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Cybèle, la grande mère des dieux


par Eric Timmermans  -  14/01/2010




Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.




1. Cybèle, Magna Mater.

Cybèle (en grec : Kubele) est une déesse originaire de Phrygie, région occidentale de l'Asie mineure (Turquie actuelle) qui s'étendait entre la mer Egée, la Propontide (mer de Marmara) et le Pont-Euxin (mer Noire). Cybèle est la Magna Mater, la Grande Mère des dieux, la Mère de Toute Vie et la Souveraine du Firmament. Aspect de la Terre Mère, Cybèle personnifie la puissance de la Nature, ce qui la place au nombre des divinités de la Fertilité. La déesse fut ultérieurement adoptée par les Grecs et les Romains. Ainsi, en tant que mère des dieux, Cybèle fut vénérée par les Grecs comme la mère de Zeus et fut pour cette raison assimilée à Rhéa. Cybèle fut aussi la déesse de l'Ida et des Troyens, considérés mythiquement comme les ancêtres du peuple romain. Celui-ci reconnut en la déesse la mère de Jupiter. Dans la religion romaine, Cybèle partage en outre avec Jupiter, le pouvoir souverain sur la reproduction des plantes, des animaux, des hommes et des dieux. A l'origine, le culte de Cybèle était célébré sur les sommets des montagnes, ou encore dans les grottes.

2. Cybèle et Attis.

Jadis, Cybèle vivait dans les montagnes de Phrygie. Elle y rencontra un jour un beau et jeune berger nommé Attis, dont elle fit le gardien de son temple. En échange, elle exigea de lui qu'il gardât sa virginité. Mais Attis ne tarda pas à tomber amoureux d'une nymphe nommée Sagaritis et il l'épousa, ce qui provoqua, bien évidemment, la colère de Cybèle. Celle-ci se vengea en faisant abattre l'arbre dont dépendait la vie de la compagne d'Attis. En effet, la vie des nymphes est généralement liée à un élément naturel : arbre, source ou rocher. C'est ainsi que Sagaritis trépassa. Attis en fut tellement désespéré qu'il devînt fou et se mutila si gravement (s'émascula) qu'il fut près de mourir. Attendrie par sa douleur, Cybèle le changea en pin. Voilà pourquoi les galles, les serviteurs de Cybèle, se mutilaient également et voilà aussi pourquoi un pin était porté dans les rues de Rome le 22 mars, comme nous allons le voir.

3. Cybèle, grand-mère de Satan ?

On ne connaît pas d'autre légende se rapportant à Cybèle, mais celle qui relate ses amours avec Attis est soit à l'origine des mystères orgiaques et orphiques de la résurrection, soit la transposition desdits mystères que le christianisme devait, bien plus tard, reprendre à son compte. A noter que du point de vue chrétien, Cybèle est parfois considérée, à l'instar de Lilith, comme la grand-mère de Satan. En effet, le christianisme bâtit de Cybèle, une image monstrueuse et dévorante.

4. Le culte de Cybèle à Rome.

4.1. La prédiction de la Sibylle de Cumes.

Lors de l'invasion de la péninsule italique par Hannibal, dans les Livres sibyllins (oracles de l'ancienne Rome attribués à la Sibylle de Cumes), il fut lu que les Carthaginois seraient vaincus si le culte de Cybèle était introduit à Rome. Aussi, en -204, vers la fin de la seconde guerre punique, le Sénat romain fit-il venir de Pessinonte, en Phrygie, la Pierre Noire -et cubique- de Cybèle. C'est ainsi que ce culte d'origine asiatique fut importé en Occident, les troupes d'Hannibal ayant, en outre, effectivement été chassées d'Italie.

4.2. La Pierre Noire de Pessinonte à celle de la Kaaba.
La Pierre Noire de Pessinonte était considérée comme un trait de foudre, une pierre céleste. Une pierre noire ou aérolithe représentait également le dieu syrien Elagabal, preuve que ce symbole était bien connu au Proche-Orient. Aussi n'est-il pas déraisonnable de rapprocher ce symbole de la célèbre "pierre noire" de la Kaaba (Al-Hadjar al Aswad), soit une pierre légèrement cubique de 15 m de haut, avec deux faces de 12 m et deux autres de 10 m, pôle cosmique unique (=quiblâ) vers lequel se tournent tous les musulmans lorsqu'ils veulent s'adresser à Dieu. Selon certaines sources, la pierre serait noire du péché des hommes. A l'origine, elle aurait été une hyacinthe blanche que l'ange Gabriel apporta à Abraham et Ismaël alors qu'ils construisaient le temple de la Kabaa. Mais une femme impure la toucha et la hyacinthe immaculée se changea en pierre noire. Difficile de ne pas voir dans cette légende, une énième tentative de diabolisation de la femme, "porteuse du péché". L'on peut y voir aussi la trace d'un ancien culte honorant la Déesse Mère.

4.3. Cybèle au Palatin.
Cybèle avait son temple au Palatin, tout contre le palais de Tibère -Domus Tiberiana-, non-loin du temple d'Apollon et de la cabane de Romulus, dans le contexte sacré du patrimoine ancestral de la Roma Quadrata. Le temple de Cybèle abritait la Pierre Noire de Pessinonte qui était sertie dans une idole à visage humain. Le cour, le "saint des saints" du temple métroaque (=de la Mère) a pour nom l'"adyton".

4.4. Cybèle, un culte impopulaire.
Ce n'est pas sans réticence que les Romains acceptèrent le culte de Cybèle sur leur sol, car il les choquait à maints égards. Lorsque le culte de Cybèle fut importé à Rome, des festivités nommées Magalésiennes (ou Megalenses Ludi) furent instituées. Elles avaient lieu du 4 au 10 avril, époque durant laquelle on faisait des offrandes à la déesse et durant laquelle se déroulaient de multiples divertissements. La statue de Cybèle était conduite à travers la ville sur un char attelé de lions (notons, au sujet de ces derniers, que lorsque Atalante et son époux commirent l'imprudence de profaner une forêt consacrée à Cybèle, la déesse les métamorphosa en un couple de lions). Des galles venus d'Asie mineure, se livraient à des rites, certes propres au culte de la déesse, mais qui indisposaient les citoyens romains.

4.5. Les tauroboles.
Ainsi se livrait-on notamment, lors de ces festivités, à des tauroboles, soit des "sacrifices de taureaux", dans le sanctuaire dédié à Cybèle et situé sur l'actuel emplacement de la basilique Saint-Pierre de Rome, au Vatican. Ce baptême par le sang était reçu dans une fosse au-dessus de laquelle on égorgeait le taureau. Ces rites consacraient les archigalles, soit des citoyens romains qui, ne pouvant être émasculés selon le rite, bénéficiaient d'un sacrifice de substitution : c'est au taureau que l'on arrachait les testicules. Ainsi purifié par le sang du bovin, le néophyte était considéré comme naissant une seconde fois. La purification était jugée valable pour vingt ans. Mais les citoyens de Rome se virent finalement interdire toute participation à ces célébrations qui, de ce fait, perdirent beaucoup de leur attrait.

4.6. Persistance du culte.
Cantonné dans l'enceinte du sanctuaire, l'exercice du culte métroaque (=de la Mère) s'est malgré tout déployé chaque année depuis Claude (empereur de 41 à 54) dans les rues de Rome, cette période correspondant à un regain d'intérêt pour les rites phrygiens. Le culte de Cybèle se confondit avec celui d'Attis. Dès lors, dans les festivités célébrées en l'honneur de Cybèle figurèrent le renouveau de la nature au printemps, le cycle des saisons, la fécondité faisant suite à la mort. Le 15 mars, défilaient les porteurs de roseaux (ou cannophores) qui évoquent la végétation bordant le fleuve où Cybèle avait trouvé Attis. Le 22 mars, après un temps d'abstinence et de jeûne, les "dendrophores" portaient processionnellement un pin coupé représentant le jeune dieu Attis, mort pour s'être mutilé à cause de la déesse. L'Arbre Attis entrait alors dans la ville (Arbor intrat). Le 24 mars était le Jour du Sang (Dies Sanguis qui devint ultérieurement les Hilaria, ou fêtes de la Joie). Les dévots dansaient aux accents lugubres des flûtes courbes et des tambourins, se flagellaient et se blessaient pour offrir leur sang, avant de se châtrer avec un silex pour devenir des galles, soit de nouveaux Attis. Ils couraient alors à travers la ville en brandissant leurs organes génitaux sectionnés qu'ils échangeaient contre des vêtements féminins pour se vouer au culte de la déesse. Ainsi devenaient-ils des galles, des serviteurs de Cybèle. Les Grecs donnaient à ces derniers le nom de Corybantes, qui se confondirent ultérieurement avec les Curètes crétois et les Telchines de Rhodes, qui personnifiaient des phénomènes volcaniques. Le 25 mars, on explosait de joie : Attis est ressuscité (ce qui n'est pas sans rappeler l'histoire d'un Nazaréen célèbre, après sa crucifixion.) ! Les initiés étaient comme unis à la déesse, tels de nouveaux Attis. Le 27 mars, les fêtes se poursuivaient par un carnaval et un cortège accompagnant l'idole de la Mère Divine jusqu'aux bords de l'Anio (ou Almo) afin de l'y baigner. Ces ablutions clôturaient les festivités, la déesse étant alors ramenée dans son sanctuaire, où elle restait jusqu'à l'année suivante. Bien que les liturgies métroaques étaient, à priori, étrangères à la tradition romaine, voire contraire à l'esprit de cette tradition, Rome l'a néanmoins intégré au patrimoine de son ritualisme. Toutes ces pratiques et cérémonies étaient revêtues d'un caractère officiel. On sait, par exemple, que l'empereur Commode (empereur de 180 à 192) participait aux fêtes de Cybèle.

4.7. Cybèle et Héliogabale.
L'empereur Héliogabale (empereur de 218 à 222) sera, quant à lui, accusé d'avoir dérobé la Pierre de Pessinonte dans le temple de Cybèle pour la déposer dans le temple du dieu Elagabal, l'Elagabalium. Toutefois, rien n'est certain : ni Cybèle, ni Attis n'occupent la moindre place sur les revers des monnaies d'Héliogabale et on ne trouve la Grande Mère que sur quelques rares as et sesterces frappés à l'effigie de la mère d'Heliogabale, Soaemias. L'aérolithe de Cybèle ne paraît donc pas avoir réellement rejoint au Palatin un quelconque musée sacral. La Pierre Noire de Cybèle n'était pas facile à extraire et à déplacer. Elle se trouvait sertie dans l'idole cultuelle qui trônait dans son temple, non loin de la cabane de Romulus et de la Maison dit "de Livie". Il semble donc qu'Héliogabale n'ait pas songé à déporter cette idole, mais à en retirer l'aérolithe qui était comparable à son dieu de basalte -Elagabal- et qui passait également pour être une météorite. On suppose aussi qu'Héliogabale aurait peut-être été jusqu'à se faire ligaturer les testicules, équivalent non-sanglant de l'ablation rituelle, et ce afin de s'assimiler aux galles, mais là encore, rien n'est certain.

5. Le culte de Cybèle en Grèce et en Occident.

Comme nous l'avons dit, le culte de Cybèle fut également importé en Grèce où, selon la légende, ses mystères furent institués sur le mont Ida par le roi Midas, fils de Cybèle et de Gordias. En effet, selon la tradition hellénique, Cybèle fut l'épouse de Gordias, un roi de Phrygie, qui donna son nom au célèbre "noud gordien", un noud compliqué en bois de cormier qui fixait le joug de son char dans le temple de Zeus. Ce lien fut, dit-on, tranché par Alexandre. De Cybèle et de Gordias naquit le célèbre roi Midas, celui-là même qu'Apollon affligea de longues oreilles d'âne pour le punir de lui avoir préféré le satyre Marsyas alors que le dieu disputait avec lui un concours musical. Les mystères de Cybèle se répandirent en Grèce et dans la péninsule italique, mais également en Gaule, en Aquitaine, en Espagne et en Afrique du nord, dès l'an 134 de l'ère chrétienne.

6. Visualisation de la déesse.

6.1. Cybèle est représentée la tête ceinte d'une couronne en forme de murailles ou encore de petites tours qui symbolisent les villes qu'elle protège.

6.2. On la représente aussi assise sur un trône et flanquée de deux lions, ou encore sur un char tiré par deux lions, symboles de force et de souveraineté. Sur le Grand Cirque de Rome, elle est même figurée à dos de lion.

6.3. Cybèle tient également une clef qui peut ouvrir les portes de la Terre, derrière lesquelles sont dissimulées d'innombrables richesses.

6.4. Toujours à Rome, on a trouvé un relief d'autel représentant Cybèle arrivant dans la ville. Le bateau qui transporte la déesse est tiré par une Romaine nommée Claudia Quinta. D'après la légende, celle-ci fut accusée d'une trop grande légèreté et c'est par ce moyen pour le moins laborieux qu'elle dut prouver son innocence.

6.5. Une certaine tradition décrit Cybèle comme une déesse androgyne issue de la Terre. Un amandier serait sorti de ses organes mâles dont les fruits donnèrent naissance à Attis. En effet, Nana, la fille du fleuve Sangarios, en mangea et c'est ainsi qu'elle fut enceinte d'Attis. C'est là un exemple de fécondation buccale, courante dans nombre de traditions, notamment dans la tradition celtique.

6.6. Parmi les attributs de Cybèle, nous pouvons citer, en plus du lion (ce qui n'est pas sans rappeler la déesse hindoue Durga, toujours entourée de fauves), le tambourin, un fouet orné d'os, symbole de sa puissance, une branche de laurier ou encore, une corne d'abondance.

7. L'Artémis d'Ephèse.

L'Artémis d'Ephèse n'est sans rappeler la Cybèle phrygienne. De fait, à l'inverse de la chaste et classique Artémis, celle d'Ephèse se livre à l'amour sans retenue (elle présidait d'ailleurs un collège de prostituées sacrées nommées "hiérodules" et attachées à son temple d'Ephèse) et apparaît, en outre, comme une mère nourricière, de même que comme une déesse de la végétation. L'Artémis d'Ephèse est donc, à l'instar de Cybèle, une déesse de la fertilité. On crut ainsi, assez logiquement, que les protubérances qui apparaissent en nombre sur sa poitrine, étaient autant de mamelles nourricières. On s'aperçut par la suite qu'il s'agissait vraisemblablement de testicules de taureaux, symboles renvoyant aux sacrifices de taureaux déjà cités. La déesse d'Ephèse est aussi parfois coiffée d'un genre de tiare à trois étages qui, nous l'avons vu, est également un attribut de Cybèle. En définitive, il apparaît que l'Artémis d'Ephèse, d'origine anatolienne, est bien l'héritière du culte de la Cybèle phrygienne.



Eric Timmermans



Sources :
- Dictionnaire de la mythologie grecque et latine, Odile Gandon, Livre de Poche Jeunesse, 2000
- Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Joël Schmidt, Larousse, 1965
- Dictionnaire des symboles musulmans. Rites, mystique et civilisation. Malek Chebel, Albin Michel, 2001
- Encyclopédie de la mythologie, Sequoia, 1962
- Grand dictionnaire des symboles et des mythes, Nadia Julien, Marabout, 1998
- Héliogabale et le sacre du soleil, Robert Turcan, Albin Michel, 1985
- Koran. Traduction de M. Savary. Classiques Garnier, 1955
- Une histoire du Diable, Robert Muchembled, Seuil, 2000.



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