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In memoriam 02-04-05


Conte à rebours : Derniers instants


par Michel Chevillon  -  28/03/2007




Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.




En ces premiers jours d'Avril, un ciel indifférent couvre la vaste place.

Une foule, à présent, piétine douloureusement depuis des heures.

Aux premiers arrivés, les plus proches ou les mieux informés, se joignent peu à peu tous ceux que la nouvelle a touchés. Ils arrivent parfois de loin, par petits groupes ou solitaires; quand ils approchent, leurs mots se font plus rares, leurs voix plus basses, leurs pas plus lents: comme un fleuve discret parvenant à la mer, il faut qu'ils se mêlent sans remous à la masse existante, sans ébranler celle-ci, sans qu'elle prenne vraiment conscience de son accroissement. Le tout ne forme plus qu'un grand corps frémissant, fondu dans le regard innombrable et unique fixé sur cette lointaine ouverture où nul n'apparaît.

Loin d'être total, le silence s'anime de multiples rumeurs chuchotées qui en renforcent la qualité.
La plupart prient: "Seigneur, de grâce, encore un peu de temps".

Certains, il faut bien le dire, viennent en curieux. Alors qu'ils eussent été indifférents en d'autres circonstances, la publicité sans précédent donnée à l'évènement les a conduits à considérer celui-ci comme exceptionnel, comme un fait qui finalement les concerne. Sur place, presque malgré eux, ils s'accordent à l'ambiance de respect, de compassion, de ferveur qui règne.

Tous vibrent au rythme des informations plus ou moins vérifiées qui parcourent l'assistance: "C'est l'agonie", "Le coeur tient bon", "Sa sérénité est étonnante",...mais on sent peu à peu la mort gagner.

En cercles concentriques, le recueillement s'étend alentour: pour le préserver, les autorités locales prennent des mesures discrètes de prévention du désordre. Des manifestations politiques, culturelles, sportives sont ajournées. Des "personnalités" y vont de leurs commentaires dignes et affligés: "Tout ce que nous lui devons...", "Une figure exemplaire nous quitte."

Loin de là, dans son village d'origine, l'émotion n'est pas moindre. On se réunit aussi dans la prière et la gravité. A qui le leur demande, des cousins, d'anciens élèves, des amis d'enfance livrent leurs souvenirs, leurs sentiments parfois un peu convenus , et leurs propos sont promptement répandus: ainsi, chacun se sent davantage au nombre des "proches".

Et puis tout se fige. Une porte s'ouvre, une silhouette sombre apparaît: on sait alors que cette grande âme s'est rendue. Il n'y a pour l'accompagner qu'un doux gémissement unanime, comme un dernier souffle partagé. Des larmes. Quelques appels clairs de petits enfants las et troublés.

- Pourquoi tant de mouvements des coeurs autour d'une simple mort ?
- C'est que, dans ce coin d'Afrique, on l'aimait tellement, la petite institutrice du village, vaincue par le SIDA.


Michel Chevillon



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