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Le Président, Dieu, et l’école,
un texte de Jean-Marc Fert diffusé sur la liste de la commission éducation des Verts
dimanche 17 février 2008. Republié sur Brest-ouvert avec l’autorisation de l’auteur et sous licence creative commons by NC SA.
Le Président, Dieu, et l’école
Le chef de l’état, voyant la baisse des sondages, constatant qu’il a dilapidé les moyens de faire le bonheur de ses concitoyens sur Terre, parle de Dieu.
La gauche s’émeut et dénonce une transgression du pacte républicain. Si l’on se réfère à la confrontation entre Nicolas Sarkozy et Michel Onfray pendant la campagne électorale, rien ne peut plaire davantage au Président que de transgresser, lui qui voit là une condition de l’innovation et de la résolution des problèmes.
Cependant, je souhaite donner ici un point de vue un peu décalé, celui d’un éducateur.
Toute civilisation trouve "ses racines" dans la religion, nous rappelle le Président. On ne peut qu’acquiescer à cette évidence anthropologique et historique. Ajoutons que les acquis culturels des générations passées se sont transmis aux suivantes par l’éducation. Partout l’éducation a d’abord été ou est encore aux mains des institutions religieuses.
Par ailleurs, je ne peux également que me féliciter de voir le Président à présent convaincu que la situation du monde d’aujourd’hui requière des changements politiques d’envergure, des changements de civilisation.
Accord sur les prémisses, accord sur les enjeux… Comment alors se fait-il que j’arrive à des conclusions si radicalement éloignées des siennes ?
Religion et éducation ont eu en France des liens très forts, et gardent ces liens dans de très nombreux pays. Cependant, c’est en prenant ses distances avec l’Eglise que la France est devenue une grande nation. Voltaire a laissé plus de traces dans notre culture et notre “‘identité” nationale’ que les jésuites qu’il pourfendait. Après l’internat des petits pères jésuites, c’est le lycée d’élite napoléonien puis l’école obligatoire de Jules Ferry (devenue rapidement laïque) qui ont constitué et transmis une culture commune et un sentiment d’appartenance à une communauté de destin. Notre acquis culturel commun, c’est bien entendu la reconnaissance et la transmission d’une culture universelle des lettres, des arts et des sciences, mais c’est plus localement et plus spécifiquement la constitution d’une aventure particulière, celle de la République.
Cette culture spécifiquement française a été transmise par une école qui a pris des distances de plus en plus grandes avec ses "racines" religieuses. On aimerait avoir un Président de la République qui nous rappelle cette histoire avec autant d’énergie qu’il en met à discourir sur "nos racines". On aimerait le voir soutenir notre école, ce pilier de la République, avec autant de ferveur qu’il en a mise en scène lors de sa visite au Vatican.
Tous les éducateurs savent bien que les "racines" d’une bonne éducation pour un enfant, ce sont tout d’abord un père et une mère aimants et fiables. Mais pour autant, l’objectif de l’éducateur n’est pas que l’enfant vive toute sa vie avec eux !! Sauf à considérer qu’il n’atteindra jamais la majorité… Le Président prend prétexte de nos incontestables "racines" religieuses pour justifier le fait de vivre aujourd’hui et demain "avec la religion". A mes oreilles d’éducateur, ce ne peut être que le discours d’un homme qui ne croit pas que le peuple puisse atteindre sa majorité, d’un homme qui considère les peuples comme d’éternels enfants devant demeurer assujettis à l’autorité de leurs ascendants. Il révèle ainsi sa propre croyance.
Le "projet de civilisation" de Monsieur Sarkozy est donc à l’inverse d’un projet d’émancipation, il nous renvoie plutôt aux représentations du corps social antérieures non seulement à 1968 mais plus gravement datant d’avant l’humanisme des Lumières... Un projet de civilisation actuel doit s’éloigner tant de l’autoritarisme religieux que de l’individualisme “libéral” alors que le discours sarkozien se contente d’osciller de l’un à l’autre. Je ne crois pas qu’on puisse trouver là des bases ni politiques, ni culturelles, ni éducatives pour mettre en place une civilisation durable pourtant d’une urgence vitale.
En espérant pouvoir apporter par ces quelques mots ma petite contribution à la fin du règne des super-prédateurs, maîtres ou dieux, j’adresse à tous les lecteurs mes plus chaleureux vœux pour l’année qui commence.
Note : Si j’ai constamment entouré le mot "racine" de guillemets, c’est par référence aux propos si justes d’Amin Maalouf à propos des "origines". Je le cite brièvement : "Je n’aime pas le mot "racines", et l’image encore moins. Les racines s’enfouissent dans le sol, se contorsionnent dans la boue, s’épanouissent dans les ténèbres ; elles retiennent l’arbre captif dès la naissance, et le nourrissent au prix d’un chantage : "Tu te libères, tu meurs !" La racine entrave, attache, alors que l’origine, bien que déterminante, ne pétrifie pas l’individu dans une tradition fermée, dans un déterminisme étroit et fixiste."
Que j’aimerais un Président qui ne considère pas ses concitoyens comme des végétaux !!