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Dix textes


de Raphaël Zacharie de Izarra  -  09/01/2005



Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.






1 - La preuve par l'ange



Je vis descendre un oiseau de bon augure. C'était un ange. Il m'adressa la parole en ces termes :

- Raphaël, tes ailes sont blanches mais tes pages sont pleines de noirs écrits.

- L'ange, lui répondis-je, c'est que l'encre de ma plume vient du fond de la terre et non de la pointe des sommets. Ce qui coule des hauteurs est clair comme l'eau des montagnes, mais ce qui remonte des profondeurs est dense comme l'huile de roche. L'éther venu d'en haut y remonte bien vite, ne laissant nulle empreinte sur le papier, tandis que le charbon imprime partout et durablement la trace de son passage. Vois-tu l'ange, ce qui marque les hommes ça n'est pas le paradis mais l'enfer.

- Raphaël, tes ailes sont supérieures mais ta plume demeure humaine. Si tu veux toucher le coeur des hommes et non pas simplement leur imagination, en vérité je te le dis, vole à ma hauteur au lieu de ramper dans la poussière d'en bas.

- Ta noblesse est-elle au moins accessible aux mortels ? Le langage des ailés n'est pas celui des gens convaincus de sciences, sais-tu...

- Adresse à tes semblables égarés des discours moins psychologiques et plus poétiques Raphaël. Par exemple, tu leur rapporteras ces présents échanges. Par la Poésie tu triompheras de toute hérésie. Elle seule sauvera ce monde du prosaïsme.

- Tu crois vraiment que raconter cette histoire d'ange descendu jusqu'à moi saura ranger à ma cause les ennemis de la Poésie ?

- Raphaël, la retranscription fidèle sur une de tes pages de cette seule conversation suffira à les convaincre. Tu n'auras rien d'autre à ajouter que ta signature. Ceux qui te liront jusqu'au bout, je te le promets, par ces mots seront touchés en plein coeur.


Raphaël Zacharie de Izarra





2 - Un bon gardien



En flânant au cimetière du Père Lachaise à la verte saison, n'avez-vous jamais senti que les premiers effluves vernaux rendaient légers les coeurs comme les sépultures ? Ce jour-là, tandis que rêvassais dans le jardin mortuaire, le parfum subtil du printemps pénétra en moi de manière aiguë. Et les marbres, confusément, se parèrent d'invisibles beautés. Sensations inédites dues sans doute à ma sensibilité d'éternel oisif... L'air printanier au-dessus des tombes alanguissait mon âme et, plein d'ivresse, je me mis à parler aux morts. Avec fantaisie et emphase :

- Morts, comme vous voilà trépassés ! Vous qui gisez sous les pierres, m'entendez-vous ? Esprits, âmes errantes, défunts de toutes conditions, allez-vous cheminer à mes côtés entre toutes ces tombes ? Ha ! Quelle jolie compagnie vous me ferez !

Quelques vivants m'interrogèrent du regard.

Indifférent aux normes horizontales en vigueur chez mes semblables et à la bienséance qu'exige ordinairement toute présence en ces lieux, je continuai à parler haut et fort aux gisants.

- Dormez-vous donc ? Ou bien êtes-vous déjà loin sur le chemin de l'Éternité ? Allez-vous finir par me répondre ?

Soudain, derrière moi une voix sonore et sépulcrale...

- Je suis le gardien du cimetière. Allez-vous cesser vos imbécillités ? Des gens sont en deuil ici, un peu de respect pour eux s'il vous-plaît ! Les morts ne vous répondront pas pour la simple raison qu'ils n'ont rien à vous dire ! De plus certains d'entre eux sont des âmes irascibles, comprenez-vous ? Allez, maintenant circulez s'il-vous plaît.

Je lui présentai mes excuses et partis un peu plus loin. Une fois seul, je me remis à interroger les disparus :

- Allez-vous vous réveiller oui ou non ? Un vivant vous parle ! Allez-vous me dire si vous êtes là oui ou non ?

Cette fois la voix qui me répondit fut retentissante !

- Mais vous n'avez pas bientôt fini votre petit cinéma ? Je vous ai dit de respecter les visiteurs en deuil. Où vous croyez-vous ici ? Au théâtre ? Allez, maintenant sortez de ce cimetière je vous prie, sinon j'appelle les forces de l'ordre !

Une fois dehors, longeant le mur de la nécropole donnant sur le Boulevard de Ménilmontant, je me ravisai. Le gardien qui m'avait si vertement sermonné avait tout de même quelque chose d'étrange en lui... Cet aspect anachronique, et puis le fait qu'il me retrouva si promptement alors que je me pensais seul dans un coin perdu du cimetière... Je ne m'étais rendu compte de rien sur le moment mais à présent que j'y songeais... Étrange... Personne n'avait semblé faire attention à lui à part moi. Ce gardien irrité à la voix si forte, ne fus-je pas le seul à l'avoir entendu ?

"Les morts ne vous répondront pas pour la simple raison qu'ils n'ont rien à vous dire ! De plus certains d'entre eux sont des âmes irascibles, comprenez-vous ?", me remémorai-je...

A cet instant précis je compris tout.


Raphaël Zacharie de Izarra





3 - Le braquemart de l'abbé Benoît



L'abbé Benoît était d'une rigueur religieuse exemplaire. Sa piété de fer ne faisait pas pitié à voir, bien au contraire. C'était un roc de préjugés éculés, un chêne de certitudes absurdes, une montagne d'orthodoxes hérésies. En sa compagnie on ne craignait pas plus le Diable que les égarements de la raison et de l'esprit critique... Avec sa soutane qu'il portait comme un seigneur, il impressionnait les vieilles dévotes. Avec ses airs entendus de Casanova d'Église, il faisait tressaillir les vierges tendrons. Avec ses ambiguïtés de prêtre douteux, il troublait les jeunes hommes efféminés.

Mais surtout il rendait jaloux tous les époux qu'il avait mariés.

Nul dans la modeste paroisse n'ignorait que l'abbé Benoît était monté comme un bourriquot, ses multiples maîtresses étant les pires jacassières qui soient. L'abbé Benoît fourrait donc avec rage et frénésie les membres de son harem autant qu'il le pouvait, c'est-à-dire généralement une fois le matin et au moins deux fois le soir, mais sans jamais quitter sa soutane : respect dû aux emblèmes de sa fonction oblige... C'est qu'il était vraiment pieux l'abbé. Il avait ses petits scrupules.

Le soir au café du village l'abbé Benoît venait parfois se mesurer aux buveurs. Il y avait des concours de longueur phallique. Les prétendants aux lauriers, tous ivres, s'alignaient au bord du zinc en exhibant sans pudeur leur chibre. Le spectacle était infâme, et on se demandait comment un homme de son rang et de sa dignité pût s'abaisser à de semblables libations, à des moeurs aussi viles... Mais bref, l'abbé Benoît décrochait à chaque fois la palme de la plus grosse trique du bar, au grand dam de ses rivaux. D'ailleurs l'abbé les traitait tous d'ânons, lui qui était monté comme un bourriquot. Ca se terminait habituellement dans l'hilarité générale, et c'était alors le début de beuveries et d'orgies à n'en plus finir.

Le lendemain l'abbé Benoît servait la messe avec ses airs compassés, comme si de rien n'était. Juste les traits un peu tirés.

Ses compagnons de perdition qui étaient aussi ses ouailles assistaient à l'office, quelque peu dépités. Tous se sentaient offensés que le prêtre qui leur disait la messe puisse posséder le plus gros braquemart de la paroisse et s'en servir plusieurs fois par jour par-dessus le marché. Ils se disaient que décidément le monde était bien mal fait puisque le Ciel octroyait aux prêtres les plus chers trésors de la terre...

On respectait cependant les règles établies dans le village, et on se taisait poliment devant l'autorité en action : le prêtre officiait. Enfin la messe était dite. Alors l'abbé allait promptement foutre une de ses gueuses tandis que ses ouailles se dispersaient. Tout le monde dans le village savait que l'abbé Benoît avait été conçu comme un diable de satyre. Sa longue pine d'ailleurs laissait songeuse plus d'une rosière, faisait se pâmer plus d'une pécheresse repentie, amenait bien des conflits dans les chaumières...

Mais sous le clocher, on se taisait.


Raphaël Zacharie de Izarra






4 - Epées, moines et amour courtois



J'aimerais passer mon temps dans le luxe de la pierre millénaire d'un cloître, perdre les heures de ma vie là où tout silence vaut une prière. Un cloître... Ces charmants caveaux sont des volières pour âmes libres. Des tombes de lumière où les vivants s'égaient sans mot dire, se réjouissent avec gravité. Les cloîtres sont des châteaux pour esprits d'élite. Fuir la trivialité du monde et me rapprocher des étoiles entre quatre murs nus, voilà mon plus cher désir.

Plus de superflu ni de vulgarités... Rien que des icônes, des écussons, de la pierre, de l'austérité et du silence.

Je veux vivre dans un monde de chevalerie, un monde peuplé de laboureurs et de gens nobles. Un monde de guerriers en esprit, de héros, de rêveurs, de porteurs d'épée et de poètes.

Mon monde.


Raphaël Zacharie de Izarra





5 - Conseils pour une jeune épouse au lendemain des noces



La pieuse et honnête épouse, âme chrétienne éprise de chasteté, de propreté, de droiture ne manquera pas, après s'être solennellement engagée à servir dignement son cher époux, de faire la première bonne oeuvre de son état marital : devenir mère.

Dans ce dessein la mariée envisagera de gagner le coeur de son maître de la manière la plus intime qui soit. Dès le coucher du soleil, derrière les volets clos de la chambre nuptiale des époux légitimes, les pires résolutions charnelles devront être prises.

Là est la partie la plus délicate de l'affaire. En effet, bien des couples, sans doute trop purs, se montrent maladroits et pèchent sans le savoir le lendemain de leurs noces en entravant la chrétienne procréation.

Belles âmes ingénues ignorantes des nécessités profanes de la chair ! Le bon pasteur sera touché de constater tant de candeur chez les nouveaux mariés... L'homme d'Eglise cependant devra rappeler aux époux leur devoir. En vertu des serments échangés la veille lors de la cérémonie du mariage, il leur faudra promptement se soumettre à l'humaine condition, se résigner au devoir conjugal qu'impose leur nouvel état d'épouse et d'époux. Ainsi est la loi du chrétien hyménée. Et le prêtre, le garant de son application.

Ce dernier qui aura uni les mariés la veille à l'église pourra éventuellement porter secours aux plus timorés. Il mettra au service des plus innocents sa science, et ce dans le but avouable de donner à l'Eglise des enfants aptes au baptême, qui plus tard donneront à leur tour des enfants, qui eux-mêmes donneront des enfants, et ainsi de suite jusqu'à la fin des temps.

Pour ces âmes pures que la reproduction de l'espèce chrétienne demeure encore un mystère, l'Eglise a tout prévu. Le ministre du culte a beau être le serviteur des causes célestes, il n'en est pas moins frère des hommes. Il n'est donc point étranger aux menus tracas de ses semblables. C'est pourquoi l'officier du culte soucieux du bon déroulement du procès de procréation se transportera le soir du projet nuptial dans la chambre des époux qu'il estimera trop ignorants des gestes de la reproduction, afin de leur faire profiter de son savoir.

Et, pieusement penché sur eux, il tiendra dans la main une chandelle pour mieux constater le bon déroulement des faits, et éventuellement pour aider à la déchirure de l'hymen à la clarté de son cierge.

Au besoin, il aidera le mari à perforer le voile virginal récalcitrant par d'incessants encouragements. Il se peut toutefois que l'époux, malheureusement très peu avantagé par la nature, faille à son devoir. En ce cas pour le bien de tous, mais surtout pour sauvegarder la réputation du mari et mieux sauver les apparences, le teneur de chandelle n'hésitera pas à mettre à contribution sa propre personne s'il s'avère de meilleure constitution, afin de mener à terme le procès de procréation. En ce cas c'est le mari qui tiendra la chandelle et qui se fera le témoin, de loin, du bon déroulement dudit procès.

Ainsi le serviteur de l'Eglise, par constat direct, sera en mesure de certifier de manière irréfutable la consommation du mariage qu'il aura célébré la veille. Chacun des époux sera par conséquent rassuré et se félicitera pour les bons services rendus par leur confesseur. L'ordre immuable des choses étant ainsi scrupuleusement respecté, la bonne conscience des uns et des autres demeurera intacte, chacun étant renvoyé à ses devoirs et n'ayant de compte à rendre à personne. Qu'il en aille pour les événements et les hommes de ce monde selon cet ordre établi.


Raphaël Zacharie de Izarra





6 - Prêtre homosexuel



Mon inclination contre-nature pour la gent virile se confirma dès mon entrée au séminaire. Le regard clair mais le coeur troublé, la hantise du faux pas agissait comme un garde-fou. La crainte de la chute m'obligeait à la plus parfaite intégrité au contact de mes frères séminaristes. Ascèse, chasteté, volonté étaient ma seconde religion. Cependant avec les années le feu impie me rongeait de plus en plus... Ma vocation pour l'exercice de la prêtrise ne perdit pas de son ardeur pour autant. Mon âme était au ciel, ma chair en enfer, voilà tout.

Seul dans ma cellule ou en compagnie des autres étudiants, je luttais avec âpreté contre le "mâle". J'appris peu à peu à éviter les pièges de la tentation, bien que je n'ignorasse point la brièveté des trêves consenties par les sens. Je ne me contentais pas de m'éloigner certains jours de la cause de mes émois impurs, je me donnais également la discipline afin, espérais-je, de tuer le désir. Hélas ! la chair mortifiée se rebellait assez vite et je me retrouvais bientôt face à mes démons qui me défiaient de plus belle, la corne acérée, l'oeil plus lascif encore... Le mal ne faisait qu'empirer, aussi dus-je changer de méthode.

La volonté seule ne suffisant plus à borner mes excès, j'optai pour la solution la moins modeste. A l'étude approfondie des livres anciens de théologie censés me distraire de mes fantaisie honteuses, j'ajoutai la chimie lourde. Latin et sel de bromure devaient me délivrer, pensais-je, des tourments grandissants de ma chair incapable de se soumettre à la loi divine. Peine perdue !

La nature prenant définitivement le dessus, je décidai d'apaiser l'ogre libidineux qui réclamait son dû : je pris un amant. Dans la foulée je m'improvisai porte-parole de mes frères d'infortune, partagés entre le désir de servir le Ciel et l'oppression de leur chair dénaturée, incompatible avec la dignité de leur futur ministère. En interrogeant les élèves et mes supérieurs je découvris que le séminaire était un repaire d'homosexuels à divers degrés refoulés mais parfaitement conscients de leur état...

Je terminai mes études dans la plénitude spirituelle et fus ordonné prêtre dans le quartier du Marais.


Raphaël Zacharie de Izarra





7 - L'âne à la calotte



    Je précise que les propos contenus dans le texte ci-dessous n'ont rien d'anti-cléricaux mais émanent d'une approche saine, honnête, clairvoyante de l'Eglise actuelle, sans nulle aigreur ni prétention, juste teintée d'humour. Je ne cherche pas à dénigrer l'Eglise loin de là, je mets seulement le doigt sur quelques manies révélatrices de notre société, vues à travers les rites religieux. Sachons rire ensemble de nos petits travers.

Les messes dominicales sont toujours des spectacles comiques et ineptes pour qui a su préserver son regard d'enfant intelligent, occultant pour la circonstance son propre regard contaminé d'adulte.

Lors de ces solennels numéros de cirque du dimanche, au bel esprit, au coeur allégé le prêtre apparaît alors dans toute sa vérité stéréotypée, officielle et fausse.

Le ministre du culte, dès qu'il est en représentation devant ses ouailles parle subitement d'une voix doucereuse, lénifiante, toujours égale, pleine d'une onction à toute épreuve... Effet magique et immédiat : au son de la vivante cloche tout de blanc vêtue, les âmes se mettent au garde-à-vous. Le ton, la gestuelle empruntés qui accompagnent la voix mielleuse du curé font sentir les cours de "communication publique" appris au séminaire, pieusement restitués. C'est lourd, énorme comme un cierge de Pâques et pourtant ça marche toujours : les fidèles écoutent avec cet air compassé caractéristique, comme pour faire écho à l'automate qui leur fait face. Le prêtre lève les bras avec majesté, l'auditoire se fige, l'amollissement des esprit est à son paroxysme.

Alors les "R" finaux du prêtre sont prononcés avec emphase. Ils sortent des profondeurs de sa gorge, à la fois doux et imposants :

- "Le SeigneuRRR notre Dieu tout pu-I-ssANT"..."

De plus le "I" d'attaque et le "ANT" final de "TOUT PUISSANT" sont prononcés de telle sorte qu'on sent justement très bien la puissance de Dieu... Le "I" est fort et perçant et le "ANT" s'étire, avec une montée finale qui fait ressembler le mot "PUISSANT" à une flèche tirée en l'air.

- "Le SeigneuRRR notre Dieu tout pu-I-ssANT"..."

C'est absolument cocasse et parfaitement puéril. Se dire que des adultes responsables se prennent au sérieux est à la fois rassurant et affligeant. Rassurant parce qu'on se sent d'emblée bel esprit devant tant d'insignifiance, affligeant lorsqu'on songe que ces pantins dominicaux s'entre-déchirent avec d'autres pantins pour des histoires de foulards alors qu'eux aussi -et le plus sérieusement du monde- se font leur petit cinéma, prenant des airs sincèrement pénétrés pour des histoires de "RRRR", de "I" et de "ANT".


Raphaël Zacharie de Izarra





8 - Petit poisson deviendra grand



Petit-Paul, enfant fragile, sensible et doux a été placé dès l'âge de six ans en pension dans une institution sévère. Élevé chez les bons prêtres. Ces derniers, austères, intransigeants, impitoyables, ont toujours exercé sur l'enfant une sainte terreur. Écrasé par le sort, broyé par les dogmes despotiques d'une religion d'un autre temps, à douze ans Petit -Paul est une créature chétive, timide, parfaitement timorée.

Figures maternelles réconfortantes, les rares bonnes soeurs oeuvrant au sein de cet univers rigide devaient adoucir l'existence de petit garçon. Du moins le pensa-t-il naïvement en entrant six ans auparavant, car à la vérité elle se montrèrent particulièrement cinglantes.

Bref, Petit Paul après six années d'éducation religieuse intensive dans cette digne institution a fini par prendre la couleur des murs qui l'entourent : gris. Ou plutôt terne. Sinistre serait le mot juste.

Pour autant, l'enfer n'est pas terminé pour notre jeune héros : il lui reste encore six années à expier dans cette prison pour âmes tendres.

Mais faisons plutôt un bond en avant de six années. Petit-Paul a atteint ses dix-huit ans, on le libère. Sa fragilité est devenue dureté, sa sensibilité imperméabilité, sa douceur fermeté. Petit Paul a bien changé... Il a pris de la carrure : épaules larges, mâchoire carrée, coeur d'acier.

Parfaitement conditionné par ses précepteurs, Petit-Paul fuit comme la peste les filles de son âge. Elles lui apparaissent comme des démones, aussi les hait-il de toute la force de son coeur brisé. La religion est devenue le seul repère de son existence de pierre. La solitude, l'unique refuge de son âme de glace. La tristesse, sa plus chère compagnie. Si bien qu'avant ses vingt-cinq ans, Petit-Paul entre dans les ordres et devient prêtre-enseignant dans l'institution qui l'a si bien dressé, et se montre aujourd'hui le pire tortionnaire d'enfants que cette dernière ait pu abriter entre ses murs.

Les petites victimes l'appellent maintenant "Grand-Paul".


Raphaël Zacharie de Izarra





9 - L'abbé Borel



L'abbé Borel, que des indélicats surnommaient l'abbé "Bordel", était une nature. La face rubiconde, la pogne puissante, le ventre ogresque, il avait aussi ses petites faiblesses. Il fourrait dru sa pipe, mangeait gras, cultivait haricots, patates, et même salades qu'il vantait tant à la messe. Mais surtout, il détestait les femmes.

Il ne souffrait pas le moindre décolleté, la plus petite partie de corps dénudé, la plus sobre courbe femelle. Son aversion pour la chair féminine lui fit une réputation de bougre qu'il n'était cependant point. Il était allergique aux charmes du beau sexe, voilà tout. Ce qui ne l'empêchait pas d'aller à la pêche le dimanche après la messe. Là, on le surprenait parfois à parler aux poissons, aux oiseaux, et même à sa canne à pêche.

L'abbé avait un grain, c'est évident.

Tous l'aimaient dans la paroisse, même les femmes. Certes, on faisait semblant de ne pas voir qu'il vidait une partie des quêtes dans ses larges poches. Mais on lui pardonnait ces peccadilles, tant on appréciait ses qualités particulières pour administrer la dernière onction aux plus récalcitrants des moribonds.

Il n'avait pas son pareil pour leur faire cracher des secrets jalousement scellés dans leur caboche rouillée. Il savait comme nul autre leur rendre la mémoire. Des trésors notariés remontaient à la surface, des héritiers réapparaissaient : les derniers instants du mourrant se passaient dans une relative joie familiale. Grâce à l'abbé les funérailles étaient souvent l'occasion de réjouissances dans cette contrée d'avares, de bigots, de superstitieux.

Aux enterrements de l'abbé Borel on parlait bas mais on avait les coeurs hauts. Les femmes quant à elles processionnaient vêtements hermétiquement clos pour mieux rendre hommage à l'abbé que chaque inhumation précédée d'onction fructueuse auréolait d'une gloire inextinguible.


Raphaël Zacharie de Izarra





10 - Le Père Gauthier



L'abbé Gauthier aimait les hommes. Authentique homosexuel refoulé, sa véritable religion était l'hypocrisie. Les jeunes garçons efféminés étaient sa bête noire, les femmes son alibi. Il faisait croire à tout le monde que ces dernières étaient sa passion. Il arborait avec ostentation des signes de virilité en féminines compagnies, s'affichait sans complexe avec des putains, prenait soin à ce qu'on le vît s'enfermer dans le presbytère avec des communiantes pubères...

Le Père Gauthier n'omettait pas de forcer avec fracas et cris l'hymen de quelques-unes de ses ouailles dans le but de répandre la fausse rumeur de son hétérosexualité, jetant son dévolu de préférence sur les plus bavardes de ses fidèles (qui n'étaient pas nécessairement les plus jolies) afin de s'assurer du succès de son entreprise mensongère.

Il lui fallait à tout prix dissimuler ses passions de sodomite, fût-ce au prix de scandales plus ordinaires. Le vice du Père Gauthier consistant au commerce éhonté avec de jeunes fils de famille dénaturés, il devait sans cesse faire du zèle pour tromper son entourage, détourner son attention. Il faisait si bien diversion avec les femmes que nul n'aurait songé à le soupçonner de "coupables liaisons", si l'on peut dire.

C'est ainsi que le Père Gauthier se fit une solide réputation de trousse-jupons, lui qui abhorrait la chair femelle. Il mourut en laissant derrière lui cette fausse légende de Casanova des clochers qui effrayait tant les bonnes âmes, alors qu'il n'avait été toute sa vie qu'un incorrigible pédéraste.


Raphaël Zacharie de Izarra


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