"(...) Poser que l’amour exclut le désir et que la concupiscence est la dénégation de l’amour a pour corollaire que l’homme ne sait pas aimer, qu’il est dans l’illusion s’il croit s’en faire une idée et qu’il se trompe quand il imagine qu’il aime.
L’amour profane et l’amour sacré, Eros et Agapè, sont incompatibles parce que l’un est faux et l’autre vrai. Dans l’un, le corps jouit. Dans l’autre, l’âme parle.
Sa jaculation n’est pas éjaculatoire !
C’est bien dommage. Ça laisse croire que l’homme ne peut aimer que dans le déchirement de soi, le renoncement à une partie de lui-même. Si l’amour sacré renonce à la chair, l’amour profane renonce à l’âme. Le christianisme a capturé l’amour, l’a délibérément dénaturé pour en faire le paradigme de Dieu et de Dieu seul. A un point tel que nous sommes incapables, depuis, de nous représenter au juste ce que signifiait l’amour pour des Grecs ou des Romains.
Désormais, l’homme est incapable d’aimer, il convoite ; quand il préfère sa mort à celle de l’être aimé, il ne pense encore qu’à lui. L’amour humain porte le stigmate de la faute originelle. Non qu’il soit une erreur, un manque de discernement, une trop grande hâte dans le choix qu’il fait de son objet. L’amour humain n’est que concupiscence. S’il se trompe dans son élection, son erreur ne tient pas à ce qu’il oublie la précarité de la personne aimée. Ce n’est pas l’objet d’amour qui est en cause mais le sujet ; l’amant, non l’aimé.
La Sainte Thérèse du Bernin jouit-elle, oui ou non ? Telle est la question qu’écarte avec horreur tout parangon de l’amour chrétien pour qui elle ne jouit évidemment pas, ne connaît pas d’orgasme. Le ravissement mystique implique une frigidité du désir. "Ce n’est plus moi", pourrait-elle répéter après St Paul, c’est Dieu qui aime en moi. Et sa lévitation supposée ne la fait pas décoller du sol mais de son propre corps. Ce transport, toutefois, n’est que localement désincarné. Tout se passe comme si elle n’avait plus de bas-ventre mais il lui reste le cœur qui, seul, peut se permettre d’être brûlant !
L’amour sacré est l’amour castré d’un humain qui ne l’est pas assez (castré) : un humain trop humain en quelque sorte. (…) Que le christianisme soit hanté par le déni du phallus et que ce déni prenne la forme de l’amour mystique, en sacralise la vérité, en fasse pour l’homme un devoir, resterait inintelligible si Dieu bandait. Mais nous savons que le dieu chrétien ne bande pas. Il aime. DIEU INCARNÉ MAIS DIEU VIERGE, NÉ D’UNE VIERGE, JESUS EST LE DÉNI DU CORPS SEXUÉ ET LE CHRISTIANISME SA HANTISE PERPÉTUÉE. On leur doit une forme d’érotisme qu’ignoraient Athènes et Rome, celui du conflit d’Eros et d’Agapè, qui donna à la volupté un piment, une odeur, un râle que l’humanité avait jusqu’alors ignorés. EN INVENTANT UN AMOUR PUR, LE CHRISTIANISME A BRISÉ POUR LONGTEMPS L’UNITÉ HUMAINE puisque l’aimé a une âme avant d’avoir un corps. De là ce trouble spécifique que le christianisme a introduit dans le langage du sexe. Ne relevant plus de la fascination antique (regard d’effroi devant le "fascinus", pénis tumescent), l’amour profane est désormais une profanation."