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Laïcisation des arts et de la pensée


par Yves Pialot  -  12/06/2005




Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.



Je commencerai par rappeler 3 dates (approximatives) : - 2000, 0, 600. Ces dates correspondent à la création des 3 religions monothéistes : le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam. Ces 3 religions ont en commun d'avoir prétendu – et de prétendre encore aujourd'hui – régir les affaires publiques, de la Cité, selon des critères liés à la foi en leurs dieux respectifs, ce qui est une affaire de conviction privée, le principe de la révélation, commun aux trois, étant par définition invérifiable. En outre, ce sont elles qui ont inventé la guerre sainte, toujours d'actualité aujourd'hui.

Dans son étude sur l'immanence (c'est-à-dire ce qui est propre à l'homme et à lui seul, indépendamment de toute idée de transcendance; l'immanence sera donc le fondement même de l'humanisme et plus tard de la laïcité), Sylvie David écrit que cette idée "se trouve chez les plus anciens philosophes (mais qu'elle) a été submergée par la culture judéo-chrétienne et la théologie médiévale"; elle ajoute qu'elle resurgira avec Spinoza (philosophe du XVIIe siècle).

En France, la mainmise de l'Eglise Romaine atteint son apogée au Moyen Age; dans le même temps, existe le Saint-Empire-Romain-Germanique dont un empereur qui s'était voulu rebelle au pape ira à Canossa. Quant à l'Inquisition, cette espèce d'Opus Dei sanguinaire de l'époque, elle mènera sa sinistre besogne à travers l'Europe. Beaucoup plus tard encore, Louis XIV se prétendra monarque de droit divin. Aujourd'hui enfin, les régimes théocratiques pullulent de par le monde.

La laïcisation de la société civile sera longue et difficile car les églises fondées par les 3 religions monothéistes ont atteint une puissance incommensurable. Ces 3 religions, notons-le au passage, selon les époques, tantôt se déchireront à qui mieux mieux lors de guerres de religions féroces, tantôt se retrouveront de connivence pour s'arc-bouter, précisément, contre cette laïcisation qui représente pour elles l'ennemi commun.

Cette laïcisation progressive, constatée dans l'Histoire des sociétés et des institutions, autrement dit dans le domaine politique, se produit également dans le domaine des arts et de la pensée. C'est l'objet de ma présente communication.




La pensée (littérature et philosophie)

Après la chute de l'Empire Romain, l'Eglise Catholique Romaine s'empare assez rapidement de tous les pouvoirs, temporel comme spirituel. Elle possède les terres, les richesses, mais aussi dirige la pensée des hommes, ce qui constitue sans doute le plus important des pouvoirs. Il n'est d'autre philosophie que la théologie, qui nous enseigne que la vie sur terre ne compte pas, qu'il faut attendre d'être mort pour connaître la béatitude. Il faudra patienter pratiquement jusqu'à la Renaissance pour que des voix osent s'élever, certes pas en faveur d'un quelconque athéisme, mais pour une philosophie de l'homme, pour l'homme, ce qu'on appellera l'humanisme. Je citerai notamment le philosophe hollandais Erasme dont Luther disait : "il s'attachait trop à l'éducation morale de l'homme et pas assez à la vraie adoration de Dieu". La devise d'Erasme était "Nulli cedo" (je ne cède à personne), devise incontestablement subversive. Je rappelle par parenthèse que la vie d'Erasme se situe à peu près entre celles de Copernic et de Galilée, que l'on ne présente plus. Et je ne peux résister au plaisir de citer à nouveau Luther à propos de Copernic : "...ce fou qui prétend bouleverser toute l’astronomie ! Mais comme le déclare l'Ecriture, c'est au soleil et non à la terre que Josué a donné l'ordre de s'arrêter."

La pensée humaniste va se développer au cours de la Renaissance, avec des philosophes tels que Rabelais ou Montaigne, ou encore Cervantès en Espagne; plus tard, au XVIIIe siècle, Bernardin de Saint Pierre écrira ceci : "deux hommes de lettres, Rabelais et Cervantès, s'élevèrent, l'un en France et l'autre en Espagne, et ébranlèrent à la fois le pouvoir monacal et celui de la chevalerie. Pour renverser ces deux colonnes, ils n'employèrent d'autres armes que le ridicule, ce contraste naturel de la terreur humaine". L'époque classique poursuivra cette oeuvre, avec notamment le développement du libertinage, dont l'oeuvre de Molière, par exemple, est souvent empreinte, ce même Molière qui eut les ennuis que l'on sait à cause de sa pièce "Tartuffe", un épisode où l'on s'aperçoit que le monarque pourtant absolu Louis XIV devait encore s'incliner devant l'Eglise.

On ne saurait passer sur ce siècle sans évoquer Descartes, dont le grand philosophe rationaliste allemand Hegel dira qu'il est "le vrai fondateur de la philosophie moderne en tant qu'elle prend la pensée pour principe"; le même Hegel ajoutera : "Il a retrouvé le vrai sol de la philosophie auquel elle est revenue après un égarement de mille ans". Et bien sûr Spinoza, excommunié par les Juifs (dont il était) pour avoir préféré l'intelligence à la révélation. C'est Spinoza qui, peut-être le premier, développera la thèse de l'indépendance du pouvoir public à l'égard des prêtres, dans un traité théologico-politique. Ces philosophes placent la notion de doute parmi les fondements de la pensée philosophique, alors que pour les religions, le moins que l'on puisse dire est que le doute n'est pas permis : on est prié de croire ce que l'on vous dit sans discussion, et bien entendu sans vérification. Le fameux doute cartésien, qui reprend un peu le fameux "Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien" de Socrate, ainsi que le scepticisme de Montaigne, va être perçu comme un coup de poignard par les théologiens de tous ordres.

Ces grands penseurs ont ouvert la voie au rationalisme de Bayle et Fontenelle, et nous voilà dans le Siècle des Lumières, qui verra la pensée de Voltaire illuminer l'Europe, Diderot pousser le rationalisme jusqu'au matérialisme, tandis que le baron d'Holbach et plusieurs autres prendront la suite de l'abbé Meslier et des hédonistes en général.

S'inspirant de ces philosophes, c'est la Révolution qui, pour la première fois dans l'histoire, posera la laïcité comme principe institutionnel.




Les arts

Peinture et sculpture

Pendant tout le Moyen Age, la religion va accaparer l'essentiel du talent des peintres et sculpteurs, sans parler de l'architecture. Les motifs religieux sont de très loin les plus nombreux, pour ne pas dire les seuls, comme si l'art n'avait d'autre fonction que de répandre la foi : apôtres, visitation, crucifixion, descente au tombeau, anges et archanges, Dieu lui-même, bref, tout le panthéon y passe. Avec la Renaissance, cependant, la représentation du corps humain, tant haï par la religion, prend une importance de plus en plus grande, notamment chez les artistes italiens tels Le Tintoret, Michel-Ange, Léonard de Vinci et bien d'autres. Je voudrais citer ici l'historien de l'art Elie Faure : "Je ne crois pas qu'à cette époque, quelques humanistes à part, le scepticisme ait été très répandu" (Il énumère ainsi quelques grands peintres dont il dit qu'ils étaient tous de fervents chrétiens). Mais il ajoute : "Ils nous mènent, sinon sans heurts, du moins par une pente naturelle, jusqu'à la pensée inquiétante de Vinci, jusqu'au drame intérieur où se reconnaît Michel-Ange. Nous ne pouvons pas, de si loin, suivre dans ces âmes troublées toutes les nuances psychologiques qui accompagnèrent la dissociation du christianisme médiéval. Sommes-nous bien sûrs qu'en écrivant sa candide apologie du christianisme... Montaigne se soit rendu compte qu'il portait au christianisme le coup le plus terrible qu'il ait reçu ? Pouvons-nous assurer que Tintoret n'eût pas été surpris de notre propre surprise devant les femmes nues dont il peuplait les églises vénitiennes ?" Il conclut en déclarant : "La Renaissance a donc marqué le moment solennel où la rupture de l'unité chrétienne est survenue". Ce qui nous intéresse ici, c'est que, tout en peignant des sujets religieux, l'artiste de la Renaissance, plus ou moins consciemment, est déjà en rupture avec l'autorité religieuse.

Les sujets profanes se développent également, chez des artistes comme Holbein ou Jérôme Bosch qui peignent les petites gens et donnent à leurs oeuvres un caractère social. Souvent, la mythologie grecque sert en quelque sorte d'alibi pour sortir un peu de cette religiosité omniprésente : c'est le cas par exemple pour Dürer qui, après avoir peint des Apocalypse, Passions, Vierges ou Cène, peindra des sujets mythologiques ainsi que des portraits, dont le sien. L'époque classique verra enfin le triomphe de scènes humaines et souvent réalistes, avec notamment les fameux clairs-obscurs de Rembrandt, qui peindra la condition paysanne, et la représentation de plus en plus voluptueuse du nu féminin. Le XVIIIe siècle verra éclore les scènes de rues avec Canaletto par exemple.

Théâtre

Même observation que pour la peinture : le théâtre du Moyen Age est un théâtre religieux. On joue des mystères sur le parvis des églises.

Pourtant, dès cette époque, va se développer parallèlement un théâtre profane voire libertin par anticipation, comme certaines farces ou chantefables : "La farce du cuvier", "Aucassin et Nicolette" ("C'est en enfer que je veux aller car là sont les belles femmes, le bon vin, la bonne chère..." s'écrie Aucassin quand son père le menace de l'enfer pour lui avoir désobéi). Le théâtre élisabéthain (Shakespeare) et celui du siècle d'or espagnol ouvriront la voie au grand théâtre classique français.

Musique

Toujours la même évolution. Les compositeurs du Moyen Age consacrent leurs oeuvres à la religion, laissant aux ménestrels et gens du peuple des compositions profanes.

Il faudra pratiquement attendre le XVIIe siècle pour voir la musique se libérer de la religion. Mais là encore, la laïcisation de l'art aura eu lieu. Certes, au XVIIIe, les compositeurs continueront à composer des messes ou vêpres (Bach ne fera pratiquement que cela). Mais au cours de ce siècle, la musique s'éloignera considérablement de la religion, et Mozart par exemple, ne pouvant éviter le passage obligé que sont les compositions de messes, leur donnera la plupart du temps un style plus proche de ses opéras que de la musique liturgique.

Chanson.

J'ai gardé volontairement la chanson pour la fin car elle est l'art (mineur sans doute, mais qu'importe) populaire par excellence. Elle est aussi le plus libre car elle jouit d'une certaine clandestinité. Les auteurs peuvent très bien rester dans l'anonymat et les chansons circulent sous le manteau, ce qui explique que, dès le haut Moyen Age, à partir du XIe siècle peut-on dire, une multitude de chansons non seulement profanes mais, qui plus est, très hostiles à la religion, va se répandre, et cela ne s'arrêtera plus. Ce sont les ménestrels qui ont eu le mérite de séparer, les premiers, musique profane et musique religieuse. J'admets qu'en l'occurrence il ne s'agit plus seulement de laïcisation mais de combat. Mais il est significatif du caractère oppressif qu'exerçait l'Eglise sur les gens du peuple. De tous les arts existants, c'est la chanson populaire qui, la première, va sonner la charge contre la tyrannie de l'Eglise. Tout au long de son histoire, la chanson française ne cessera d'exprimer son attachement à ce qu'elle appellera elle-même l'"épicurisme" (sens populaire). Rappelons tout de même que de grands poètes, tel Ronsard, avaient déjà consacré une partie de leur oeuvre à cette philosophie qui célèbre la vie sur terre, et non au-delà.




Conclusion

La laïcisation de la société, des arts et de la pensée, c'est tout simplement la lutte pour la liberté, en particulier la liberté de pensée et de création, autrement dit l'émancipation de la personne humaine. Une liberté jusque là totalement confisquée par la religion. On le sait, aujourd'hui comme toujours, les religions monothéistes sont parmi les plus puissants alliés des oppresseurs de toutes sortes, quand elles ne le sont pas elles-mêmes. Ce qui veut dire qu'en matière de laïcisation, il reste énormément à faire.


Yves Pialot


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Réactions d'internautes


Bonjour, je suis actuellement en 1ère année d'histoire, nous venons d'étudier l'histoire moderne ce qui implique la renaissance. Etant moi aussi athée, je ne peux m'empêcher de vous faire part de mes impressions sur votre article "laïcisation des arts". Votre vision me semble quelque peu totalitaire. On ne peut pas parler de laïcisation mais plutôt d'un changement de point de vue vis-à-vis de l'omniprésence de dieu, il me semble que l'art se tourne davantage vers l'homme (cause de l'humanisme) mais elle ne se détourne pas pour autant de Dieu... tout cela est mon point de vue bien sûr mais les civils sont alors toujours croyants, puisque l'athéisme n'existe toujours pas.
Veuilez agréer.
(A.B / 03/10/07 - 11:13)


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