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Emile Combes


par Yves Pialot  -  12/06/2005




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En cette année de centenaire de la Loi du 9 décembre 1905 dite de Séparation des églises et de l’Etat, je serais fort étonné qu’un hommage grandiose soit rendu à son inspirateur, Emile Combes. Ne vous attendez pas à des défilés goudiens sur les Champs Elysées ni à des discours vibrants de la part d’hommes politiques en vue, toutes tendances confondues, sur ce personnage qui a néanmoins marqué l’histoire de son empreinte. On ne profitera sans doute pas de cette année 2005 pour transférer ses restes au Panthéon. Et lorsque vous entendrez évoquer Emile Combes sous l’appellation de "Petit Père Combes", selon qui l'emploiera, il est probable que la connotation dominante attachée à cette expression sera la plupart du temps plus proche de la condescendance, voire du mépris, que de l’affection.

Et pourtant... Voilà peut-être un des cas les plus remarquables dans l’histoire de la République - peut-être même dans l’Histoire tout court - de cohérence quasi parfaite (je vais m’en expliquer) entre le législateur et la loi qui reste attachée à son nom. Et ceci, sous tous les angles où l’on abordera la question. Plus qu’un Président du Conseil, plus qu’un législateur, Emile Combes est un symbole (ce qui est souvent le cas des personnes dont on utilise le nom pour former un néologisme : on parlera de Combes et du Combisme, comme on a parlé de Colbert et du Colbertisme). Il serait temps que l’on daigne enfin se pencher sur l’importance du personnage, tant au point de vue humain, philosophique, que politique et historique, car la politique n’est rien si elle n’est sous-tendue par une valeur humaine, c'est du moins ce que pensaient Montesquieu, Voltaire ou Diderot, des gens il est vrai vilipendés et détestés par les dignitaires religieux de toutes confessions comme par une certaine intelligentsia dite "de gauche".

Quand je parle de cohérence, j’entends par là qu’Emile Combes n’a pas élaboré le texte de cette loi simplement parce que les hasards de l’histoire l’amenaient à le faire. Cette loi est à la fois l’aboutissement d’une évolution historique de l’idée républicaine issue de la philosophie des Lumières, et l’aboutissement d’une réflexion intérieure, personnelle, d’un homme au sens plein du terme. Les deux trajectoires, celle historique et politique, et celle personnelle et humaine, se rejoignent pour ainsi dire à la perfection, et qui plus est se complètent. L’une justifie l’autre et vice versa.



Dès son enfance, Emile Combes va être dirigé vers la carrière ecclésiastique. Certes, pour des raisons de famille, sur les détails desquelles il n’est pas utile de s’attarder. Mais il ne faut pas croire pour autant qu’il s’agisse pour lui d’une contrainte. Cette perspective ne le gêne pas, car elle lui offre, croit-il sincèrement, la possibilité de remplir de manière satisfaisante la case bien connue et souvent bien vide du sens de la vie. Ce n’est pas une corvée pour lui de se plonger, par exemple, dans l’oeuvre de Saint-Augustin, pour ne citer que celui-là. Il le fait avec une application et déjà un esprit philosophique correspondant à ses interrogations existentielles. Et c’est tout naturellement et sans effort particulier qu’il va entrer dans les ordres.

Seulement voilà : le jeune Emile, je viens de le signaler, possède un réel esprit philosophique, c’est-à-dire qu’il est capable de juger et de réfléchir par lui-même, et pas seulement sous l’influence de ses maîtres théologiens, pour lesquels il a cependant une estime et un respect incontestables. Il ne va pas se contenter de lire les œuvres des théoriciens de l’Eglise. Il va lire tous les philosophes, s’intéresser à tous les systèmes de pensée, et d’ailleurs, encore séminariste, il effectuera un séjour à Paris précisément pour suivre des cours de philosophie à la Sorbonne. Ainsi, par une démarche intérieure, personnelle, par l’exercice de sa raison, Combes va-t-il rejoindre les processus libératoires qui, avant lui, furent ceux d’Erasme, de Spinoza, de Descartes, et de bien d’autres. Il ne s’agit pas d’athéisme, mais d’une philosophie de l’homme pour l’homme.

Ne commettons pas l’erreur de croire que, pour autant, Combes va tourner le dos à ses préoccupations métaphysiques. Mais il découvrira par sa propre réflexion qu’il existe d’autres réponses à ses interrogations que celles fournies par les religions révélées, qui peu à peu lui paraîtront artificielles, et que ces réponses sont en l’homme. Ainsi par exemple prendra-t-il conscience que l’art est indépendant de la morale et à plus forte raison de la religion. Il découvrira le lien dialectique, déjà compris par Platon, existant entre beauté et vérité. Ne croyez pas que je m’installe dans une ennuyeuse digression philosophique. Vous allez voir que le lien entre sa pensée et son œuvre politique est fondamental. Dès 1865, ses écrits dans la Revue Contemporaine démontrent qu’aux notions de vertu et de grâce divine, Combes substitue celles de sensibilité, d’amour du beau et de l’infini que l’homme ne peut trouver qu’au fond de lui-même. De cette découverte philosophique majeure, s’inspirera plus tard celui qui deviendra ministre de l’Instruction Publique, avant de devenir homme d’Etat. Comme l’écrit Gabriel Merle, auteur d’un ouvrage remarquable sur notre législateur : "Emile Combes ne démolit certes pas l’Eglise, mais il la montre comme un carcan qui vous enserre, et empêche l’expansion maximale de l’individu". Et n’oublions jamais que, ce faisant, il sait de quoi il parle, et le sait en profondeur, en philosophe, car c’est en tant que tel qu’il a lu les œuvres des auteurs théologiques. Sa découverte n’en a que plus de valeur. Contrairement à ce que ses ennemis prétendront plus tard, Emile Combes n’est pas un bouffeur de curés, c’est un penseur, c’est un humaniste au sens le plus exact du terme.



Ainsi Emile Combes s’inscrira-t-il tout naturellement dans la construction de ce que l’on appellera l’Ecole de Jules Ferry, autrement dit l’Ecole Laïque. Et lorsqu'il deviendra Président du Conseil, donc homme d'Etat, il sera tout aussi naturellement l'homme de la séparation des églises et de l'Etat, même s'il n'est pas le principal rédacteur de la loi (E. Reclus, A. Briand, F. Buisson). Ce sens du sacré qui ne l'a jamais quitté, il l'a transféré de la religion à la société, à la République. Chez cet homme, la notion de foi garde toute sa valeur, mais elle est devenue la foi au progrès, en l'homme. C'est ce qui devait amener E. Combes à devenir anticlérical au sens véritable et profond du terme, c'est-à-dire qu'il refusa à l'Eglise sa domination sur les affaires publiques, car elle était contraire à la notion de progrès inhérente à celle de République.

La loi de 1905 est de ce point de vue un modèle d'aboutissement, un double aboutissement : l'aboutissement d'une démarche intérieure et personnelle (celle d'E. Combes) rejoint l'aboutissement d'un siècle et demi de luttes pour faire sortir la société de l'obscurantisme. En ce sens, d'un point de vue tant historique que philosophique et humain, on peut considérer que la Loi du 9 décembre 1905 est l'une des plus grandes lois que la France, tous régimes confondus, ait jamais produites, et qu'elle devrait, aujourd'hui plus que jamais, inspirer les peuples du monde entier, tout au moins ceux qui gardent dans leurs préoccupations une petite place pour une quête d'émancipation de l'homme et d'universalité.


Yves Pialot


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