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LéviathanLe diable de la merpar Timmermans - 19/10/2010 Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs. 1. Léviathan, origine et identité.Ce démon d’origine biblique revêt tour à tour des aspects diversifiés allant du serpent de mer (on le nomme d’ailleurs parfois "diable de la mer") au monstre aquatique assimilé à la baleine, au crocodile, à un dragon marin, voire à l’hippopotame. Il s’agirait, à l’origine, d’un monstre marin babylonien ou égyptien. On pourrait peut-être le rapprocher de certains serpents maléfiques comme l’Egyptien Apophis ou l’Indien Vritra. Son nom pourrait aussi signifier "bête qui se tortille". Léviathan personnifie le Diable, les forces du Mal que seule l’épée de Dieu, dit-on, parviendra un jour à tuer.2. Léviathan dans la tradition rabbinique.2.1. Léviathan, démon androgyne, aurait, à l’instar de Samaël, séduit tant Eve qu’Adam.2.2. Léviathan sera, avec Béhémoth, servi comme nourriture au Banquet des Bienheureux, car il est dit que Dieu a réservé ces deux monstres pour servir de repas aux survivants de la fin du monde ! 3. Léviathan dans la Bible.Léviathan est cité dans le Livre de Job, de même que dans les Psaumes et dans Isaïe. Ainsi est-il cité dans l’épisode qui voit Job maudire le jour de sa conception et celui de sa naissance (Job 3 : 8) :"Que ceux-là maudissent, qui maudissent les jours, qui savent évoquer Léviathan !" (Crampon). "Que la maudissent ceux qui maudissent les jours et son prêts à réveiller Léviathan !" (Jérusalem). Toujours dans le Livre de Job, dans le cadre de la réponse de Yahvé à Job, une description est faite de Léviathan à Job 40 : 25-32 : "Tireras-tu Léviathan avec un hameçon, et lui serreras-tu la langue avec une corde ? Lui passeras-tu un jonc dans les narines, et lui perceras-tu la mâchoire avec un anneau ? T’adressera-t-il d’ardentes prières, te dira-t-il de douces paroles ? Fera-t-il une alliance avec toi, le prendras-tu pour toujours à ton service ? Joueras-tu avec lui comme un passereau ; l’attacheras-tu pour amuser tes filles ? Les pêcheurs associés en font-ils commerce, le partagent-ils entre les marchands ? Cribleras-tu sa peau de dards, perceras-tu sa tête du harpon ? Essaie de mettre la main sur lui : souviens-toi du combat, et tu n’y reviendras plus." (Crampon) "Et Léviathan, le pêches-tu à l’hameçon, avec une corde comprimes-tu sa langue ? Fais-tu passer un jonc dans ses naseaux, avec un croc perces-tu sa mâchoire ? Est-ce lui qui te suppliera longuement, te parlera d’un ton timide ? Conclura-t-il une alliance avec toi, pour devenir ton serviteur à vie ? T’amusera-t-il comme un passereau, l’attacheras-tu pour la joie de tes filles ? Sera-t-il mis en vente par des associés, puis débité entre marchands ? Cribleras-tu sa peau de dards, le harponneras-tu à la tête comme un poisson ? Pose seulement la main sur lui : au souvenir de la lutte, tu ne recommenceras plus !" (Jérusalem) La description de Léviathan par Yahvé se poursuit à Job 41 : 1-26 : "Voici que le chasseur est trompé dans son attente ; la vue du monstre suffit à le terrasser. Nul n’est assez hardi pour provoquer Léviathan : qui donc oserait me résister en face ? Qui m’a obligé, pour que j’aie à lui rendre ? Tout ce qui est sous le ciel est à moi. Je ne veux pas taire ses membres, sa force, l’harmonie de sa structure. Qui jamais a soulevé le bord de sa cuirasse ? Qui a franchi la double ligne de son râtelier ? Qui a ouvert les portes de sa gueule ? Autour de ses dents habite la terreur. Superbes sont les lignes de ses écailles, comme des sceaux étroitement serrés. Chacune touche sa voisine ; un souffle ne passerait pas entre elles. Elles adhèrent l’une à l’autre, elles sont jointes et ne sauraient se séparer. Ses éternuements font jaillir la lumière, ses yeux sont comme les paupières de l’aurore. Des flammes jaillissent de sa gueule, il s’en échappe des étincelles de feu. Une fumée sort de ses narines, comme une chaudière ardente et bouillante. Son souffle allume les charbons, de sa bouche s’élance la flamme. Dans son cou réside la force, devant lui bondit l’épouvante. Les muscles de sa chair tiennent ensemble, fondus sur lui, inébranlables. Son cœur est dur comme la pierre, dur comme la meule inférieure. Quand il se lève, les plus braves ont peur, l’épouvante les fait défaillir. Qu’on l’attaque avec l’épée, l’épée ne résiste pas, ni lance, ni le javelot, ni la flèche. Il tient le fer pour de la paille, l’airain comme un bois vermoulu. La fille de l’arc ne le fait pas fuir, les pierres de la fronde sont pour lui un fétu, la masse, un brin de chaume ; Il se rit du fracas des piques. Sous son ventre sont des tessons aigus : on dirait une herse qu’il étend sur le limon. Il fait bouillonner l’abîme comme une chaudière, il fait de la mer un vase de parfums. Il laisse auprès de lui un sillage de lumière, on dirait que l’abîme a des cheveux blancs. Il n’a pas son égal sur la terre, il a été créé pour ne rien craindre. Il regarde en face tout ce qui est élevé, il est le roi des plus fiers animaux." (Crampon) "Ton espérance serait illusoire, car sa vue seule suffit à terrasser. Personne n’est assez féroce pour l’exciter, qui donc, alors, irait me tenir tête ? Qui m’a fait une avance qu’il me faille rembourser ? Tout ce qui est sous les cieux est à moi ! Je ne veux pas taire ses membres. Qui a découvert par devant sa tunique, pénétré dans sa double cuirasse ? Qui a ouvert les battants de sa gueule ? La terreur règne autour de ses dents ! Son dos, ce sont des rangées de boucliers, que ferme un sceau de pierre. Ils se touchent de si près qu’un souffle ne peut s’y infiltrer. Ils adhèrent l’un à l’autre et font un bloc sans fissure. Son éternuement projette de la lumière, ses yeux ressemblent aux paupières de l’aurore. De sa gueule jaillissent des torches, il s’en échappe des étincelles de feu. De ses naseaux sort une fumée, comme un chaudron qui bout sur le feu. Son souffle allumerait des charbons, une flamme sort de sa gueule. Sur son cou est campée la force, et devant lui bondit l’épouvante. Quand il se dresse, les flots prennent peur et les vagues de la mer se retirent. Les fanons de sa chair sont soudés ensemble : ils adhèrent à elle, inébranlables. Son cœur est dur comme le roc, résistant comme la meule de dessous. L’épée l’atteint sans se fixer, de même lance, javeline ou dard. Pour lui, le fer n’est que paille, et l’airain, du bois pourri. Les traits de l’arc ne le font pas fuir : les pierres de fronde se changent en fétu. La massue lui semble un fétu, il se rit du javelot qui vibre. Il a sous lui ses tessons aigus, comme une herse il passe sur la vase. Il fait bouillonner le gouffre comme une chaudière, il change la mer en brûle-parfums. Il laisse derrière lui un sillage lumineux, l’abîme semble couvert d’une toison blanche. Sur terre, il n’a point son pareil, il a été fait intrépide. Il regarde en face les plus hautains, il est roi sur tous les fils de l’orgueil." (Jérusalem) A noter qu’à l’époque médiévale, en se référant au texte du Livre de Job, les auteurs et les artistes assimilèrent la gueule de Léviathan à l’entrée de l’Enfer. Et dans les Psaumes (104 : 25-26) il est dit : "Voici la mer, grande et vaste en tous sens : là fourmillent sans nombre des animaux petits et grands ; là se promènent les navires, et le Léviathan que tu as formé pour se jouer dans ses flots." (Crampon) "Voici la grande mer aux vastes bras, et là le remuement sans nombre des animaux petits et grands, là des navires se promènent et Léviathan que tu formas pour t’en rire." (Jérusalem) Enfin, dans Isaïe (27 : 1), il est dit comment mourra Léviathan : "En ce jour-là, Yahweh visitera de son épée dure, grande et forte, Léviathan, le serpent agile, Léviathan, le serpent tortueux, et il tuera le monstre qui est dans la mer." (Crampon). "Ce jour-là, Yahvé châtiera avec son épée dure, grande et forte, Léviathan, le serpent fuyard, Léviathan, le serpent tortueux, il tuera le dragon qui habite la mer." (Jérusalem). Il est intéressant de noter que dans un cas Léviathan est assimilé à un serpent et dans l’autre cas à un dragon. Ce texte semble influencé par un poème de Râs-Shamra (14e siècle avant l’ère chrétienne), où on peut lire : "Tu écraseras Léviathan, serpent fuyard, tu consumeras le serpent tortueux, le puissant aux sept têtes." (Bible de Jérusalem, p.1319). 4. Léviathan dans les croyances populaires.4.1. Jean Wier voit en Léviathan le grand amiral de l’Enfer et le nomme le "grand menteur". Il est dit également que Léviathan est membre de l’ordre de la Mouche, qu’il apprend à mentir et à en imposer auprès des autres, qu’il est tenace, ferme et difficile à exorciser.4.2. Le nom de Léviathan apparaît dans l’affaire Gaufridy (1610), au cours de laquelle il est désigné comme l’un des 6.666 démons (!) possédant Madeleine de la Palud. 4.3. Léviathan des Séraphins fut aussi l’un des sept démons qui possédèrent la Supérieure du couvent des Ursulines de Loudun (1632-1634), sœur Jeanne des Anges. Il était, dit-on, placé au milieu du front de la religieuse et pour signe de sortie, il promit de tracer une croix de sang sur ledit front. Sœur Jeanne l’apprécia en tout cas assez pour le considérer comme peu dérangeant, peu violent et s’accommodant entièrement avec sa propre humeur naturelle… 4.4. Décidément très populaire, Léviathan se manifesta encore dans l’affaire de possession de Louviers (1642) où, avec ses démoniaques complices, Encitif et Dagon, il accuse Madeleine Bavent d’être une grande magicienne ayant reçu au sabbat le pouvoir de charmer par le regard. La jeune religieuse avouera même se donner à Léviathan, Lucifer et Belzébuth, Léviathan rendra également, dans le cadre de son exorcisme, une "boîte d’hosties souillées ". 4.5. Nous retrouvons à nouveau le nom de Léviathan dans le cadre du procès en sorcellerie de Marie de Sains. Selon le procès-verbal établi le 19 mai 1614, le nom de Léviathan aurait été cité dans les litanies du sabbat des Flandres qui se tenait habituellement les mercredis et les vendredis. 4.6. Dans les croyances populaires, il est dit que Léviathan préside au mois de février. 4.7. Selon Peter Binsfeld (1540-1603), Léviathan patronne plus particulièrement le péché d’envie auquel, selon un abbé de Fulda (Hesse), correspondrait, en outre, l’ellébore (ou Hellébore), une plante de la famille des Ranunculaceae. 5. Léviathan dans le Paradis perdu de Milton.Dans le Paradis perdu (chap. I, 190-229) de Milton il est dit que "Satan égalait encore cette bête de la mer, Léviathan, que Dieu, de toutes ses créatures, fit la plus grande entre celles qui nagent dans le cœur de l’Océan : souvent la bête dort sur l’écume norvégienne ; le pilote de quelque petite barque égarée au milieu des ténèbres, la prend pour une île (ainsi le racontent les matelots) ; il fixe l’ancre dans son écorce d’écaille, s’amarre sous le vent à son côté, tandis que la nuit investit la mer, et retarde l’aurore désirée." Et encore : "Là Léviathan, la plus grande des créatures vivantes, étendu sur l’abîme comme un promontoire, dort ou nage, et semble une terre immobile ; ses ouïes attirent en dedans, et ses naseaux rejettent au-dehors une mer." (Le Paradis perdu, VII, 412-415) Notons que ces descriptions renvoient à certains mythes médiévaux tels que celui de la "Bête-Île" ou de l’ "Hafgufe" nordique.Eric Timmermans Sources :
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