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Églises : le devoir de mémoire


par Jean-François Moizan  -  17/08/2015




Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.




J'aime bien visiter les églises. C'est frais, c'est calme. Il y a un côté "pochette surprise" à entrer dans une église qu'on ne connaît pas : à chaque visite, on ne sait jamais ce qu'on va découvrir à l'intérieur. Du triste, crasseux, sombre, banal, austère. Ou alors du propre, riant, original, beau, orné, ou carrément grandiose. Ma préférée toutes catégories confondues : la Sagrada Familia à Barcelone. Et dans le genre modeste : la chapelle qui surplombe le port de La Meule, sur l'Île d'Yeu, avec ses murs blancs et ses petits vitraux simples mais magnifiques.

Visiter une église, c'est aussi une occasion d'exercer le devoir de mémoire. En général, on emploie le terme "devoir de mémoire" à propos de, par exemple, les camps de concentration. Pour dire qu'il ne faut pas oublier la barbarie nazie, que ça nous concerne tous, ici et maintenant, même si c'est d'autres personnes en d'autres temps qui en ont été les victimes.

Concernant les églises, elles donnent l'occasion de penser à certaines autres choses que nous devrions garder en mémoire. La liste serait longue ; je vais me contenter ici d'évoquer, pour leur rendre hommage, les millions de personnes qui, sur plusieurs dizaines de générations, ont fréquenté les églises malgré elles. Je les considère comme des victimes à part entière, oubliées des manuels d'Histoire, mais qui méritent notre compassion. Sans chercher à les dater précisément, je distingue plusieurs époques, avec par ordre chronologique :
  • L'époque de l'oppression d'État
  • L'époque du conformisme général
  • L'époque du conformisme familial

L'époque de l'oppression d'État

Fut un temps où, si on n'était pas dans la ligne du parti, il valait mieux faire profil bas si l'on voulait rester en vie...

John Rawls ("La justice comme équité", section 11.3) explique bien la situation à l'époque médiévale :
"... l'adhésion partagée et prolongée à une doctrine englobante ne peut être réalisée que par l'usage oppressif du pouvoir étatique, avec tous les crimes officiels, la brutalité et la cruauté inévitables qui s'y rattachent, [...]. Si nous disons qu'une société politique est une communauté lorsqu'elle est unie dans l'affirmation de la même doctrine englobante, alors l'usage oppressif du pourvoir de l'état, avec les maux qui l'accompagnent, est nécessaire pour préserver la communauté politique. [...]. Dans la société médiévale, plus ou moins unie dans l'affirmation de la foi catholique, l'Inquisition n'était pas un accident : la suppression de l'hérésie était nécessaire à la préservation de la croyance religieuse commune."
Et après cette époque, n'oublions pas non plus les guerres de religion, la persécution (en France) des protestants, et la ghettoïsation (en Europe) des juifs.

L'époque du conformisme général

C'est l'époque où on peut être athée et le dire sans être persécuté par l'État, mais où ça n'est "pas très bien vu", où on se retrouve stigmatisé. Pour les autres, qui ne sont pas pour autant atteints par la foi, il reste cette fréquentation désabusée des églises, magnifiquement évoquée dans la chanson "Ces gens-là" de Jacques Brel :
D'abord il y a l'aîné, lui qui est comme un melon
Lui qui a un gros nez, lui qui sait plus son nom
Monsieur tellement qu'il boit ou tellement qu'il a bu
Qui fait rien de ses dix doigts mais lui qui n'en peut plus
Lui qui est complètement cuit et qui se prend pour le roi
Qui se saoule toutes les nuits avec du mauvais vin
Mais qu'on retrouve matin dans l'église qui roupille
Raide comme une saillie, blanc comme un cierge de Pâques
Et puis qui balbutie et qui a l'oil qui divague
Faut vous dire Monsieur que chez ces gens-là
On ne pense pas Monsieur, on ne pense pas, on prie

L'époque du conformisme familial

Époque dans laquelle nous sommes encore... Je vais distinguer deux cas.

D'abord les adultes qui n'ont pas plus la foi que ça, mais qui vont à l'église pour les mariages, enterrements, baptêmes. Ils y vont par tradition, sans même se poser la question du décalage entre ce qu'ils pensent vraiment et la véracité de ce qui peut être énoncé dans les églises. Si on leur demandait si dans la vraie vie, on peut transformer du vin en sang, si une femme vierge peut enfanter (sans traitements médicaux complexes !), si un humain peut marcher sur l'eau, s'il peut ressusciter, etc., ils répondraient certainement dans leur immense majorité que c'est impossible. Mais ça ne les gêne pas plus que ça d'entendre exactement le contraire dans la bouche d'un prêtre. Ils vont à la cérémonie religieuse parce qu'ils n'ont jamais envisagé l'alternative entre y aller ou pas. Et parce que le sens de ce qui y est dit n'a finalement pas d'importance pour eux, que l'important pour eux c'est juste d'y être. Ça, c'est vraiment l'un des miracles avérés de la religion : arriver à faire cohabiter dans un même cerveau deux systèmes de pensée totalement contradictoires, sans que ça émeuve son propriétaire. Faire accepter l'idée que tout et son contraire peuvent coexister "dans la joie", que l'incohérence manifeste n'a en fin de compte aucune importance.

Pour ces personnes-là, je dirais qu'il n'y a pas (en fin de compte) de ressenti préjudiciable, même si je m'autorise à penser que ce n'est pas nécessairement dans leur intérêt d'avoir une pensée incohérente et de ne pas faire preuve d'un minimum d'esprit critique.

L'autre cas, ce sont les personnes qui, ayant une pensée unifiée et cohérente, souffrent des incohérences entre le discours rabâché dans les églises, et la réalité du monde. Mais qui s'obligent par conformisme à fréquenter les églises, quand elles n'y sont pas carrément forcées par l'autorité parentale. Pour celles-là, je suis triste. Je leur souhaite de trouver un jour la force de faire valoir leur droit à la différence, et à ne pas se soumettre à des diktats illégitimes.


Jean-François Moizan
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