imposer sa vérité à autrui. Le monothéisme apparaît ainsi ambivalent : côté cour, l'amour, côté jardin, la violence exclusiviste.

Il existe d'ailleurs une "signature" de la violence monothéiste, une caractéristique qui la distingue des autres violences humaines : c'est la fierté, l'absence de repentance pour les violences commises au nom de Dieu, du Christ ou d'Allah. Toutes les autres violences humaines sont rapidement condamnées par la vox populi, par les sages, par les souverains suivants. Pour les Grecs, la violence, c'est l'hubris. Dans le cas des violences commises au nom de Dieu, combien de siècles faut-il attendre pour obtenir l'expression d'un regret de la part des autorités religieuses ?

Le second argument consiste à reconnaître que les religions monothéistes ont effectivement pratiqué la violence contre l'hérésie et contre l'idolâtrie, mais à prétendre que cette violence ne vient en aucune façon de Dieu: elle viendrait des hommes, de leur narcissisme identitaire, d'une interprétation fautive des textes sacrés, d'une manipulation de la religion par la politique. Ces violences n'ont d'ailleurs été commises que lorsque que la religion a pu s'appuyer sur le politique, sous l'Empire Romain à partir de Constantin, sous le pouvoir Papal au Moyen-Age, lors de la colonisation européenne, dans le monde théocratique musulman. Même si ces violences se proclamaient "au nom de Dieu", la religion n'aurait servi que de prétexte, d'habillage ; l'ordre biblique de brûler les idoles ou du jihad ne seraient que symboliques, ne viseraient que le combat du mal à l'intérieur de soi-même; chez les chrétiens, comment imaginer que le Jésus du "aimez vos ennemis" puisse être tenu responsable des violences commises en son nom ?

Le recours à l'argument du symbolique paraît bien spécieux, et destiné à sauver les apparences. Les exégèses passent, la lettre reste. Que la religion n'ait eu les moyens de sa violence que lorsqu'elle a pu s'appuyer sur le politique n'autorise pas à renverser la charge de la preuve. Quant à Jésus, l'amour du prochain n'est que son second commandement, alors que le premier, celui d'aimer Dieu, se réfère au dieu de l'Ancien Testament, le dieu de la vérité révélée, un dieu jaloux, guerrier, plus souvent exterminateur que miséricordieux, que Jésus n'a jamais remis en cause.

Le troisième argument prétend que toutes les religions seraient violentes. Or si la violence et la guerre existent bien évidemment en dehors du monothéisme, il n'en est pas de même des guerres de religion: les guerres antiques dans le monde polythéiste étaient motivées par la soif de conquête, mais ni par la haine des dieux des voisins, ni par la volonté d'imposer une croyance à l'ennemi. Le Grec Alexandre le Grand et le Perse Cyrus fournissent sans doute les meilleurs exemples de la tolérance des religions polythéistes : ils n'ont pas cherché à détruire systématiquement les dieux et les objets de culte des peuples qu'ils ont vaincus, ni à les remplacer par leurs propres dieux. Les violences hindoues actuelles sont un phénomène récent, sans précédent dans l'histoire avant l'arrivée du monothéisme en Inde. Les violences commises par les bouddhistes ont rarement été motivées par la volonté d'imposer cette spiritualité. Quant aux violences idéologiques du XXème siècle, leur filiation par rapport au monothéisme, à qui ces idéologies ont emprunté la notion de vérité unique et le messianisme, n'est plus à démontrer.

Pourquoi alors ce déni? Pourquoi d'ailleurs de nombreux intellectuels athées soutiennent-ils une apologie sans nuance du monothéisme ?

La raison en est sans doute que la source de cette violence n'est autre que la pierre angulaire du monothéisme, à savoir la notion même de vérité révélée, c'est-à-dire la prétention à détenir une vérité unique, éternelle et incontestable, puisque d'origine divine. Une telle notion de la vérité n'existait pas chez les peuples polythéistes, qui l'auraient d'ailleurs condamnée comme hubris. En revanche pour quelqu'un qui croit détenir une telle vérité, la tolérance devient nécessairement impie; la tendance à la violence monothéiste en découle. Mais reconnaître cette relation de causalité entre vérité révélée et violence monothéiste, ce serait non seulement attenter au dogme central de ces religions, mais aussi remettre en cause ce qui fonde le sentiment de supériorité intellectuelle et morale de l'Occident.

Il est alors plus facile de stigmatiser par exemple l'Islam - sans doute la religion monothéiste manifestant le plus de violence aujourd'hui - que de remettre en cause les deux autres, qui sont en effet réputées constituer la base de notre civilisation dite judéo-chrétienne. C'est oublier que le judaïsme - si l'on en croit l'Ancien Testament - et le christianisme n'ont eux-mêmes, au cours de l'histoire, pas été avares de violences extrêmes, commises au nom de Dieu. C'est aussi oublier que l'islam a connu une période pacifique, à l'époque de son âge d'or. Ainsi la graine de violence que renferme le principe de la vérité révélée est commune aux trois religions monothéistes, même si elle s'exprime plus ou moins en fonction des contingences historiques, politiques, culturelles, en particulier en fonction de l'interprétation plus ou moins rigide des textes.

L'originalité profonde de la civilisation occidentale ressort de la tension entre Athènes et Jérusalem, entre Foi et Raison. Et si l'héritage grec a pu être préservé, c'est plus grâce à l'âge d'or de l'Islam qu'à l'Eglise de Rome, qui au temps de Théodose et de Justinien a tout fait pour éradiquer cette culture considérée comme païenne, comme l'illustre de façon emblématique le lynchage de la dernière philosophe d'Alexandrie, Hypatie, lynchage commandité par Saint Cyrille !

La levée du tabou de la violence monothéiste reste d'actualité, non seulement en raison de la recrudescence des conflits religieux ou idéologiques aux quatre coins de la planète, mais aussi de la persistance du prosélytisme religieux: si la société civile occidentale a aujourd'hui dénoncé la colonisation, nombre de religions monothéistes revendiquent toujours haut et fort leur "devoir d'évangélisation", sans aucune conscience ni remords pour la violence culturelle véhiculée par les activités missionnaires. Ainsi Jean-Paul II appelait encore en 1999 à une grande "moisson de foi en Asie", Joseph Ratzinger qualifiait en 1997 le bouddhisme "d'autoérotisme spirituel", et osait déclarer en 2007 que l'évangélisation de l'Amérique "n'a comporté à aucun moment une aliénation des cultures précolombiennes".

Il ne s'agit pas évidemment pas de prétendre que l'exclusivisme monothéiste soit le mobile unique des conflits religieux. Chacun obéit à un faisceau de motivations éminemment complexe. Mais cette peur du libre arbitre de l'autre est toujours l'une des causes présentes. L'oublier, c'est se condamner à un diagnostic partiel.

Il ne s'agit pas non plus de dénoncer les religions en général : comme l'explique l'anthropologie moderne, elles sont sans doute à l'origine de toute civilisation. Il ne s'agit pas non plus de mettre en doute la beauté de la foi de la plupart des croyants, plus attachés au message d'amour qu'à l'exclusivisme, mais de les sensibiliser aux risques de cette ambivalence. En revanche les dogmes et les institutions qui prétendent détenir une vérité unique, indiscutable parce que divine, qui persistent à vouloir convertir plutôt qu'à témoigner, véhiculent une violence, un sentiment de supériorité, un mépris de l'Autre.

La quête de la vérité n'est-elle pas préférable à la prétention à détenir la vérité ? Ne vaut-il pas mieux chercher la certitude du coeur tout en préservant la liberté de l'esprit, plutôt que contraindre l'esprit dans l'illusion de gagner le coeur ?



Jean-Pierre Castel
auteur de
"Le déni de la violence monothéiste"
(L'Harmattan, 2010)



Voir la présentation du livre : "Le déni de la violence monothéiste"

Voir la page d'accueil sur la religion




Athéisme : l'homme debout. Vivre sans Dieu et sans religion   Vos contributions    Haut de page    Contactcontact   Copyright ©