Athéisme : l'homme debout. Vivre sans Dieu et sans religion  >  Vos contributions    > La légende du Juif errant


La légende du Juif errant


par Eric Timmermans  -  19/04/2010




Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.




1. Le Juif errant et l'antijudaïsme.

L'histoire de ce personnage du folklore chrétien était anciennement faite pour "édifier" le "bon chrétien" à l'encontre des juifs et du judaïsme. "Le Juif errant, dit-on, subit cette malédiction depuis que le premier d'entre [les juifs] refusa de donner à boire au Christ en route vers le Golgotha. Pour n'avoir pas aidé le Crucifié, la malédiction frappe celui-ci, pas bien charitable le Jésus, mais aussi et surtout tous les siens, ses descendants, son peuple." (Traîté d'athéologie, Michel Onfray, p.219-220) Le Juif errant est parfois représenté comme le concierge du prétoire où Jésus-Christ fut amené, comme ancien légionnaire romain ou encore comme savetier, mais il est surtout l'homme qui refusa sa pitié à Jésus sur le chemin du Golgotha (ou qui demanda sa condamnation à Hérode). On le connaît sur plusieurs noms tels qu'Isaac, Ahasver, Buttadeus, Cartaphilus…

2. Le Juif errant d'Alexandre Dumas.

2.1. L'œuvre inachevée de Dumas.

Dans l'ouvrage inachevé d'Alexandre Dumas, Isaac Laquedem, le Juif errant est un porte-enseigne de l'armée romaine qui, effectivement, refusa toute pitié à Jésus sur le chemin du Golgotha. De plus, il le malmena et fut, de ce fait, condamné à errer jusqu'à la fin des temps avec cinq sous en poche qui se renouvellent indéfiniment. Le Juif errant tente parfois de se suicider, mais il ne peut mourir. Cette légende et les superstitions qui s'y rattachent sont connues dans toute l'Europe. Elles inspirèrent Alexandre Dumas qui écrivit une version de la légende du Juif errant, entre 1852 et 1853. On prétend que si elle avait pu être terminée, elle aurait été l'un des plus grands ouvrages de cet auteur. Peut-être, encore aurait-il largement contribué à véhiculer des superstitions dont l'Esprit libre ne sait toujours avec certitude s'il doit en pleurer ou susciter sa plus complète hilarité. Soit.


2.2. La légende vue par Dumas.
Dans le chapitre 23 d'Isaac Laquedem, qui est titré "Le porte-enseigne", Dumas évoque l'épisode de Jésus chez Ponce Pilate. Au cours de cette entrevue, à la suite de laquelle, dit-on, Jésus sera condamné à être crucifié, il apparaît que par deux fois, les étendards de Rome se baissèrent comme par magie sur le passage du Nazaréen. Pilate demanda alors qui serait assez hardi pour relever le défi une troisième fois et c'est alors qu'un homme sortit de la foule et se proposa. Il s'appelait Isaac Laquedem. On le décrivait comme un homme d'une quarantaine d'années, de condition inférieure, au noir regard colérique, au sourire carnassier et aux longs cheveux noirs qui flottaient telle une crinière. Il avait pour tic de rejeter cette chevelure en arrière. C'était, dit-on, un homme fier à l'allure militaire.

Isaac Laquedem se présenta à Ponce Pilate comme le fils de Jonathan, de la tribu d'Abulon. Il dit aussi ne craindre ni enchanteur, ni magicien et rappela qu'il avait servi dans la légion orientale, au temps de l'empereur Auguste, en Syrie. Il s'était également battu contre les Germains, face auxquels il avait su tenir droites les aigles romaines. Aussi, disait-il, était-il bien décidé à ne point les baisser devant le faux prophète de Nazareth nommé Jésus devant lequel on disait que les étendards de Rome s'abaissaient sans qu'il fût possible de les maintenir droits. Laquedem prit donc l'étendard des mains d'un porte-enseigne et franchit les dix premières marches de l'escalier au bas duquel Jésus s'était arrêté. Il attendit ensuite que Jésus vînt à lui, ce qu'il fit.

A mesure que ce dernier montait un degré, Isaac Laquedem serrait l'enseigne plus fort contre sa poitrine, mais malgré tous ses efforts, sous la pression d'une main invisible et puissante, l'aigle, dit-on, s'inclinait, s'abaissant à mesure que Jésus gravissait les marches de l'escalier. Lorsque celui-ci eut atteint la dixième marche, l'aigle était à ses pieds, et Laquedem, le front touchant presque le sol, semblait l'adorer à genoux. Ainsi la tradition superstitieuse chrétienne nous dépeint-elle bien naïvement la manière dont Isaac Laquedem aurait, selon elle, été vaincu par le Nazaréen envers lequel, cela va sans dire, il n'en ressentit que plus de haine. La légende nous dit que lorsque Jésus, portant sa croix, s'avança sur le chemin du Golgotha, Isaac Laquedem et sa famille se tenaient là, au milieu de la foule. Isaac lançait des quolibets à l'adresse du Nazaréen et se gaussait ouvertement de sa pénible situation. Jésus lui demanda à boire, mais Isaac, ironique, lui répondit que son puits était tari. Jésus lui demanda alors de l'aider à porter sa croix, mais Isaac, toujours goguenard, répondit qu'il n'avait qu'à appeler son divin père et les anges pour l'aider (l'Esprit libre ne peut que saluer le rationalisme et la logique implacable de ce bon Isaac !).

Jésus demanda enfin à Isaac de le laisser se reposer un instant sur son banc ou sur son seuil, mais une nouvelle fois, Isaac refusa et prétendit que son seuil n'était pas fait pour les magiciens, les faux prophètes et les blasphémateurs. Et il finit par repousser Jésus avec une telle violence, que celui-ci tomba pour la troisième fois sous sa croix. Isaac Laquedem lui cria de continuer de marcher, mais Jésus lui répondit qu'il serait maudit pour ses paroles et c'est alors qu'il le condamna à marcher jusqu''au Jugement dernier. Condamné à l'immortalité terrestre, Isaac Laquedem se vit refuser par Jésus une tombe pour dormir et lui dit que, désormais, il serait le Juif errant. Le soir même, Isaac prit la route et il n'a cessé depuis d'errer de par le monde sans jamais pouvoir se reposer.

Etablissons un parallèle entre le nom de Laquedem et celui de Hak ed Dam qui en hébreu signifie "prix du sang" et qui nomme le champ acheté par Judas avec les deniers reçus pour avoir trahi Jésus (Mathieu 27 : 6-10). Le corps de Judas y fut, dit-on, enterré. Hak ed Dam est en outre le titre du 22e chapitre de l'ouvrage de Dumas.

3. Le Juif errant dans "Le Moine" de Lewis.

Dans son célèbre roman "Le Moine", Lewis évoque également le Juif errant qui vient aider Don Raymond à se libérer du spectre d'une nonne sanglante qui le hante et qui n'est autre qu'une de ses parentes venant lui réclamer la sépulture qui lui manque. Il est décrit comme voyageant seul et doté d'un accent que l'on suppose étranger. Sa bourse bien garnie de monnaie sonnante et trébuchante lui permettait de faire beaucoup de bien autour de lui et il n'y a pas un pays qui lui sembla inconnu. "C'était un homme d'un extérieur majestueux. Sa physionomie était fortement accentuée, et ses yeux étaient grands, noirs et étincelants ; mais il y avait dans son regard quelque chose qui, dès que je le vis, m'inspira une crainte, pour ne pas dire une horreur secrète. Il était habillé simplement, ses cheveux étaient sans poudre, et un bandeau de velours noir, qui ceignait son front, ajoutait encore au sombre de ses traits. Son visage portait les marques d'une profonde mélancolie, son pas était lent et son maintien grave, auguste et solennel." Condamné à inspirer la terreur et l'aversion à tous ceux qui le voient, le Juif errant voyage seul et n'a point d'amis. Ainsi, l'auteur fait-il dire à l'un de ses personnages "qu'il n'avait aucun doute que cet homme étrange ne fut le personnage célèbre connu universellement sous le nom de Juif errant. La défense qui lui est faite de passer plus de quatorze jours dans le même lieu, la croix de feu empreinte sur son front, l'effet qu'elle produit sur ceux qui la regardent, et plusieurs autres circonstances, donnent à cette supposition le caractère de vérité."

4. Le Juif errant chez Rudyard Kipling.

Quant à Rudyard Kipling, il cite le Juif errant dans l'un de ses "Nouveaux contes des collines", La fille du régiment. Le soldat Mulvaney en parle de manière bien peu élogieuse en ces termes : "Et vous pouvez m'en croire, la trace laissée par le choléra dans le camp ressemblait à celle qu'un homme aurait faite en décrivant quatre fois le chiffre 8 à travers les tentes. On dit que c'est le Juif errant qui apporte le choléra avec lui. Je le crois."

5. Le Juif errant à Bruxelles.

A Bruxelles, on dit que le duc de Bourgogne Philippe le Bon mourut peu de temps après avoir aperçu le Juif errant lors de la semaine sainte, en 1466. Le duc l'aurait aperçu dans les gradins alors que le peuple de Bruxelles assistait à une représentation de la Passion dans la cour du palais ducal. Au moment précis où Jésus tombe pour la première fois sous le poids de la croix, un homme "vêtu à l'arménienne" s'évanouit et le duc Philippe, surprit, aurait alors murmuré "c'est le Juif errant… !" Toujours à Bruxelles, une complainte, colportée par des chanteurs ambulants au 18ème siècle, évoquait aussi la malédiction qui frappe le Juif errant : "Des bourgeois de la ville de Bruxelles, en Brabant, d'une façon civile l'accostent en passant. Jamais ils n'avaient vu un homme aussi barbu. N'êtes-vous point cet homme de qui l'on parle tant, que l'Ecriture nomme Isaac, Juif errant ?"


Eric Timmermans


Sources :
  • Bible du chanoine Crampon, Société de Saint Jean l'Evangéliste / Desclée et Cie, Editeurs pontificaux, 1939
  • Dictionnaire des superstitions, R. Morel et S. Walter, Marabout Univers secret, 1972
  • Histoire secrète de Bruxelles, Paul de Saint-Hilaire, Albin Michel, 1981
  • Le Moine, M. G. Lewis, Marabout, 1967
  • Nouveaux contes des collines, Rudyard Kipling, Nelson Editeurs, 1952
  • Traîté d'athéologie, Michel Onfray, Grasset et Fasquelle, 2005.



Voir la page d'accueil sur le judaïsme et le christianisme



Athéisme : l'homme debout. Vivre sans Dieu et sans religion   Vos contributions    Haut de page    Contactcontact   Copyright ©