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Violence dans le Christianisme


par Olivier Musac  -  05/03/2014




Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.




1. Le Christianisme qu'on apprend à l'école

Certains d'entre nous ont appris dans leur enfance l'histoire d'un gentil petit Jésus, aux cheveux souvent longs et blonds, qui prêchait la non-violence et l'amour du prochain envers ses amis et ses ennemis. Il venait libérer les pauvres, les esclaves, les opprimés, et pourquoi pas les femmes.

Lors des messes qu'il nous arrivait d'entendre dans les grandes occasions, les orateurs se faisaient fort de conforter cette vision. Les gens instruits appuyaient généralement cette idée. Tout au plus s'autorisait-on à regretter un léger coup de colère contre les marchands du temple de Jérusalem. Un petit excès volontiers pardonné, qui témoignait de sa double nature divine et humaine et qui permettait de critiquer le consumérisme de notre époque. Cela reste très politiquement correct. Le dernier demi-siècle a ainsi forgé l'image d'un Christ non-violent, un peu Gandhi, un peu Martin Luther-King, ressemblant à un baba cool après la douche : paix et amour. Les Bibles pour enfants, abrégées, illustrées et refondues, nous présentent un Jésus bien sympathique. Tant mieux, dira-t-on : voilà Jésus et Dieu se pliant à la mode du temps. Sauf que ces représentations sont fausses. Certes, il a prononcé les fameuses paroles de paix qu'on lui prête. Mais ce sont des phrases bien choisies, qui nous dressent un portrait très partial. Pourquoi ces déformations ? Le christianisme d'aujourd'hui aurait-il honte de ce qu'il est ?

On présentera ici quelques extraits qui montreront un Jésus bien différent de la description qu'on en dresse généralement. Les passages violents qu'on y trouvera sont loin d'être des exceptions. Nous nous référerons pour cela à la traduction française de la TOB et au Jésus tel qu'il apparait dans les textes canoniques.


 2. Violence dans le "Nouveau Testament"

2.1 Qu'on les égorge sous mes yeux

Qui a bien pu prononcer cette phrase "Ceux qui n'ont pas voulu m'obéir, qu'on les apporte et qu'on les égorge sous mes yeux ? Un dictateur cruel et jaloux de son pouvoir ? C'est Jésus lui-même, cet ange de douceur. On trouve cette phrase dans l'évangile de Luc (19.11). Jésus parle ici à travers la parabole des mines et fait parler le personnage d'un noble, mais personne ne s'y trompe : c'est bien Jésus qui est représenté et qui veut que l'on massacre ceux qui n'ont pas cru en lui. L'Église y verra un sens métaphorique. Un peu facile. Si métaphore il y a, elle est en tous cas très violente et peut servir à légitimer les répressions les plus féroces. En réalité la lecture de la Bible nous montre que le Nouveau Testament légitime constamment les pouvoirs en place, appelle à l'obéissance et encourage la répression contre les rebelles (cf. § 3.4.2). Il n'y a aucune raison d'interpréter cette phrase métaphoriquement.


2.2 Insultes et sang chaud

Qui s'exprime ainsi contre ses adversaires préférés : "Serpents, engeance de vipère, comment pourriez-vous échapper au châtiment de la géhenne[1]" ? Jésus lui-même encore une fois (Matthieu, 23.33). Il a le sang chaud, notre non-violent, et l'insulte facile. Il accuse ici ses opposants les pharisiens d'avoir tué les prophètes. Pas magnanime pour un sou, il veut les voir souffrir et maudit la génération toute entière : "En vérité, je vous le déclare, tout cela va retomber sur cette génération" (Matthieu, 23.36).


2.3 Destruction de Jérusalem

Après s'être emporté contre les pharisiens de Jérusalem, il prédit la destruction du temple de la ville, suivie des pires catastrophes : guerres, famines, tremblements de terre, haine des uns contre les autres. Mais réjouissons-nous : c'est une bonne nouvelle, car alors viendront le Royaume et la fin des temps (Matthieu, 24.1-14). Certes il ne dit pas qu'il souhaite cette destruction, mais il ajoute "il faut que cela arrive". En fait, cette destruction arrive à point nommé pour se venger des pharisiens. Rien de tel qu'une grosse guerre pour punir ses ennemis, avec des effets collatéraux : "On se dressera nation contre nation et royaume contre royaume ; il y aura en divers endroits des famines et des tremblements de terre." (Matthieu, 24.7).


2.4 Qu'on noie ceux qui maltraitent mes petits

Jésus aime son ennemi ? Pas toujours. Il lui arrive de se venger férocement contre ceux qui font du mal à ses protégés : "Quiconque entraine la chute d'un seul de ces petits qui croient, il vaut mieux pour lui qu'on lui attache au cou une grosse meule, et qu'on le jette à la mer" (Marc 9.42). Mort par noyade avec une pierre au cou : efficace.


2.5 Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive

Au moins, on sera prévenu. Jésus est présenté par l'Église comme celui qui apporte l'amour, la paix et le pardon. Il le dit parfois. Mais pas toujours, voir même assez rarement. Que peut signifier cette phrase curieuse ? "N'allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais bien le glaive. Oui, je suis venu séparer l'homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère : on aura pour ennemi les gens de sa maison. Qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi " (Matthieu, 10.34-37). L'Église nous expliquera qu'il ne faut pas prendre le texte à la lettre. Que le glaive de Dieu, c'est l'amour du prochain. Que ce sont nos vices qu'il faut combattre. C'est un peu facile. Mais même si on veut y voir des métaphores, les symboles sont violents. Pourquoi ne pas dire les choses simplement ? La Bible sait très bien dire les choses clairement quand elle le veut. On peut au contraire penser que le texte dit ce qu'il dit. Les théologiens ont donc développé un art de l'exégèse très raffiné : la guerre, c'est la paix ; le glaive, c'est l'amour ; la discorde, c'est la concorde. Bel exemple de novlangue. La propagande soviétique, décrite par George Orwell, ferait finalement pâle figure devant les artifices de nos théologiens.


2.6 Jésus et José Bové, même combat ?

Si José Bové est bien connu pour avoir dévasté un fast-food, Jésus est connu pour avoir chassé les marchands du temple. C'est d'ailleurs l'un des seuls épisodes "violent" repris et cité volontiers par l'Église. En réalité celui-ci est beaucoup moins violent que les autres et permet de faire croire que Jésus était en rébellion contre l'ordre social et économique de la société marchande. Jésus ne souhaite la mort de personne ici ; il se met juste un peu en colère (en sortant tout de même le fouet dans la version de Jean, 2.15). Mais c'est pour la bonne cause. En réalité Jésus n'était pas contre le commerce ou contre le salariat, ni contre l'esclavage, comme le montre la lecture des textes (cf § 3.3). Dans ce passage il fulmine contre la pratique des sacrifices religieux, et c'est pourquoi il se met en colère contre les marchands qui vendent les viandes à sacrifier. Il s'agit d'un conflit avec les pharisiens à propos des rites religieux.


2.7 Apocalypse : la guerre totale

Enfin le clou de cette liste, c'est quand même l'Apocalypse. Il est vrai que l'Église a hésité à l'admettre dans le canon de la Bible. Mais il en fait partie et a été conservé par les orthodoxes ainsi que par les protestants. L'Apocalypse annonce les bestiaires magiques du moyen-âge et est un véritable précurseur pour le roman gothique. Il a inspiré de nombreux scénaristes d'Hollywood : les chevaliers de l'apocalypse, les sept sceaux, les trompettes de la mort, Armaguedon, les dragons, le ciel de feu, les inondations, la mer changée en sang, les météores, les tremblements de terre, les sauterelles ressemblant à des scorpions. Quel spectacle ! L'Apocalypse ressemble à une grande bande dessinée d'héroic fantasy. Si on aime cette littérature, il faut absolument lire ce texte, c'est une oeuvre de référence : " Les têtes des chevaux étaient comme des têtes de lion, et leurs bouches vomissaient le feu, la fumée et le souffre. Par ces trois fléaux, le feu, la fumée et le souffre, que vomissaient leurs bouches, le tiers des hommes périt " (Apocalypse, 9.17,18)

Le problème, c'est que l'Apocalypse n'est pas présentée dans la Bible comme une légende. Elle annonce ce qui doit réellement arriver. Quand des sectes annoncent la fin du monde et la mort de toute l'humanité sauf de leurs fidèles, ils sont considérés comme fous et dangereux. Le christianisme dit pourtant exactement la même chose. Sauf qu'il est plus malin : il n'annonce jamais de date précise. Le grand soir est sans cesse remis à demain. Et si le temps commence à sembler long au bout de mille ans, il n'y aura qu'à dire aux fidèles que le temps de Dieu n'est pas le temps des hommes. Surtout, prédicateurs, n'annoncez jamais de date précise à vos prédictions ! Faites comme les chrétiens. Ils ont réussi à faire croire pendant deux mille ans à des milliards de personnes à une apocalypse pour demain. Malin également, le fait de ne pas remettre en question l'ordre social et politique... Belle réussite.

L'Apocalypse n'est donc pas un conte inspiré mais l'annonce de la réalité. Et elle est effroyable. La Terre entière sera dévastée à plusieurs reprises et les hommes seront exterminés, parfois avec des souffrances qui se prolongeront cinq mois durant : "Il leur fut permis [aux sauterelles] non de les faire mourir, mais d'être leur tourment cinq mois durant. Et le tourment qu'elles causent est comme celui de l'homme que blesse un scorpion. En ces jours-là, les hommes chercheront la mort et ne la trouveront pas" (Apocalypse, 9.5,6). Cinq mois de torture avant d'être mis à mort.

Ne croyons pas que cette violence soit d'abord destinée à ceux qui auront été injustes et cruels envers leurs prochains. Elle est destinée à ceux qui n'adorent pas le Dieu chrétien. À ceux qui "continuèrent à adorer les démons, les idoles d'or ou d'argent" (Apocalypse, 9.20). À ceux qui mangent de la viande sacrifiée. À ceux qui ne sont pas chastes[2]. Les autres seront épargnés : "Gardez-vous de nuire à la terre (...) avant que nous ayons marqué du sceau le front des serviteurs de notre Dieu" (Apocalypse, 7.3). Ainsi le commandement de la Bible n'est pas une éthique d'amour mais un ordre de soumission : adore ton Dieu qui est le seul Dieu, obéis à sa loi, et tu seras sauvé. Tu assisteras alors au spectacle de la souffrance et de la mort de tous les autres. Et tu te réjouiras de ce spectacle ! "Des peuples, des tribus, des langues et des nations, on viendra pour regarder leurs corps pendant trois jours et demi [les égyptiens], et sans leur accorder de sépulture. Les habitants de la terre se réjouiront à leur sujet, ils seront dans la joie" (Apocalypse, 11.9,10). Les bons fidèles viendront contempler les corps en décomposition de leurs ennemis. Amour et paix. Il faut lire le texte : tout y est dit avec la plus grande clarté.

L'Apocalypse est donc un évangile de haine et de violence. Et il clôt la Bible chrétienne. Celle-ci demande l'obéissance totale, annonce un châtiment définitif et la fin de l'histoire. Dans cette destruction, Jésus commande les chevaliers de l'Apocalypse avec une verge de fer. Il a pour l'occasion enlevé sa longue chevelure blonde et sa belle robe blanche, celle qu'il a souvent dans les Bibles pour enfants. "Ses yeux sont une flamme ardente (...) ; il est revêtu d'un manteau trempé de sang (...) ; de sa bouche sort un glaive acéré pour en frapper les nations. Il les mènera avec une verge de fer" (Apocalypse, 19.12-15)

Les théologiens diront que le glaive qui sort par la bouche du christ représente une parole pacifique. Et que le sang qui tache son manteau est son propre sang, celui du christ ressuscité, puisque nous sommes avant la bataille. C'est oublier que cette scène se situe à la fin de la guerre. Par ailleurs, il est fréquent que les créatures de l'Apocalypse soufflent le feu ou le souffre, qui par la bouche, qui par la queue, selon l'imagination de l'auteur. La lecture de l'ensemble du texte ne permet pas une interprétation pacifique. La description des violences est minutieuse et complaisante, voire sadique. Pourquoi choisir des symboles aussi guerriers s'il s'agit d'un discours pacifique ? Ce serait un jeu bien dangereux qui ne ferait que flatter les pulsions humaines les plus basses. Cette lecture ne tient pas debout. Comme Rousseau le disait dans sa Lettre à d'Alembert, ce n'est pas une hypothétique leçon de morale qui attire le public, c'est pour les passions remuées dans une oeuvre qu'il s'enflamme. Les spécialistes de la non-violence savent que la paix commence avec le vocabulaire.


3. Une religion moderne, progressiste, proche des pauvres et des opprimés ?

La deuxième partie du XXe siècle a vu la normalisation de la démocratie, des droits de l'homme et de la laïcité, ainsi que l'affirmation de l'émancipation des femmes. Au point que ces thèmes sont maintenant défendus avec plus ou moins d'enthousiasme même par les éléments conservateurs de la société (extrêmes exclus). L'État providence est devenu également une norme. Il se trouve que l'Église s'est adaptée. Elle a réussi à faire croire qu'elle a toujours été pour une doctrine sociale, pour l'égalité des femmes, pour la démocratie et pour les droits de l'homme. C'est ce que le catéchisme raconte aux enfants. De petites Bibles illustrées, vendues dans les canaux officiels, montrent par exemple un Dieu créant l'homme et la femme en même temps, et leur disent de s'aimer tendrement. Jamais, évidemment, la moindre violence n'est montrée (à part Jésus et les marchands du temple). Ces Bibles destinées à l'édification de la jeunesse s'apparentent en réalité à des contrefaçons.

Jean-Paul II, Benoit XVI, ou le pape François nous font croire que l'Église a toujours défendu les pauvres et qu'elle lutte pour les droits de l'homme et la démocratie. En réalité elle s'y est longtemps opposée au point d'approuver les pires dictatures du XXe siècle : elle a appuyé Franco contre les républicains et a félicité Hitler pour son sens de l'autorité et ses guerres de conquête[3]. L'opposition de Jean-Paul II à l'URSS est la suite logique de la haine viscérale de l'Église contre le communisme, même si le discours a été enveloppé par des justifications renvoyant aux droits de l'homme. Hommage tout de même, comme aurait dit La Rochefoucauld.

Tant mieux si l'Église change. Mais qu'elle ne nous dise pas qu'elle tire cela de la Bible, c'est-à-dire d'un texte anhistorique et d'inspiration divine. En réalité, c'est le contraire qui se produit : le discours actuel de l'Église s'est adapté aux circonstances[4] et s'est inspiré, dans ses concessions à la modernité, d'une éthique qui n'a pas Dieu ou la Bible pour origine. Au point que les textes canoniques ont besoin de toute la subtilité de l'exégèse biblique pour faire croire que l'Église éternelle est moderne, progressiste et compatible avec les droits de l'homme.

Qu'on en juge par les textes.


3.1 Les femmes, tu commanderas.

On présente souvent le christianisme comme une religion favorable aux femmes, par opposition à l'Islam par exemple. Pourtant Paul de Tarse, que certains considèrent comme le fondateur du christianisme, est loin d'être un féministe :

"Le chef de tout homme, c'est le christ ; le chef de la femme, c'est l'homme, le chef du christ, c'est Dieu" (1 Corinthiens, 10.3). "Épouses, soyez soumises à vos maris"(Colossiens, 3.18). Il ajoute : "L'homme n'a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l'homme" (1 Corinthiens, 11.2-). On ne peut être plus clair.

Les femmes doivent porter un voile à l'église pour rendre gloire à l'homme qui est leur chef : "Toute femme qui prie ou qui prophétise tête nue fait affront à son chef ; car c'est exactement comme si elle était rasée. Si la femme ne porte pas de voile, qu'elle se fasse tondre ! Mais si c'est une honte pour elle d'être tondue ou rasée, qu'elle porte un voile. L'homme, lui, ne doit pas se voiler la tête : il est l'image et la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l'homme ". (1 Corinthiens,11.6-).

Ceci dit l'homme doit respecter la femme parce qu'elle met au monde les bébés : "Toutefois, la femme est inséparable de l'homme et l'homme de la femme, devant le seigneur. Car si la femme a été tirée de l'homme, l'homme naît de la femme et tout vient de Dieu" (1 Corinthiens, 11.11). Il doit se comporter en maître attentionné selon Pierre : "Vous les maris, de même, menez la vie commune en tenant compte de la nature plus délicate de vos femmes ; montrez-leur du respect, puisqu'elles doivent hériter avec vous la grâce de la vie " (1 Pierre, 3.7). " Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Église (...) Le mari doit aimer sa femme, comme son propre corps" (Ephésiens, 5.21-31). La logique est respectée : l'homme est à Jésus ce que la femme est à l'homme. Soumis, en échange de son amour et de sa protection.

3.2 Les conventions de genre tu respecteras...

Paul de Tarse est assez tatillon sur les convenances. Il n'aurait sans doute pas trop aimé les études de genre : "La nature ne vous enseigne-t-elle pas qu'il est déshonorant pour l'homme de porter les cheveux longs ? Tandis que c'est une gloire pour la femme, car la chevelure lui a été donnée en guise de voile" (1 Corinthiens, 11.14,15).


3.3 Esclave, tu resteras

Le christianisme défend l'esclave et l'opprimé ? Le discours social de l'Église est un discours récent. Peut-être pour s'adapter au public des pays émergents et à une situation qui n'est plus dominante dans les pays occidentaux. Mais ce n'est pas ce que dit la Bible chrétienne.

L'Épitre aux Colossiens résume bien l'ordre hiérarchique du christianisme : "Épouses, soyez soumises à vos maris (...), Enfants, obéissez en tout à vos parents (...), esclaves, obéissez à vos maîtres d'ici-bas. Servez-les non parce qu'ils vous surveillent (...). Quel que soit votre travail, faites-le de bon coeur, comme pour le seigneur "(Colossiens 3.18-24).

Elle ne défend pas les opprimés, au contraire : "Que chacun demeure dans la condition où il se trouvait quand il a été appelé. Étais-tu esclave quand tu étais appelé ? Ne t'en soucie pas ; au contraire, alors même que tu pourrais te libérer, mets plutôt à profit ta condition d'esclave. Car l'esclave qui a été appelé dans le seigneur est un affranchi du seigneur. De même, celui qui a été appelé étant libre est un esclave du Christ". (1 Corinthiens, 7.20-22). Et encore : "Esclaves, obéissez à vos maîtres d'ici-bas avec crainte et tremblement, d'un coeur simple, comme au Christ, non parce qu'on vous surveille, comme si vous cherchiez à plaire aux hommes, mais comme des esclaves du Christ qui s'empressent de faire la volonté de Dieu " (Ephésiens, 6.5)

Les chrétiens sont donc appelés à respecter scrupuleusement l'ordre social de leur pays, fût-il profondément injuste comme l'esclavage. Non seulement il faut obéir, mais il ne faut pas se libérer si on le peut : obéissez en tremblant, même quand on ne vous surveille pas, car c'est la volonté de Dieu... Voilà en somme dressé le portrait de l'esclave idéal ! Tel que les oppresseurs n'ont jamais osé le rêver.

Il faut également travailler avec ardeur car on le fait non pour son maître, mais pour le Christ : "Quel que soit votre travail, faites-le de bon coeur, comme pour le seigneur, et non pour les hommes, sachant que vous recevrez du seigneur l'héritage en récompense. " (Colossiens, 3.18-24). En obéissant à vos maîtres, vous obéissez à Dieu. Donc Dieu a voulu l'esclavage et les inégalités sociales.

Mais patience : dans l'autre monde, l'esclavage sera inversé. Les hommes libres seront les esclaves du christ. Ainsi vous serez vengés. Chacun son tour... Belle religion de libération en vérité ! De quoi sont coupables ces hommes libres ? De rien, sinon d'être mieux lotis que les esclaves. Ils seront donc punis. En résumé la Bible nous encourage non seulement à une passivité sociale totale, mais aussi à la rumination de la rancoeur et à la haine des riches et des mieux lotis. Reportée, sagement, vers l'autre monde. Ainsi encourage-t-on les sentiments les plus bas sans risquer de mettre en danger l'ordre social. Cette rancoeur reportée après la mort associée à la reconnaissance des plus forts ne peut qu'inciter les faibles à demeurer doux comme des agneaux et les forts à rugir comme des lions. Que le festin continue !

Il est vrai que cela devra se faire avec une douceur relative : "aimez vos femmes et ne vous aigrissez pas contre elles (...) Parents, n'exaspérez pas vos enfants (...) Maîtres, traitez vos esclaves avec justice et équité, sachant que vous aussi, vous avez un maître dans le ciel " (Colossiens, 3.18-25, 4.1). Commandez en tout, mais avec justice. Ajoutons-y l'obéissance politique : voilà une dictature de bon père de famille...


3.4 Obéit à tous les pouvoirs (sauf s'ils s'attaquent à Dieu)

3.4.1 Rend à César : ou comment se sortir d'une question délicate

On connait la phrase "rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu" (Matthieu, 22.21). La formule est habile, un peu comme le "je vous ai compris" de De Gaulle. Puisque la pièce de monnaie qu'on lui montre est romaine, cela signifie qu'on a fait commerce avec les Romains et qu'on en a tiré profit. Rendons-lui donc son dû, c'est-à-dire l'impôt, mais juste ce qu'on lui doit. Chacun pourra interpréter ce "qu'on lui doit" comme il le voudra. Jésus jouait sur du velours : il ne fallait pas faire peur aux Romains, mais en même temps le tribut à leur payer, un impôt de colonisateur, était très impopulaire. Comment se tirer de ce piège ? Jésus demande qu'on lui montre une pièce : si elle est romaine, c'est qu'elle vient du commerce avec Rome. Le tour est joué ! La phrase pourrait signifier aussi la séparation entre le pouvoir divin et le pouvoir temporel, soit une affirmation précoce de la laïcité. Mais on peut rétorquer qu'il s'agit là d'un anachronisme. L'Église n'a reconnu la laïcité que très récemment - sous la pression des faits - et à l'époque où la Bible a été écrite cette idée n'avait guère de sens. Séparation sans doute, mais très relative. Certains diront plutôt partage du pouvoir. Car si l'on regarde les autres passages du Nouveau Testament, on voit que celui-ci a toujours incité à l'obéissance envers le colonisateur et à payer l'impôt colonial(cf. § 3.4.2). Cette phrase habile est donc souvent utilisée par l'Église pour montrer une forme d'obéissance pragmatique et d'insoumission relative. Cependant c'est un peu l'arbre qui cache la forêt, car l'obéissance à la hiérarchie traditionnelle est une notion récurrente dans la Bible chrétienne.

3.4.2 Obéir aux dictateurs cruels, c'est obéir à Dieu...

Qu'on en juge par les textes : " Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n'y a d'autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par lui. Ainsi, celui qui s'oppose à l'autorité se rebelle contre l'ordre voulu par Dieu, et les rebelles attireront la condamnation sur eux-mêmes. En effet, les magistrats ne sont pas à craindre quand on fait le bien. Veux-tu ne pas avoir à craindre l'autorité ? Fais-le bien et tu recevras ses éloges, car elle est au service de Dieu pour t'inciter au bien. Mais si tu fais le mal, alors crains. Car ce n'est pas en vain qu'elle porte le glaive : en punissant, elle est au service de Dieu pour manifester sa colère envers le malfaiteur. C'est pourquoi il est nécessaire de se soumettre, non seulement par crainte mais encore par motif de conscience. Rendez à chacun ce qui lui es dû : l'impôt, les taxes, la crainte, le respect, à chacun ce que vous lui devez" (Romains, 13.1-7). C'est idée est reprise là encore : "Soyez soumis à toute institution humaine, à cause du seigneur ; soit au roi, en sa qualité de souverain, soit aux gouverneurs, délégués par lui pour punir les malfaiteurs et louer les gens de bien" (1 Pierre, 2.13).

Le texte est très clair. Et pour ceux qui voudraient retourner le sens des textes grâce à d'habiles métaphores, ajoutons ceci : "serviteurs, soyez soumis avec une profonde crainte à vos maîtres, non seulement aux bons et aux doux, mais aussi aux acariâtres. Car c'est une grâce de supporter, par respect pour Dieu, des peines que l'on souffre injustement" (1 Pierre, 2.18,19). Or un oppresseur injuste ne peut pas représenter métaphoriquement l'autorité de la parole d'un Dieu qui ne serait qu'amour. Ou alors Dieu n'est pas amour. Décidément, il faut obéir à tous les oppresseurs.

Le christianisme n'est donc en aucun cas un appel à une société plus juste ou un appel à faire évoluer le régime politique. Loin de se révolter, fut-ce de manière pacifique, le bon chrétien devra remercier son oppresseur. Heureux, vous qui subissez l'injustice de vos maîtres... Belle doctrine en vérité ! On comprend que le pouvoir romain impérial se soit finalement fort bien accommodé du christianisme.

3.4.3... sauf l'oppresseur n'aime pas Dieu

Si les maîtres sont cruels envers les hommes, peu importe. Mais ils ne doivent pas s'en prendre à Dieu. C'est seulement dans le cas où un maître empêche d'adorer Dieu qu'on peut lui désobéir. C'est le sens de la phrase " Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes" (Actes 5.29), que Pierre prononça devant le Sanhédrin lorsque lui et les Apôtres étaient menacés de mort pour avoir enseigné le nom de Jésus. Obéissons à tous les pouvoirs politiques et sociaux, sauf aux lois qui interdisent notre religion. Noble instinct de conservation pour l'Église. On voit qu'elle a davantage à coeur de protéger Dieu que les hommes. Bien sûr, l'exégèse pourra transformer cet amour de Dieu en un amour du prochain. Érasme a voulu cette évolution. Mais ses livres ont été interdits par l'Église.

En réalité la lecture des textes montre que cette interprétation n'est pas conforme à la lettre comme à l'esprit. C'est bien l'adoration de Dieu au sens le plus restreint du terme qui compte avant tout, pas les bonnes oeuvres. Le Nouveau Testament et partant, le christianisme, est d'abord une religion de soumission à Dieu.


Conclusion

Valeurs modernes et christianisme

On a donc raison, comme Michel Onfray le fait dans son Traité d'athéologie ou dans sa Contre-histoire de la philosophie, de citer des passages violents de la Bible qu'on évoque assez peu. La Bible est connue, mais qui la lit vraiment ? Qu'on vérifie par soi-même : l'étude des textes montre aisément que le christianisme est bien souvent le contraire de la face lisse et douce que notre catéchisme tente de forger. La violence et la soumission y sont telles que lire la Bible, pour peu qu'on soit un peu épris de justice et de paix, c'est risquer de devenir anti-chrétien. Si le nouveau catéchisme insiste davantage sur les droits de l'homme et la liberté politique, tant mieux. Mais on est alors loin des textes fondateurs. L'éthique laïque des droits de l'homme ne peut dès lors en aucun cas provenir de la Bible. Tout, dans la Bible, dit le contraire. Ce serait à l'inverse la nouvelle catéchèse qui tente de s'infléchir de se rapprocher d'une éthique contre laquelle elle a longtemps lutté, afin suivre la mode du temps et surtout de se conformer au pouvoir du moment. L'Église, en faisant cela, veut protéger son influence et sauver ce qui peut l'être : son institution et ses dogmes[5]. Mais il est clair que cette évolution n'a pas Dieu pour origine.

La violence dans l'histoire : quel rôle pour le christianisme ?

Le christianisme a légitimé la violence et l'oppression, et cela a nécessairement eu une incidence dans l'histoire. On peut se demander de quelle manière et dans quelle mesure elle a encouragé ces violences, et étudier les conséquences éthiques et politiques de la croyance en un Dieu unique. Mais il est certain également qu'elle n'a pas inventé la violence. Celle-ci n'a malheureusement pas attendu l'apparition des trois monothéismes pour se manifester. Elle est présente chez les Indiens dont la religion se passe de Dieu, chez les Chinois, chez les Aztèques polythéistes de l'autre monde tout comme chez les Romains, les Grecs et les autres peuples polythéistes du monde afro-eurasiatique. Elle est également présente sous la forme de la guerre seule, si ce n'est sous la forme de l'oppression sociale, chez de nombreux peuples dits premiers qui ne vivent pas selon les principes de l'agriculture sédentaire[6]. On la trouve également, pour être complet, chez ces marxistes qui se disent athées et sans religion et qui brandissent leur Bible rouge comme un Coran.

À titre d'hypothèse, disons que ces idéologies n'ont probablement fait que couvrir la violence et la haine par un masque aimable et attirant. Les adultes, à la différence des enfants, croient devoir légimiter leur violence au moyen d'une explication savante, en disant qu'ils font le bien.


Olivier Musac. Publié sur cogitarum.net




[1] Une forme de torture

[2] "Voici, je la jette sur un lit d'amère détresse, ainsi que ses compagnons d'adultère, à moins qu'ils ne se repentent de ses oeuvres. Ses enfants, je les frapperai de mort". (Apocalypse, 2.20-22)

[3] L'Église a condamné certains aspects du nazisme pour des raisons doctrinales et a interdit à ses fidèles d'adhérer au nazisme avant leur arrivée au pouvoir. Mais une fois qu'ils sont au pouvoir, ils lèvent cette interdiction et signent un concordat. En 1933 l'Église catholique allemande publie une lettre pastorale dans laquelle elle rend "hommage à la manière nouvelle et vigoureuse dont on insiste sur le principe d'autorité dans l'État allemand". Le cardinal Bertram envoie un télégramme de félicitation à Hitler quand il envahit la Tchécoslovaquie. En 1939, une lettre pastorale invite les catholiques allemands à faire leur devoir de soldat : "nous exhortons les catholiques à faire leur devoir de soldats et à tout sacrifier d'eux-mêmes, en obéissance au Führer". En juin 1940 les évêques acceptent de faire sonner les cloches pendant sept jours pour célébrer la victoire sur la France. Dans son encyclique Mit brennender sorge l'Église ne condamne jamais nommément le nazisme, alors qu'elle est toujours très explicite pour condamner le communisme. En réalité l'encyclique protège son église et ses organisations de jeunesse et condamne certaines conceptions contraires aux dogmes chrétiens soutenues par quelques idéologues nazis : aspects néo-paganistes, tendances idolâtriques, élaboration d'un Dieu national et racial, culte du corps. Lorsqu'elle s'est opposée à la politique nazie, c'était contre la pratique de l'eugénisme, pour protéger des juifs convertis au catholicisme et contre l'annulation des mariages entre juifs et catholiques : pour protéger ses ouailles et ses dogmes. Elle a montré à ces occasions qu'elle savait très bien résister aux nazis quand elle le voulait. Cela rend plus terrible encore son inaction face aux autres barbaries nazies. Elle a revendiqué la guerre nationale et a approuvé le caractère autoritaire du régime nazi. Quelques individualités chrétiennes ont bien résisté, mais pas l'institution. En cela, L'Église a été logique. Elle a suivi scrupuleusement les textes de la Bible : obéir aux autorités constituées sauf quand elles outragent Dieu. Et Appeler Dieu à l'aide pour encourager les soldats à se battre (au sens non métaphorique du terme)... Les protestants d'Allemagne ont été moins ambigus : ils ont directement fait la promotion du nazisme, à l'exception de personnalités notables qui ont agi contre les églises traditionnelles. Sources : L'Église catholique et l'Allemagne nazie, éd. Stock, 1965, Guenter Lewy, Le Vatican, l'Europe et le Reich, Armand Colin, 2010, Annie Lacroix-Riz.

[4] Quelques dogmes fondateurs, bien sûr, restent inchangés : le rejet du plaisir dans la sexualité, le refus de l'avortement, de l'euthanasie ou du divorce.

[5] Notamment le refus du divorce, de l'avortement, du plaisir dans la sexualité, ou de l'euthanasie.

[6] Rappelons que l'agriculture sédentaire, permettant une intense accumulation des richesses, sera l'occasion de développer les inégalités sociales que les mondes dits "civilisés" connaissent.

 

Bibliographie

- La Bible, Traduction oecuménique de la Bible (TOB), Société biblique française, Le Cerf, 2004

- L'Église catholique et l'Allemagne nazie, Guenter Lewi,Stock, 1965

- Le Vatican, l'Europe et le Reich, Annie Lacroix-Riz, Armand Colin, 2010

- Traité d'athéologie, Michel Onfray, Grasset, 2005

- Protestantisme et nationalisme en Allemagne entre 1900 et 1945, Rita Thalman, Klincksieck, 2000



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