Principe des guerres de religion
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Vérité et incertitude
(Slypayne - 22/06/05)
Voici un extrait du "Dernier des Héros" par Terry Pratchett, qui traduit en des termes très simples et d'une façon si belle le principe des guerres de religion, et celui de la vérité...
"Dans le veldt des terres d’Howonda vit la peuplade des N’tuitifs, la seule tribu au monde dépourvue de toute imagination.
Par exemple, voici son explication du tonnerre : "Le tonnerre est un bruit puissant dans le ciel, résultant de la perturbation des masses d’air due au passage de l’éclair." Et leur légende "Comment la girafe a eu son long cou" dit :
"Aux temps anciens, les ancêtres de madame Girafe avaient le cou légèrement plus long que les autres animaux de la prairie, et l’accès aux hautes feuilles offrait tant d’avantages que c’était surtout les girafes à long cou qui survivaient. Leurs descendants héritaient ensuite de ce caractère physique tout comme un homme hérite de la lance de son grand-père. Pour certains cependant, c’est beaucoup plus compliqué, et l’explication ne vaut que pour le cou plus réduit de l’okapi. Et c’est comme ça."
Les N’tuitifs sont pacifiques et ont été chassés presque jusqu’à extinction par les tribus voisines à l’imagination débordante et donc fortement pourvues en dieux, superstitions et idées sur la vie qu’ils trouveraient tellement plus belle s’ils bénéficiaient d’un plus grand terrain de chasse.
A propos des événements sur la lune ce jour-là (une comète venait de passer), les N’tuitifs déclarèrent : "La lune brillait beaucoup et une autre lumière s’en est détachée qui s’est ensuite divisée en trois lumières et s’est éteinte. Nous en ignorons la cause. Ce sont des choses qui arrivent."
Ils furent ensuite anéantis par une tribu voisine qui savait, elle, que les lumières étaient un signal du dieu Ukli pour étendre un peu plus leur terrain de chasse. Mais elle fut elle-même écrasée par une autre pour laquelle il s’agissait d’ancêtres qui vivaient sur la lune et la poussait à tuer quiconque ne croyait pas à la déesse Glypso. Trois ans plus tard, cette autre tribu fut à son tour exterminée par un rocher tombant du ciel, débris d’une explosion d’étoile datant d’un milliard d’années.
Ce qui sort par la porte revient par la fenêtre. A condition de ne pas y regarder de trop près, ça passe pour de la justice".
Avec un peu d’imagination et de perspicacité, il est possible de voir dans ce texte un peu plus que ce "principe des guerres de religion", ce pour quoi je vous l’envoie au départ. En voici une analyse, qui en vaut une autre. Il est clair qu’on ne peut pas parler en terme de "vérité" lorsqu’on débat avec un athée ou un croyant. Ce mot n’a plus le sens qu’il avait encore quand on pensait qu’un ordre prévalait toujours sur un autre. Il n’y a plus de "barbares incultes" ou d’adorateurs de divinités païennes", mais DES religions. Ce principe de "vérité" appliqué au fait religieux était, on le sait grâce à l’histoire, une façon de défendre des intérêts personnels ou communs, de sauvegarder des acquis, de sauver les meubles face à une masse populaire souvent hostile aux avantages accordés aux pontes pontificaux. Ce qu’on sait aussi, c’est que la religion a toujours répondu à un besoin, et que par conséquent, il y avait bien un "public" doté d’oreilles entraînées aux idées préconçues, qui a trouvé et trouve un intérêt dans la lecture de textes saints.
Ainsi, l’Inquisition a eu un rôle, mais serait un non-sens aujourd’hui, preuve même que le principe de vérité semble être ancré dans l’histoire des religions, et qu’elle n’a d’ailleurs pas fini d’évoluer. De la même façon que l’on suit la trace du serpent dans le désert, on peut suivre l’érosion du principe de vérité dans les écrits. Pourtant, il semble clair que cette érosion n’est pas le fait des religieux eux-mêmes, mais bien celui des peuples, des masses, qui se sont affranchis petit à petit des discours dit "orthodoxes". Ils ont gagné, lentement, le droit d’être athées, non-croyants, ou de se convertir à une religion minoritaire. Certes, il y a toujours et il y aura toujours des conflits d’idées, des intolérances des railleries, même des massacres, qui trouveront leurs causes dans le fait religieux, et cette maudite notion de sacro-sainte Vérité. Au-delà de ça, il y aura toujours des gens qui essayeront de convaincre et de ramener des gens sous leur chapelle. Et c’est ce que le texte que je vous soumets semble dire. La raison semble partir d’un fait pas si simple, mais pourtant accessible. Il n’accorde aucune réponse, mais met à jour notre nature :
Comment se fait-il que l’homme s’accorde à dire qu’il ne voit que quelques couleurs sur la totalité de celles qui existent, qu’il n’entend que quelques sons parmi un éventail encore plus grand, qu’il ne connaît que des millions d’étoiles, et que ce même homme, dès qu’on parle religion et existence, peine à dire qu’il ne sait pas d’où il vient, comme si ça l’écorchait de NE PAS SAVOIR ? Comment se fait-il que le principe de vérité l’emporte toujours sur celui d’incertitude ? Parce que les gens croiront toujours celui qui arrive à les convaincre qu’il a raison ? Pourquoi "ne pas savoir" devrait être une tare ? Peut-être parce que la certitude se transmet par un discours, alors que l’incertitude, on la porte tous en nous, d’une façon ou d’une autre, au départ.
En fait, ce doit être ça. Il n’y a aucun intérêt à convaincre quelqu’un qu’il ne sait pas quelque chose, puisque c’est le porteur du savoir qui fait éclore ce manque. Pointer du doigt le manque, c’est déjà prouver son existence, c’est le révéler, le mettre à jour, ... ou le créer. Ne vivons-nous pas dans une société qui crée du manque et du besoin…, tous les jours, avec la pub ? Apporter un savoir, c’est combler un manque, mais y avait-il réellement un manque à proprement parler au départ. L’individu ne se suffisait-il pas ainsi à lui-même ? Tout manque n’est en fait pas pénible à vivre, et certains se contentent toute leur vie de ce qu’ils savent.
Avec un discours rodé, entraîné, on vend même des volets en pvc à un petit vieux qui n’a pas de fenêtre. Tout est dans le ton, la stature, la posture, l’attitude. Mais quelle stature, quelle posture, quelle attitude a CELUI QUI NE SAIT PAS aux yeux de CELUI QUI SAIT, si ce n’est celle de l’idiot, de celui qui n’a pas lu, qui n’a pas vu, qui ne voit pas ou qui refuse de voir ?
Se moquer des non-croyants équivaut à se moquer de la façon de marcher du goéland lorsqu’il est sur terre, gauche et maladroite. Il hésite, titube, se gamelle. Il est bien plus à l’aise dans le ciel, avec ses courants ascendants, ses mouvements d’air chaud, son monde à lui. Là, au moins, il est sûr qu’il maîtrise, qu’il sait ce qu’il fait. Et bien je pense qu’il en est de même du principe d’incertitude et de vérité. On est plus à l’aise quand on sait, mais on est plus conscient de sa personnalité, de son état et de sa finitude quand on ne sait pas.
Jacques Brel a dit une fois que la bêtise c’est la paresse. Le bête c’est, disait-il, celui qui se dit qu’il se suffit à lui-même, et qu’il ne veut pas en savoir plus. Dite moi, amis croyants, lequel de nous deux se suffit le plus à lui-même : celui qui croit tout savoir, ou celui qui avoue qu’il ne sait pas ? Ne prenez pas cette question à la lettre, SVP, et accordez-lui uniquement le statut de caricature, pas celui de provocation.