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Le mythe médiéval des hosties profanées :

Le cas de Paris et de Bruxelles


par Eric Timmermans  -  27/08/2009




Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.




1. L'Hostie sanglante.

En l'an 1243, à Berlitz, près de Berlin, des juifs furent accusés d'avoir profané des hosties consacrées. On déclara que les "déicides", ceux que le christianisme considère comme les assassins de Jésus-Christ, avaient réédité leur forfait en profanant l'Hostie consacrée, c'est-à-dire, selon la conception catholique, le corps du Christ lui-même ! La rumeur infernale se répandit comme une trapinée de poudre et tous les juifs de Berlitz furent immédiatement menés au bûcher sur une colline connue depuis sous le nom de Judenberg, le Mont des Juifs. Il se trouve qu'au 13ème siècle, un intérêt particulier se manifesta à l'égard de la nature de l'eucharistie et de la doctrine catholique (et orthodoxe, mais non protestante) de la transsubstantiation, selon laquelle l'hostie, qui n'est fondamentalement qu'une fine rondelle de pain non fermenté, devient le corps du Christ, une fois que le prêtre a prononcé à l'autel et au nom du Christ, les paroles suivantes : "Ceci est mon corps livré pour vous". Selon cette superstition, maltraiter une hostie consacrée revient donc à maltraiter le corps du Christ lui-même... Durant près de six cents ans, le mythe anti-judaïque et antihérétique des hosties profanées ou poignardées, sera largement utilisé contre les juifs, pour des raisons au moins autant politiques et financières que religieuses, mais également contre les cathares, païens, mécréants et autres "infidèles", et ce dans toute l'Europe chrétienne. Toutefois, à la fin du 13ème siècle, un lien étroit sera établi entre les juifs et le sacrilège de la profanation de l'hostie. L'origine de cette légende devenue ainsi spécifiquement anti-judaïque est à trouver dans l'histoire du prétendu "miracle des Billettes", dans le Paris de 1290. La dernière accusation connue de profanation d'hostie aurait eu pour cadre Bisladen (Roumanie) et remonterait à 1836.

2. Le cas de Paris.

C'est en 1290, à l'emplacement du sanctuaire de Billettes sis rue des Jardins (actuellement : rue des Archives, 22-26, 4e arrondissement), qu'éclata la version parisienne des "hosties profanées". Un jour, une pauvre femme chrétienne déposa ses habits chez un usurier juif nommé Jonathas contre trente sous. Voulant les récupérer pour Pâques, mais n'ayant pas d'argent pour les payer, elle accepta d'apporter à Jonathas le "saint sacrement", soit l'hostie consacrée qu'elle recevrait le jour de Pâques. La pauvresse se rendit donc à l'église Saint-Merri, vint à la communion, puis apporta l'hostie consacrée, cachée sous sa langue, à son commanditaire. Aussitôt, dit-on, Jonathas perça sauvagement de son couteau l'hostie dont le sang gicla en grande abondance ! Ensuite, il est dit que le juif la jeta dans le feu, mais qu'elle en sortit non seulement sans avoir subi le moindre dommage, mais qu'elle se mit en outre à voleter dans la chambre du sacrilège ! Mais Jonathas n'avait pas dit son dernier mot : il parvint à s'emparer de l'hostie volante et la lança dans une chaudière d'eau bouillante. L'eau se changea alors soudainement en sang et l'hostie s'éleva à nouveau dans les airs, laissant bientôt apparaître l'image de Jésus crucifié... Ajoutons que c'est depuis cette époque que la rue des Jardins fut appelée la "rue où Dieu fut boulu", la "rue où fut bouilli le saint sacrement" ou encore, la "rue en laquelle le corps de Notre-Seigneur fut bouilli"...

Sans penser à mal, un des fils de Jonathas, informa les enfants chrétiens du forfait qu'avait commis son père et c'est ainsi, dit-on, que le sacrilège fut découvert. Il n'en fallut pas plus à la populace pour se jeter sur Jonathas et le livrer à ce qui en ce temps tenait lieu de justice. Jonathas fut promptement jugé et condamné à être brûlé vif (ou écartelé), en place de Grève (actuelle place de l'Hôtel de Ville). Cette exécution aussi cruelle que sommaire, perpétrée sur base d'accusations farfelues empreintes de la plus risible superstition, fit vraisemblablement le bonheur de bien des chrétiens endettés à l'égard de Jonathas. Philippe le Bel lui-même, le célèbre liquidateur de l'Ordre du Temple, fit d'ailleurs confisquer à son profit la maison du juif que l'on rebaptisa bientôt la "maison des miracles". Quant à Belatine, la femme de Jonathas, et à ses enfants, ils n'eurent d'autre choix que de se convertir au christianisme. Injustice, intolérance et superstition triomphèrent donc, comme souvent...

L'hostie profanée, quant à elle, fut, dit-on, retrouvée dans la maison de Jonathas et recueillie dans une écuelle de bois par une voisine qui l'emporta jusqu'à l'église Saint-Jean-en-Grève (jadis située entre l'Hôtel de Ville et Saint-Gervais), où le curé la fit exposer : l'hostie fut enchâssée dans un reliquaire en forme de soleil, en vermeil doré. Quant au couteau de Jonathas et à l'écuelle de bois dans laquelle fut transportée l'hostie, on les enchâssa dans des reliquaires d'argent. En outre, quelques années après avoir connu la célébrité grâce au prétendu "miracle de l'hostie", Saint-Jean-en-Grève reçut de Lyon une considérable moisson de reliques : bras et ossements de saints, fragments de parchemin, mitre, sermons...

Et de la "maison du miracle", qu'advint-il ? Un certain Régnier Flaming, bourgeois de Paris, entreprit, en 1295, de faire édifier à cet endroit, une chapelle expiatoire. Au 14ème siècle, à la chapelle primitive s'ajoutèrent les bâtiments d'une communauté religieuse, celle des frères Hospitaliers de la Charité Notre-Dame. Dès qu'ils furent installés, les religieux de la "maison du miracle", qui allait devenir le sanctuaire des Billettes, organisèrent des offices solennels de réparation. Les fidèles affluèrent bientôt dans ce lieu de pèlerinage en tel nombre qu'il fallut agrandir la nef ! En 1427, on adjoignit au sanctuaire un cloître, le seul cloître médiéval parisien qui ait survécu jusqu'à nos jours. Ce cloître est doté de belles arcades à voûtes flamboyantes et on peut le visiter à l'occasion d'expos temporaires ou de concerts qui s'y tiennent régulièrement. Le n°22 de la rue des Archives est aujourd'hui le siège de l'Eglise évangélique luthérienne de France (EELF).

Le prétendu "miracle de l'hostie" fit donc l'objet d'un véritable culte articulé autour du sanctuaire des Billettes et de l'église Saint-Jean-en-Grève, et bien des siècles plus tard, on commémorait encore cet événement trois fois par an, notamment lors de processions solennelles qui parcouraient le chemin séparant Saint-Jean-en-Grève des Billettes. A ces occasions, on portait le reliquaire de l'hostie. Le "miracle" était également commémoré dans l'église Saint-Jean-Saint-François (rue Charlot n°6, 3e arr.).

En 1325, une chanson populaire rapportait l'histoire du "miracle de l'hostie", de la manière suivante :
    "...en la Bretonnerie
    A une petite abbaie
    Que l'on apele Sainte-Crois
    Dont les frères mettent les crois
    Partie à blanc et à vermeil
    De ce pas moult ne me merveil
    Puis siet après une chapelle
    Dédiée par miracle bele
    D'un juif qui en son ostel
    Bouilli le sacrement d'autel
    Dont trouvez fu vermaus entiers."
En 1446, lors de l'une des processions solennelles, on implora la "divine providence" pour qu'elle mette un terme à la guerre de Cent Ans. Et en 1538, une procession, durant laquelle on porta le reliquaire de l'hostie, fut organisée à la demande de François Ier. On y adjoignit une représentation dramatique, "Le Mistère du Juif", retraçant les événements de 1290. Paolo Ucello s'en inspira pour composer une toile qu'il nommera "Le Miracle de l'hostie", conservé au musée d'Urbin. Etrangement, ledit "mystère" ne fait nullement mention de la femme qui remit l'hostie à Jonathas après l'avoir subtilisée, alors que du point de vue des juges chrétiens, son geste ne pouvait paraître que doublement sacrilège...

Au 17ème siècle, les Carmes succédèrent aux Hospitaliers (ou "frères Billettes") et prirent dès lors le nom de "Carmes Billettes". Sur l'origine de cette appellation de Billettes, les explications divergent. Le terme "billette" pourrait évoquer la forme des scapulaires portés par les religieux : il devait se référer à une pièce héraldique dite "billette", soit un carreau oblong deux fois plus haut que large. Mais ce nom de "billette" pourrait également provenir d'un petit billot de bois, enseigne du bureau de péage avoisinant le lieu du "miracle de l'hostie", dans le quartier Saint-Merry, rue des Jardins donc, soit l'actuelle rue des Archives comme nous l'avons déjà rappelé.

Durant la Révolution, tous les objets liés au culte du "miracle de l'hostie" disparurent. Quant à l'église Saint-Jean-en-Grève, elle fut elle-même détruite durant la Révolution (1791). Le sanctuaire des Billettes sera par contre reconstruit au 18ème siècle et sert, depuis 1909, au culte protestant.

Nous l'avons dit, le prétendu "miracle de l'hostie" était également célébré dans l'église Saint-Jean-Saint-François, sis rue Charlot n°6 (angle de la rue Charlot et de la rue de Perche), dans le 3e arrondissement. Il est dit d'ailleurs dit que, dans les années 1970, cet événement était encore commémoré, trois fois par an, tant dans l'église Saint-Jean-Saint-François que dans la chapelle de l'école de la rue des Archives... Un couvent de Capucins sera construit à l'emplacement de l'actuelle Cathédrale Sainte-Croix des Arméniens (ex-église paroissiale Saint-François-d'Assise, ex-église Saint-Jean-Saint-François) entre 1695 et 1704. Sa chapelle, par contre, ne sera terminée qu'en 1715. Le couvent sera supprimé et loti à la Révolution, mais la chapelle, elle, devait subsister. En 1791, ladite chapelle devint l'église paroissiale Saint-François-d'Assise. C'est là, dit-on, que l'on trouvera les ornements sacerdotaux demandés par Louis XVI juste avant son exécution. Ces ornements, qui serviront à l'abbé Edgeworth de Firmont, lors de la dernière messe que Louis XVI entendit au Temple, se trouvent ( ?) dans la sacristie. Fermée en 1793, l'église sera mise en vente et achetée par la ville en 1798. Elle sera finalement rouverte en 1803 (Concordat) sous le nom de Saint-Jean-Saint-François, le nom de Saint-Jean se référant à l'église Saint-Jean-en-Grève, détruite, comme nous l'avons déjà dit, en 1791, et dont le clergé assumera désormais l'administration de Saint-Jean-Saint-François. En outre, en 1828, lors de la reconstruction du choeur, on y transporta les boiseries revêtues d'or datant du 18ème siècle et provenant de l'ancienne église des Billettes. L'église Saint-Jean-Saint-François fut fermée en 1965, puis rouverte cinq années plus tard et affectée par la Ville de Paris, propriétaire des lieux, à l'Eglise arménienne, et rebaptisée Cathédrale Sainte-Croix des Arméniens.

L'église devrait encore posséder huit (ou neuf) tapisseries (dans la nef) datant du 19ème siècle et retraçant l'histoire de l'hostie profanée par Jonathas. Il s'agit de copies de tapisseries qui, jusqu'à la Révolution, ornaient l'église des Billettes. On a également retrouvé dans la sacristie un ostensoir à statuettes sur lequel figurent des scènes de la profanation de l'hostie. A noter aussi que des vitraux de l'église Saint Etienne du Mont (héritière de l'église Sainte-Geneviève, démolie entre 1801 et 1807 et située place Sainte-Geneviève, dans le 5e arrondissement) , datant du 16ème siècle, représentent également des scènes liées à cette légende de la profanation des hosties.

3. Le cas de Bruxelles.

Une légende semblable défraya la chronique bruxelloise dans les années 1369-1370.

En 1369 donc, un juif habitant Enghien (Wallonie) et nommé Jonathas (comme son homologue parisien le siècle précédent !) voulut, dit-on, se procurer des hosties consacrées. Le 1er octobre de la même année, il se rendit à Bruxelles et, après s'être arrêté à une auberge nommée L'Ecu de Hongrie et située rue d'Or, une rue aujourd'hui disparue que l'on situait jadis dans les environs de l'actuel boulevard de l'Empereur, il alla trouver un autre juif qui se faisait nommer Jean de Louvain.

Bien que converti au catholicisme, Jean était resté fidèle à sa tradition hébraïque ancestrale et habitait rue des Sols. Bientôt, il ouvrit la porte de son logis à Jonathas d'Enghien qui lui proposa le marché suivant : Jean, converti récemment au christianisme, devait lui procurer des hosties consacrées, en échange de ce service, il lui verserait une somme conséquente en sols parisis (c'est pour cette raison, dit-on, que la "rue des Sols" qui portait alors un autre nom, prit le nom qui est encore le sien aujourd'hui...). Mais lorsque Jonathas dévoila à Jean le but véritable de ce marché, celui-ci paniqua à l'idée des plus horribles supplices qui étaient infligés aux profanateurs et réclama une somme bien plus importante qu'il finit d'ailleurs par obtenir.

Dans la nuit du 4 au 5 octobre 1369, Jean s'introduisit dans la chapelle de l'église Sainte-Catherine (celle qui précédait l'actuelle église Sainte-Catherine, de construction bien plus récente ; de l'ancienne église ne subsiste plus que la tour que l'on peut voir de la place du même nom), brisa le tabernacle et s'empara d'un ciboire qui contenait seize hosties consacrées, une grande et quinze petites. Il s'empressa de remettre celles-ci à Jonathas.

De retour à Enghien, Jonathas rassembla ses amis dans sa maison où tous, prétendit-on, accablèrent les hosties d'injures et d'outrages. Mais quinze jours plus tard, Jonathas était retrouvé massacré dans son jardin, dans des conditions mystérieuses. La veuve de Jonathas, qui ne voulait pas garder chez elle les hosties, vint alors s'établir à Bruxelles et remit à des juifs de sa connaissance, les seize hosties consacrées.

Comme dans toutes les villes où ils étaient plus ou moins tolérés, les juifs de Bruxelles habitaient un ghetto. Celui-ci était connu sous le nom d'Escaliers des Juifs, tout simplement parce que ce quartier juif comptait un grand nombre d'escaliers de pierre qui reliaient la place Royale à la Grand Place. Après bien des péripéties, les travaux de démolition de ce quartier commencèrent en 1897. Il correspondait à ce que l'on nomme aujourd'hui à Bruxelles le Mont des Arts, de même qu'aux rues Terarken, des Sols, des Douze-Apôtres, Villa-Hermosa, etc., toutes situées à proximité de la gare centrale. A noter qu'au début des années 1950, le nom d'Escalier des Juifs désignait encore un escalier reliant la rue des Minimes à la rue Haute.

En 1370, la synagogue se situait au coin de la rue des Sols et de la rue des Douze-Apôtres. C'est là que, selon les accusations malveillantes qui furent portées contre eux, les juifs s'assemblèrent, le 4 (ou le12 avril), jour du Vendredi-Saint (ou de Pâques), pour commettre le "sacrilège suprême". Ils jetèrent les seize hosties sur une table, les couvrirent d'injures (on remarquera l'aberrante contradiction qui consiste à décrire des juifs, qui ne croient pas à la superstition de l'incarnation du corps du Christ dans les hosties consacrées, en train d'accabler d'injures des morceaux de pain...) entrecoupées d'imprécations contre le "dieu des chrétiens", avant de, finalement, les poignarder sauvagement, ce qui provoqua, dit-on, le saignement des morceaux de pain christiques précités et l'étonnement terrifié des profanateurs... Autre absurde contradiction, bien entendu, car de deux choses l'une, ou les juifs incriminés croyaient que les hosties constituaient bien le corps du Christ et, dès lors, ils ne devaient nullement s'étonner d'en voir jaillir du sang, ou, comme on le sait, ils n'y croyaient pas, et dès lors toutes ces simagrées débouchant sur un attentat contre un produit de boulangerie ne pouvait évidemment avoir aucun sens... Toutefois, la légende ajoute que "épouvantés", les "sacrilèges" se dispersèrent et que certains même moururent de terreur...

La "justice" du temps fut quant à elle expéditive et cela n'est hélas guère légendaire... Le 22 mai 1370, soit moins de six semaines après les "faits", les juifs incriminés, au nombre de trois ou sept selon les versions, furent torturés (à l'aide de tenailles, le bourreau leur arracha des lambeaux de chair avant de verser du plomb fondu dans les plaies...), puis brûlés vifs quelque part entre la Porte de Hal et la Porte de Namur. A la suite de cette affaire, les juifs furent expulsés du Brabant et leurs biens furent confisqués, opération qui, dit-on, rapporta au duc de Brabant une somme considérable. Nombre de juifs parfaitement innocents furent également brûlés ou massacrés par la populace brabançonne.

C'est là que commence la folle équipée historique des "hosties poignardées" de Bruxelles... Certains des "sacrilèges", soucieux de faire disparaître les traces de leur forfait, avaient remis les hosties profanées à une certaine Catherine, juive convertie au christianisme, afin de les faire porter à Cologne, moyennant une considérable somme d'or. Mais ladite Catherine préféra les remettre au curé de l'église de la Chapelle, Pierre Van den Heede, auquel elle confessa toute l'histoire.. Ledit curé plaça alors dans le tabernacle le ciboire contenant les hosties. Celles-ci furent ensuite réparties entre les églises de la Chapelle et de Sainte-Gudule (actuelle cathédrale Saint-Michel), cette dernière recevant la grande hostie, de même que deux petites.

Les hosties de Sainte-Gudule firent dès lors l'objet d'un culte particulier et une fête spéciale fut instituée en l'honneur du Très Saint Sacrement du Miracle, entendez l'odieuse machination qui sur base d'une absurde superstition coûta la vie à nombre de juifs du Brabant. A l'occasion de cette fête, une procession parcourait annuellement les rues de la capitale le jour de la Fête-Dieu.

En 1530, une procession particulière sera instituée par Marguerite d'Autriche, le 20 juillet. Cette célébration sera à l'origine de ce que nous connaissons encore aujourd'hui sous le nom de "foire de Bruxelles". En 1579, durant les guerres de religions, les hosties de Sainte-Gudule furent déposées dans une poutre creuse, chez une certaine Dame Jeanne Baerts, qui habitait la rue des Fripiers. En 1585, les hosties furent rendues à Sainte-Gudule.

En 1789, elles furent cette fois confiées à une Demoiselle Anne-Catherine De Bruyn, qui habitait la rue du Meyboom. De là, elles furent transférées dans une maison attenante à l'église Sainte-Gudule, puis, à la fin de la même année, remises solennellement dans leur chapelle... Lorsque les révolutionnaires français entrèrent pour la première fois dans les Pays-Bas autrichiens en 1792, les hosties furent cette fois transportées chez un prêtre nommé Sirejacobs, qui les emmena au Grand Béguinage (actuelles place et rue du Béguinage), afin de les confier à sa sÅ“ur. Elles resteront là jusqu'au 13 avril 1793, date à laquelle on crût bon de les rapatrier à nouveau à Sainte-Gudule. Mais en 1794, lors de la seconde offensive française, les hosties furent déposées chez un certain sieur Huygh, marguillier de Sainte-Gudule, qui habitait rue de la Montagne. A la mort dudit sieur Huygh, les hosties furent cette fois transportées à Malines, chez le vicaire général, où elles restèrent de 1801 à 1804. Elles reprirent finalement le chemin de Bruxelles, afin d'être replacées processionnellement, un 14 juillet (!), dans leur chapelle de Sainte-Gudule.

Au milieu du 19ème siècle, dans son Dictionnaire historique des rues, places...de Bruxelles, Eugène Bochart précise que les trois "hosties profanées" étaient toujours conservées à la collégiale des SS. Michel et Gudule et qu'elles étaient renfermées dans un ostensoir ouvragé. Par contre, les treize hosties déposées à l'église Notre-Dame de la Chapelle avaient semble-t-il déjà disparu au 16ème siècle, au cours du pillage des églises qui eut cours durant les guerres de religions.

Quant à la synagogue où se déroula le "sacrilège" prétendu, elle fut remplacée par une chapelle dite du Saint-Sacrement ou de Salazar. Elle se situait, comme nous l'avons déjà dit, au coin des rues des Sols et des Douze-Apôtres, deux artères aujourd'hui reliées par la rue Ravenstein. Le prétendu "miracle des hosties sanglantes" permit ainsi de raser ladite synagogue afin de bâtir sur ses ruines une chapelle catholique dédiée à cet événement. La chapelle fut desservie par les Chartreux. Mais en 1798, sous le régime français (1794-1814), la chapelle du Saint-Sacrement fut fermée. Elle fut ensuite louée, de 1802 à 1816, aux "Dames de la Visitation et de Berlaimont", qui en firent leur oratoire. La chapelle et l'hôtel y attenant furent par la suite plusieurs fois vendus. Ces biens furent finalement acquis, en 1851, par un certain comte de la Laguna de la Serna.

On notera également, pour ce qui est de la chapelle du Saint-Sacrement, qu'elle était, dès 1850, devenue le siège de l'Association de l'Adoration perpétuelle du Très-Saint-Sacrement et de l'Å“uvre des églises pauvres (canoniquement érigée le 4 janvier 1850). Preuve que l'antijudaïsme était encore bien vivace à Bruxelles à la moitié du 19ème siècle, le 18 juin 1852, on fit célébrer dans ladite chapelle du Saint-Sacrement, la première messe des services journaliers en expiation du prétendu "sacrilège" commis par les juifs cinq siècles plus tôt. La dernière célébration du prétendu "miracle" se déroulera en 1870.

Enfin, signalons que dans son célèbre Notre-Dame de Paris, Victor Hugo fait référence à l'affaire des "hosties sanglantes" de Bruxelles (qui se déroula au 14ème siècle, tout comme l'histoire d'Esmeralda et de Quasimodo, alors que l'affaire des hosties de Paris se déroula quelques décennies plus tôt... cqfd), dans les termes suivants : "Monsieur l'avocat criminel Philippe Lheulier sait pourtant un peu d'hébreu qu'il a appris dans l'affaire des juifs de la rue Kantersten à Bruxelles." (Notre-Dame de Paris, p. 296). On reconnaîtra dans le "Kantersten" d'Hugo, qui vécut longtemps à Bruxelles d'ailleurs, le quartier du Cantersteen que nous venons d'évoquer.


Eric Timmermans

Bruxelles, le 27 août 2009.




Bibliographie :
  • Bruxelles, notre Capitale, Louis Quiévreux, PIM-Services, 1951

  • Cahiers de recherches médiévales, 2007, "Jean-Louis Schefer, L'Hostie profanée. Histoire d'une fiction théologique", mis en ligne le 22 août 2008, URL : http://crm.revues.org//index7803.html

  • Dictionnaire encyclopédique de l'histoire de France, Charles Le Brun, Maxi-Poche Histoire, 2002

  • Dictionnaire historique des rues, places...de Bruxelles (1857), Eug. Bochart, Editions Culture et Civilisation, 1981

  • Guide de Paris mystérieux, Les Guides noirs – Editions Tchou Princesse, 1978 (p. 113-117, 229).

  • Guide du Routard Paris, 2004 (p. 192)

  • Légendes bruxelloises, "Les Hosties sanglantes", Victor Devogel, TEL/Paul Legrain (J. Lebègue et Cie, 1914), p. 126-145.

  • Notre-Dame de Paris, Victor Hugo, GF Garnier Flammarion, 1969.




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