Pourquoi ne serait-on pas censé respecter les croyances d'autrui ?
par Thierry Venot - 04/06/2015
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Depuis l'attentat contre les journalistes de Charlie Hebdo, cette question qui jusqu' alors était souvent considérée comme inconvenante voire taboue, se trouve au centre des nombreux débats organisés par les différents médias. Après ce dramatique événement, le voile semble s'être enfin levé (sans jeu de mots !) autour de ce sujet sensible. Les langues se délient et des discussions parfois vives ont lieu au sein des familles, derrière les comptoirs du café du commerce ou à l'occasion de repas entre amis, tant et si bien que nous avons tous été plus ou moins directement, confrontés à cette interrogation : "Doit-on respecter les croyances d'autrui ?"
Entre raideur dogmatique, sacralité, obscurantisme et rejet de l'autre, je vous livre ma réponse personnelle.
Puisque dans cette interrogation, il est question de "respect" et de "croyance(s)", voyons les différents sens que peuvent prendre ces deux mots :
A) RESPECT :
Sens 1- Sentiment de considération, d'égard envers quelqu'un (ex : respecter ses parents, respecter ses enseignants, etc.) ou envers quelque chose (ex : respect de la nature ; respect de la parole donnée), manifesté par une attitude déférente envers celui-ci ou celle-ci.
Sens 2- Soucis de ne pas porter atteinte à une personne ou à une chose.
Sens 3- Soumission
B) CROYANCE :
Sens 1- Fait de croire à l'existence de quelqu'un ou de quelque chose, à la vérité d'une doctrine, d'une thèse, d'une hypothèse (ex : la croyance en Dieu, aux fantômes, au monstre du Loch Ness, à la numérologie, à l'homéopathie, etc.)
Sens 2- Ce à quoi on croit dans le sens de penser; opinion professée en matière religieuse, idéologique ou dans un autre domaine. Dans ce sens, il s'agit de l'objet de la croyance, ce à quoi elle se réfère.
Cas particulier :
Croyances religieuses
: Croyances professées pouvant prendre des formes multiples. Elles sont censées relier les hommes entre eux par de rites. Le plus souvent, elles se réfèrent à une entité transcendante. Les
religions
ne se limitent pas à la croyance en un dieu transcendant mais elles s'accompagnent de nombreuses autres croyances associées tant spirituelles, historiques, que mythologiques. Cette précision essentielle m'amène à établir la différence fondamentale entre le déisme et le théisme.
Déisme et théisme :
Le déisme, est une croyance qui affirme l'existence d'un dieu qui a une influence dans la création de l'Univers sans pour autant s'appuyer sur des textes sacrés ou dépendre d'une religion révélée. Pour la pensée déiste, certaines caractéristiques de Dieu peuvent être comprises par les facultés intellectuelles de l'Homme ou, par exemple, trouver leur expression dans la nature ("Dieu, donc la nature" disait Spinoza). Il s'agit par conséquent d'une croyance individuelle en Dieu qui se passe de religiosité. Les déistes rejettent les événements surnaturels (prophéties, miracles) voire certains rites (prières, processions, iconographie) qu'ils assimilent à de la superstition. Ils pensent que le Dieu auquel ils croient n'a aucune influence dans les affaires humaines, ni dans les lois naturelles qui régissent l'Univers. En cela le déisme s'oppose radicalement au théisme (voir ci-dessous). Voltaire avait une croyance confuse dans un dieu. Il était déiste tout en étant farouchement anti religieux. Il assimilait la religiosité à la superstition qu'il nommait "l'infâme". Il résista avec humour aux injonctions des curés qui le harcelèrent jusque sur son lit de mort pour lui faire reconnaître que Jésus était le fils de Dieu.
Le théisme est un terme qui désigne toute croyance qui affirme l'existence d'un Dieu qui influence l'univers, tant dans sa création que dans son fonctionnement. Dans la foi théiste, la relation de l'Homme avec Dieu passe par des intermédiaires (les religions) et Dieu se manifeste par des révélations (prophètes, miracles, Messie, anges, .). Les révélations sont à l'origine des religions et des textes considérés comme sacrés (Coran, Bible, Torah, .).
Le contexte sémantique étant éclairci, voyons ce que peut signifier pour un athée "le respect de la croyance d'autrui" ? En quoi et pourquoi suis-je, ou non, respectueux des croyances d'autrui ? Tout d'abord je dois de préciser que bien que je ne sois pas croyant, mon athéisme ne rencontre pas d'incompatibilité philosophique insurmontable avec le déisme qui, au-delà d'une croyance fondamentale basée sur une simple hypothèse, reste dans un système de pensée rationnel. En revanche, je n'accorde pas le moindre crédit au théisme qui s'exprime à travers des religions que je considère édifiées sur un mélange de contre-vérités historiques, de superstitions et d'idolâtrie.
En fonction du sens attribué aux mots, voici ma réponse :
Je respecte la croyance d'autrui (sens 2 pour "respect" et sens 1 pour "croyance"). C'est à dire que je ne souhaite pas porter atteinte à des croyants dans la limite où, eux aussi, ne me portent pas atteinte et cela d'autant plus si ceux-ci n'ont pas les éléments culturels, historiques et philosophiques leur permettant de prendre un minimum de distance avec la croyance dans laquelle ils "baignent" depuis l'enfance. J'ai pleinement conscience que L'Homme est un animal religieux qui, pour des raisons multiples, ressent le besoin de croire. Dans notre société démocratique, mon respect pour la croyance d'autrui, donc des croyants, se définit très concrètement par l'importance que j'accorde à la reconnaissance légale des libertés fondamentales parmi celles-ci, la liberté religieuse incluse dans la liberté de pensée. Ce respect est motivé par l'esprit de tolérance qui est une vertu qui porte à ne pas porter atteinte à quelque chose qui nous est extérieur ou qui s'oppose, à notre système de pensée. Toutefois, il est utile de préciser que si la tolérance porte à se montrer vigilant envers l'intolérance, elle tend également à situer les limites de l'intolérable ! En ce sens, la tolérance n'est ni l'indifférence, ni la soumission, ni la résignation, ni la complicité, ni l'acceptation silencieuse . des dictatures théocratiques, de l'extrémisme, des violences inter-religieuses, du conditionnement précoce, du sort des femmes, de la charia, etc.
Je n'ai pas le moindre respect pour la croyance d'autrui (sens 1et 3 pour "respect" et sens 2 pour "croyance")
C'est-à-dire que je n'ai ni la moindre considération ni le moindre respect pour la plupart des formes de croyances (religieuses ou non). Je n'attribue aucun statut particulier aux croyances religieuses qui sont multiples et ne répondent à aucun critère d'universalité. Je rejette toute forme d'endoctrinement qui s'appuie sur des mythologies, des affirmations sans preuves et des superstitions que je considère ridicules, incohérentes, voire intellectuellement indignes. Je rejette le prosélytisme précoce qui consiste à prendre le pouvoir sur des esprits immatures (cette façon de faire est d'autant plus efficace qu'elle est souvent pratiquée par des proches ayant autorité). Toutefois, le fait que l'éducation et la vie en société s'appuient sur certaines valeurs philosophiques issues de textes d'origine religieuse ne me choque absolument pas dans la mesure où ceux-ci sont expurgés de toute forme de sacralité, de soumission ou de vénération. Même si je suis incroyant, mon inconscient est, bien évidemment imprégné de ces valeurs culturelles partagées et fondatrices mais toutefois il est utile de préciser que les notions de "bien" et de "mal" ne sont nullement l'apanage des religions ! En fonction de la nature de ces croyances, mon rejet va de la simple indifférence jusqu'au mépris le plus total. Le vieux principe selon lequel il faudrait "respecter les croyances d'autrui" n'est qu'une incitation au silence de ceux qui ne les partagent pas, les rejettent ou s'y opposent. Ce silence est un silence complice qui conduit à l'hypocrisie, à la propagation de l'irrationnel, à la censure et bien souvent à la criminalisation du blasphème. L'étouffement de l'esprit critique et l'autocensure motivés par ce soi-disant respect me semblent totalement infondés et indéfendables. Je ne vois pas pour quelles raisons, au regard de leur contenu, les croyances religieuses bénéficieraient d'un statut particulier.
Deux remarques :
) La laïcité
La laïcité est le principe de séparation de la société civile et de la société religieuse. La laïcité est une mesure de paix sociale qui tire les leçons d'une histoire "inter-religieuse" conflictuelle et violente ainsi que de la toute-puissance du clergé dans la vie civile. Elle permet aux croyants de différentes confessions de se "respecter" (sens 2) et aux non croyants de ne pas être pris dans des enjeux qui ne les concernent pas. En ce sens, c'est un code de bonne conduite social.
) La sincérité
Il n'est pas question de mettre en doute le fait que chez certaines personnes, les croyances religieuse puissent être profondes et sincères. Mais que nous disent cette profondeur et cette sincérité sur la pertinence des croyances ? La sincérité crée de l'empathie chez autrui, mais elle n'est, en soi, ni un bien ni un mal et encore moins un critère de vérité. Elle n'apporte aucun élément de fond à propos de la seule chose qui importe : "l'objet auquel elle se réfère". La sincérité d'une croyance devrait-elle, en elle-même, inspirer le respect ? La validité, la vraisemblance et la cohérence d'une thèse ne se décrètent ni par référendum (le nombre d'adeptes ou de fidèles) ni par l'importance du degré d'émotion (la sincérité) !
En résumé :
Je respecte les croyants et leur croyance (le fait de croire) parce que j'ai conscience des données anthropologiques, psychologiques et culturelles ainsi que des motivations individuelles qui conduisent les hommes à avoir la foi. Dans notre société démocratique, ce choix est fort heureusement garanti par la liberté religieuse. En revanche, je n'ai pas le moindre respect pour l'objet des croyances théistes que j'assimile à des dogmes teintés d'idolâtrie et de superstition. Toutefois, je ne rejette pas les valeurs humanistes qui se dégagent de certains textes "dits" sacrés. N'accordant aucun statut particulier ni aucune valeur spécifique aux croyances religieuses comme à toute autre forme d'obscurantisme, je tiens à avoir, comme tout citoyen revendiquant sa liberté d'expression, la possibilité d'exercer mon esprit critique en ce domaine comme à propos de tout autre sujet tant philosophique, idéologique, culturel que sociétal.