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Carnage à Charlie Hebdo

"Pourquoi tout ça ?" ou "Tout ça pour quoi ?"


par Thierry  -  06/02/2015




Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.




Après ce terrible attentat [7 janvier 2015], les journalistes, les consultants et les hommes politiques multiplient les hypothèses et les analyses afin de tenter de comprendre, d'expliquer et de réagir face aux événements qui ont conduit à ce bain de sang. Ils cherchent des éléments de compréhension dans l'histoire contemporaine et dans celle des religions en posant inlassablement la même question : "Pourquoi tout ça ?". En revanche, jusqu'à aujourd'hui, je n'ai ni lu ni entendu la moindre analyse qui pose explicitement la question en ces termes "Tout ça pour quoi ?". Dans un pays démocratique et laïc comme le nôtre, il n'y a pourtant aucune raison pour que cette interrogation soit taboue et pour qu'elle ne puisse pas être poussée dans ses retranchements. Même si la réponse à cette question risque de n'être qu'un coup d'épée dans l'eau, certains freins psychologiques liés aux convictions personnelles, à l'autocensure ou une conception réductrice de la notion de respect, semblent empêcher la plupart des commentateurs d'aller jusqu'au bout de leur questionnement. Pourtant, lorsque l'on regarde la carte du monde, on réalise à quel point, dans notre pays, la liberté d'expression est un droit qu'il faut chérir et protéger. Dans d'autres cultures ou sous d'autres régimes politiques, le totalitarisme, le prosélytisme religieux précoce, l'endoctrinement des esprits, les traditions culturelles pesantes, l'obscurantisme omniprésent, l'analphabétisme et l'ignorance ont un poids tel que la question "Tout ça pour quoi ?" ne pourrait même pas être formulée . ni même ... intellectuellement conçue ! Mal comprise ou mal interprétée, elle ne servirait, tout au plus, qu'à désigner l'ennemi commun.

Alors ! Tout ça pour quoi ? Je crains fort que la réponse à cette question ne tienne qu'en deux mots "pour rien"* ce qui, à mes yeux, rend cette violence sans objet, d'autant plus désolante et absurde !

* Comme le suggère la superbe chanson d'Alain Souchon
https://www.youtube.com/watch?v=Ay5lnY_Dk1E (Et s'il n'y avait personne ?)

Tout ça pour quoi ? .
Ma réponse à cette question m'a inspiré cette parabole iconoclaste





Le trésor sacré

Il y a bien longtemps, dans une contrée lointaine, un homme qui se faisait appeler "Le prophète" rassembla ses fidèles dans un imposant temple de pierre qui trônait au centre d'une petite communauté spirituelle. Il avait revêtu sa toge blanche afin de présenter à ses disciples l'épreuve qui devait mettre un point final à leur longue initiation. Les membres de l'assemblée vouaient une confiance aveugle et une vénération sans bornes à leur maître. Ils attendaient de recevoir les instructions suprêmes dans un silence religieux.
Sur un ton emphatique, le prophète prit la parole pour présenter à son auditoire l'objet de cette ultime épreuve.

"Mes très chers frères, l'objectif de la dernière étape de votre initiation est de tester votre fidélité et votre foi inébranlable dans mon enseignement. A quelques lieues de là, un coffret d'une valeur inestimable est enterré dans un espace sacré. L'existence de ce trésor ne fait aucun doute. Il m'a fallu de longues années pour le localiser avec précision. Pour ce faire, les grands prêtres ont interprété les textes anciens et les astrologues ont longuement interrogé le ciel. La découverte de ce trésor doit mettre un point final à vos doutes et à vos interrogations. Le coffret est enfoui dans un champ à quelques lieues de là. La prophétie dit qu'il renferme la preuve sacrée de la "Vérité Universelle". La découverte de ce "Grand Mystère" est l'ultime phase de votre quête mystique ; elle vous donnera le statut d'initié. Pénétrés par la Sainte Lumière, vous pourrez ensuite partir sur les routes pour dispenser la bonne parole. Soyez, perspicaces, rapides et courageux car la prophétie précise que vous devez trouver le trésor avant le coucher du soleil faute de quoi le coffre restera sous la terre et nous devrons attendre cent longues années avant que les oracles permettent à nouveau sa mise à jour."

Après avoir donné ses instructions et béni l'assemblée, le prophète entra en prière en attendant qu'on lui présentât l'objet de la Sainte Quête.

Sans perdre de temps, les fidèles prirent la direction du terrain sacré en emmenant avec eux quelques outils destinés à retourner la terre. Après une bonne heure de marche d'un pas alerte, ils découvrirent un petit champ herbeux dont les contours avaient été soigneusement délimités par les prêtres à l'aide de petites bandelettes de tissu blanc. Le terrain n'était pas bien grand mais, à l'intérieur de celui-ci, l'emplacement du trésor n'avait pas pu être localisé avec précision. Pour le découvrir, les disciples prirent conscience qu'ils allaient être obligés de retourner une énorme quantité de terre. Si la chance n'était pas au rendez-vous, le travail en perspective allait être titanesque d'autant que le temps risquait de manquer. Le soleil était déjà au zénith ! Les fidèles comprirent alors que la découverte du coffret était compromise d'autant que le nombre d'outils dont ils disposaient était très insuffisant. Le temps imparti permettait tout juste de fouiller le tiers de la superficie du champ. Ils devaient absolument s'organiser et privilégier un secteur de fouilles. Ils se réunirent en cercle afin de définir une stratégie commune. Les prises de parole se succédèrent. De nombreux arguments furent échangés pour tenter de localiser une zone à explorer en priorité. Le débat était animé et les avis divergeaient. Bientôt trois disciples se distinguèrent assez nettement de l'ensemble du groupe, ils désignèrent du doigt trois parcelles différentes en appuyant leur choix respectifs avec moult arguments théologiques.

"- Il faut creuser dans la partie du terrain la plus herbeuse, celle où la terre est la plus généreuse ! C'est écrit dans les livres sacrés que nous a lus notre grand maître !"

"- Non, creusons dans la parcelle située en direction du Levant ! Ce trésor est la lumière de l'esprit ! C'est vers la lumière qu'il nous faut chercher !"

"- Êtes-vous ignorants au point de ne pas savoir qu'il faut creuser au centre ? La vérité n'est-elle pas toujours au centre de toute chose ?"

Bien que tous les disciples fussent habités par une foi commune, ils commencèrent à se déchirer et se partagèrent en trois groupes d'égale importance derrière les trois prédicateurs. Les invectives, les insultes et les menaces commencèrent à fuser de toute part car hormis le différent lié à la localisation, chaque clan exigeait d'avoir l'usage exclusif des quelques outils disponibles.

Attirés par le remue-ménage et par les cris, quelques habitants du village voisin vinrent assister à la querelle qui prenait de l'ampleur. Ces villageois vivaient dans une petite communauté à la lisière de la forêt. Ils avaient été rejetés par les membres de la secte car ils avaient résisté au prosélytisme du "prophète". Ils étaient restés indifférents à ses fables et à ses affirmations sans preuve. Ces hommes dignes et sages avaient refusé de mettre un genou à terre devant les icônes brandies par le Grand Maître. Ils avaient refusé de voir leurs questionnements métaphysiques enfermés dans un dogme exclusif et rejetaient toute forme de sacralité. A la vénération, ils préféraient la pratique des arts, la contemplation du monde et l'étude des sciences. Ils étudiaient dans de vieux livres qui avaient échappé aux flammes du grand autodafé organisé par le prophète. Ils étaient méprisés pour leur impiété et régulièrement victimes de sarcasmes et de persécutions. Suffisamment lucides pour savoir qu'aucun trésor n'était enfoui dans le champ, ils assistaient impuissants à la scène qui se déroulait sous leurs yeux. Les villageois essayèrent vainement de ramener les belligérants au calme.

Malheureusement, la croyance fut bien plus puissante que la raison et, après les insultes, les coups commencèrent à pleuvoir. Afin de sonder leur parcelle de prédilection, les membres des trois clans commencèrent à se battent pour s'approprier les rares outils disponibles. Rendus sourds et aveugles par l'objet de leur quête, les fidèles furent peu à peu submergés par une violence extrême. Certains disciples, privés de pelle et de pioche se mirent à creuser la terre à mains nues, avec frénésie. Finalement, la violence atteignit un paroxysme tel que les fidèles s'entre-tuèrent jusqu'au dernier. Au coucher du soleil, l'ensemble des disciples gisait sur une terre gorgée de leur sang.

L'histoire ne dit pas si le prophète s'enorgueillit de cet ultime témoignage de fidélité ! Enfermé dans ses certitudes ou dans sa folie, peut-être pensa-t-il que ses disciples avaient manqué de sagesse et que, pour cette raison, ils ne s'étaient pas montrés dignes de recevoir la Lumière de la Vérité ! Les hommes de foi ont plus d'une pirouette rhétorique dans leur sac !

Bien plus tard, le temple fut abandonné et cette histoire dramatique fut oubliée. Le terrain où s'était déroulé le drame retourna à sa vocation agricole. Pendant des années il fut retourné et labouré en tous sens par les villageois qui, eux, savaient que leur destin était ici-bas ... entre leurs mains ! Jamais le moindre trésor ne fut découvert !
Toute cette violence, tous ces morts . pour rien ! Des morts absurdes pour un espoir fou, pour une croyance aveugle, pour une illusion consolatrice servie par une foi aveugle !




Je pense au tableau de Goya qui apporte peut-être un élément d'explication à cette violence : "Le sommeil de la Raison engendre des monstres". Toutefois, comme l'illustre cette petite histoire, une chose me semble certaine : Parmi les maladies définitivement incurables qui touchent l'humanité, il y a celles qui envahissent l'esprit !

De l'usage immodéré du mot "respect"

Liberté d'expression . oui mais !
On peut tout dire ... oui mais !

Après toutes ces émotions, quoi de meilleur qu'une boisson chaude pour se requinquer ! Pourquoi ne pas vous préparer un bon thé dans lequel vous pourriez, selon votre goût ou vos habitudes culturelles, ajouter soit un nuage de lait, soit un zeste de citron voire quelques feuilles de menthe fraîche ! Ceux d'entre vous qui ont soif d'aventure pourraient peut-être se confronter à l'apesanteur et à la raréfaction de l'oxygène en allant dans l'espace pour se préparer une divine infusion . dans la théière céleste de Russell !

Bertrand Russell (1872-1970) est considéré comme l'un des plus grands philosophe du XXème siècle. Il était à la fois mathématicien de renom, logicien, philosophe et épistémologue. Dans un article, il écrivit une brève histoire pour illustrer les préceptes suivants :

La charge de la preuve appartient à celui qui déclare
Ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve
La non-impossibilité n'est pas un argument d'existence
Une allégation extra-ordinaire nécessite une preuve plus qu'ordinaire
La force d'une croyance peut être immense

La divine théière de Russell

"Enfermés dans leur certitude, de nombreux orthodoxes pensent que c'est aux sceptiques de réfuter les dogmes ou les croyances qu'ils soutiennent. Ceci est une grossière erreur de logique. En effet, c'est bien évidemment à celui qui affirme d'apporter la preuve des hypothèses qu'il avance."
"Si, par exemple, je suggérais qu'entre la Terre et Mars se trouve une théière de porcelaine en orbite elliptique autour du Soleil, personne ne serait capable de prouver le contraire pour peu que j'aie pris la précaution de préciser que la théière est trop petite pour être détectée par nos plus puissants télescopes. En revanche, si j'affirmais que, dans la mesure où ma proposition ne peut pas être réfutée, non seulement elle mérite le respect mais, qu'en plus, il n'est pas tolérable pour la raison humaine d'en douter, on me considérerait aussitôt comme un illuminé ou un fou. Imaginons maintenant que l'existence de cette théière ait été décrite dans des livres anciens et enseignée comme une vérité sacrée de génération en génération. Imaginons que cette croyance soit entourée d'un rituel dominical et d'une mythologie inculquée aux enfants dès leur plus jeune âge, alors, toute hésitation à croire en son existence deviendrait un signe d'excentricité et vaudrait au sceptique les soins d'un psychiatre à une époque éclairée ou ceux d'un inquisiteur en des temps plus obscurs."

( Bertrand Russell - 1952)

"Aussi longtemps que nous accepterons le principe que la foi religieuse doit être respectée simplement parce que c'est la foi religieuse, il sera difficile de refuser ce respect à la foi des auteurs d'attentats suicides. L'alternative, si évidente qu'il est inutile d'en souligner l'urgence, est d'abandonner le principe du respect automatique de la foi religieuse. C'est une raison pour laquelle je fais l'impossible pour mettre les gens en garde contre la foi elle-même, et pas seulement contre la prétendue foi "extrémiste". S'ils ne sont pas extrémistes en soi, les enseignements de la religion dite "modérée" sont une invitation ouverte à l'extrémisme. La frontière entre la modération et l'extrémisme n'est qu'une question de parcours individuels ou de circonstances historiques."
(Richard Dawkins)

"Ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve."
(Euclide)

Au delà du respect dû à toute personne humaine et de la tolérance bienveillante nécessaire pour vivre dans la paix et dans une "relative" harmonie, je ne vois pas pour quelles raisons les affirmations liées aux religions, aux croyances, à Zeus sur le Mont Olympe, aux théières célestes ou autres dogmes de toute nature, devraient bénéficier d'un respect spécifique ou d'un statut particulier. Au moment où les trois religions monothéistes se serrent les coudes pour demander le retour du délit de blasphème ou sa confirmation, cette question est plus que jamais d'actualité !


Thierry



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