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Lilith, le spectre des nuits


par Eric Timmermans  -  21/06/2011




Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.




1. Lilith, une déesse anciennement démonisée.

A l'exemple d'Astarté, dont le nom, dans la Bible, sert à désigner les déesses païennes en général (les "Baal" désignant les dieux des prétendus "idolâtres"), Lilith a été assimilée, par le judéo-christianisme, à un démon et à une incarnation du péché. Mais Lilith apparaît, à l'origine, dans le monde mésopotamien, comme un aspect de la Grande Déesse. Son nom doit vraisemblablement être rapproché de celui de la déesse suméro-akkadienne Lilitû, également connue sous le nom d'Ardat Lili, ce qui signifie "servante de Lilû". Ce dernier, dont le nom semble signifier "libertinage", est un démon mâle, héritier du Lil (=vent) sumérien, esprit licencieux et lascif qui abuse des femmes durant leur sommeil, à l'instar des démons incubes. Ardat Lili, quant à elle, apparaît comme un démon féminin excitant la volupté. Cette image négative de Lilith doit évidemment beaucoup aux sociétés patriarcales du Désert proche-oriental.

2. Lilith, une ennemie de l'ordre patriarcal.

Décrite comme une démone lascive excitant la volupté, comme la servante d'un démon mâle -Lilû, donc-, tout à la fois "vierge stérile", nocturne et luxurieuse, Lilith est aussi parfois perçue, a contratrio, comme un des aspects de la Grande Déesse, volontairement discréditée par des sociétés patriarcales aspirant à enterrer les matriarcats de jadis organisés autour du culte de la Déesse-Mère. Dans l'épopée de Gilgamesh, ce dernier, héros masculin, oppose d'ailleurs une forte résistance à la déesse Ishtar/Astarât/Astarté. De fait, Lilith était déjà connue sous une forme au moins partiellement malfaisante (ou affirmée telle) dans la mythologie babylonienne, de même que dans certaines légendes assyriennes qui la décrivent comme hantant les lieux et les déserts maudits. La Bible ne fera que reprendre cette image patriarcale.

3. Une déesse charnelle et guerrière.

L'on distingue, en général, deux aspects fondamentaux de la Grande Déesse. L'un est celui de la Déesse-Mère, nourricière, féconde, maternelle, l'autre est celui de la Grande Déesse guerrière, vierge ou, au contraire, patronnant la prostitution sacrée, mais toujours combattante et généralement sanglante. Ses noms sont innombrables : l'Hindoue Kâlî, tueuse de démons, issue du front de Durgâ, la "déesse aux fauves" ; Cybèle parfois considérée par le christianisme comme la grand-mère de Satan et dont les prêtres s'arrachaient les parties génitales pour ressembler à l'infortuné Attis ; l' "Oeil de Rê", terme qui désigne les déesses lionnes de la tradition égyptienne (Sekhmet, Pakhet.) dont la fureur meurtrière s'abattait sur l'humanité pour la punir (déjà !) de son impiété et de ses péchés ; la Bobdb Morrigane, la déesse-corneille de la tradition irlandaise ; Hécate et ses chiens aux yeux de braise. Qu'il était dès lors facile de faire de la Mère Féconde, une "vierge stérile", de la déesse guerrière, un démon tueur d'enfants et de l'incarnation d'une sexualité sacrée et d'une androgynie symbole de l'Unité cosmique, la Grande Putain de Babylone.! C'est bien ce que l'on fit de Lilith dont la récupération ultérieure par l'univers mythique judéo-chrétien ne fera que renforcer encore l'aspect démoniaque.

4. Le Spectre des nuits.

De source sémitique, le nom de Lilith serait à rapprocher du terme hébreu "laïl" qui signifie "nuit". De fait, Lilith est intimement liée à Leïla ou Laylah qui est la "Nuit" ou l'"Esprit de la Nuit". Elle est aussi la "Lune noire", celle-ci occupant une place importante dans les rituels magiques et religieux de la Mésopotamie et du monde hébraïque. Lilith est donc naturellement présentée, comme nous l'avons déjà dit, comme un être nocturne auquel la tradition biblique a d'ailleurs donné le nom de "Spectre des Nuits" (Isaïe 34 :14) :

"Les chats et les chiens sauvages s'y rencontreront, et les satyres s'y appelleront les uns les autres. Là aussi le spectre des nuits fera ses demeures, et trouvera son lieu de repos." (Crampon) Et le chanoine Crampon d'ajouter (p. 1086) que ledit "spectre des nuits" est un être errant et dangereux que l'on retrouve, comme cela a déjà été dit, dans les nomenclatures assyriennes des démons.

"Les chats sauvages rencontreront les hyènes, le satyre appellera le satyre, là encore se tapira Lilith, elle trouvera le repos." (Jérusalem) Et voilà notre Grande Déesse mésopotamienne, devenue démon femelle, errant parmi les ruines du pays d'Edom !

5. La reine des démons succubes.

Or, qui dit "errance nocturne" et "lascivité" dit aussi "démon succube". Pour rappel, le succube est l'équivalent féminin de l'incube. Si ce dernier s'attaque aux femmes, le succube, lui, prend les hommes pour proies. Or, Lilith est considérée comme la reine des succubes. Toujours inassouvie, nous dit la tradition, Lilith s'attaque aux hommes mariés et à leur foyer. Le Zohar (ou Livre des splendeurs) ne contient-il pas, d'ailleurs, des incantations pour éloigner Lilith du lit conjugal ? On reconnaît là le portrait de la femme tentatrice qu'aime tant à nous dépeindre certaines traditions religieuses, notamment monothéistes, du Désert proche-oriental. Lilith la Lascive vient ainsi compléter le portrait d'Eve la Pécheresse. La tradition rabbinique considère ainsi Lilith comme la première femme d'Adam -la première Eve, donc- et se base pour appuyer cette affirmation sur un passage de la Genèse (1 : 27) qui, selon les interprétations, montre que cette femme n'a pas été créée à partir du côté d'Adam (contrairement à Eve) :

"Et Dieu créa l'homme à son image ; il le créa à l'image de Dieu : il les créa mâle et femelle." (Crampon)

"Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa." (Jérusalem)

Ainsi est-il dit qu'ayant été momentanément séparé d'Eve (ou avant l'arrivée d'Eve, selon les sources), Adam s'est accouplé avec Lilith et qu'une génération de démons naquit de cette union. Ces démons dits Shedim sont au nombre de sept et portent les noms de Sam Ha, Mawet, Ashmodaï (Asmodée), Shibetta, Ruah, Kardeyakos et Na'Amah. Mais non-contente d'avoir entraîné sur la voie du péché cet Adam qui, bien que fait à l'image de la perfection divine, semble naïvement accumuler les bourdes, engendrant ici des démons et croquant là des "fruits du péché" sans avoir l'air de savoir ce qu'il fait, voilà que Lilith refuse de se soumettre à lui ! En effet, les talmudistes précisent que Lilith refusa de se soumettre à Adam et qu'elle quitta le paradis pour épouser Samaël -ou Caïn, selon les sources-, avec lequel elle partit vivre dans la Géhenne. Pour nombre de commentateurs, l'image est limpide : la femme refusant de se soumettre à l'ordre patriarcal marche sur le chemin du Démon. Mais selon d'autres traditions, Lilith nourrissait à l'égard d'Eve une telle haine qu'elle lui apparut elle-même sous les traits du serpent tentateur. Et voilà Lilith, androgyne, pratiquement élevée au rang du Démon Lui-même.

6. Une ennemie de l'épouse et du nourrisson.

Le tableau infernal de notre déesse mésopotamienne n'est toutefois pas encore complet : violeuse de maris, Lilith est également campée dans le rôle d'une ennemie des femmes en couches et d'une tueuse d'enfants, particulièrement friande de nourrissons. Ainsi, si Lilith est peu évoquée dans le Talmud, elle est par contre très présente dans le folklore hébraïque qui la décrit comme un prédateur chassant les femmes en couches et les enfants. On trouve dans le Testament de Salomon une tradition selon laquelle, pour protéger les nouveau-nés, on doit écrire aux quatre coins de la chambre de l'accouchée : "Adam ; Eve ; hors d'ici Lilith". On dit aussi que Lilith cherche à enlever les nouveau-nés pour s'en repaître à la manière des Goules. On la rapproche ainsi de Lamia (".les Soixante-dix et la Vulgate traduisent Lilith par le terme "Sorcière" ("lamia" en latin)" - L'Ange déchu, M. Centini, p.39) et des Lamies, de même que d'Empusa et des Empuses. Au 16ème siècle, dans certaines régions d'Europe, on réveillait les jeunes enfants qui souriaient dans leur sommeil, car on craignait qu'ils ne soient en train de jouer avec Lilith et que celle-ci ne les enlève après les avoir séduits (qu'a donc dit Einstein à propos de la bêtise humaine ?) !

7. Un vampire féminin.

Le démon succube, voleur de la semence des hommes et peut-être de leur "souffle vital", peut donc aussi se muer en un vampire suceur de sang. Ne dit-on pas d'ailleurs que Lilith vit au fond de la Mer Rouge en compagnie de démons aussi nombreux que lascifs avec lesquels, chaque jour, elle conçoit et engendre plus d'une centaine de Lilim, qui ne sont rien d'autre que des vampires ? Et c'est de cet antre maritime que, toutes les nuits, Lilith prend son envol pour errer de par le monde et s'abreuver du sang des nouveau-nés. Ne dit-on pas aussi que 180.000 servantes sont aux ordres de Lilith, qu'elles se tiennent toujours prêtes à se répandre sur le monde, qu'elles apprécient le séjour des maisons en ruine, de même que les latrines, et qu'elles sortent la nuit pour se gorger de pus et de vermine ?

8. Visualisation.

Lilith est parfois décrite sous l'aspect d'un être démoniaque, un esprit nocturne à face de femme, doté d'ailes et portant de longs cheveux. Plus étrangement, dans le Zohar, Lilith apparaît sous les traits d'un monstrueux et malfaisant "fotus ailé". Une conclusion pour le moins freudienne.


Eric Timmermans


Sources :
- Bible de Jérusalem, Cerf, 1998
- Bible du chanoine Crampon, Société de Saint-Jean l'Evangéliste, 1939
- Dictionnaire de la Bible, Pierre Norma, Maxi-Poche Références, 2001
- Dictionnaire du Diable, Roland Villeneuve, Omnibus, 1998
- Dictionnaire du diable, des démons et sorciers, Pierre Ripert, Maxi-Poche Références, 2003
- Grand dictionnaire des symboles et des mythes, Nadia Julien, Marabout, 1997
- La Kabbale, Gershom Scholem, 1998
- L'Ange déchu, M. Centini, Editions de Vecchi, 2004 (p. 25, 37, 180)
- Le Prince de ce monde, Nahema-Nepthys et Anubis, Editions Savoir pour Être, 1993.



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