|
Cernunnos, le dieu aux bois de cerfpar Eric Timmermans - 23/08/2010 Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs. 1. Cernunnos, un dieu cornu non diabolique.Cernunnos (ou Cernunno, Kernunnos) n’est en aucun cas un diable ni un démon. C’est un dieu celtique, et peut-être même préceltique, dont le nom signifie le "Cornu". Et c’est justement son aspect de dieu cornu qui, à la suite de Pan, l’a fait assimiler au Diable par le christianisme. On voit, certes, en Cernunnos, un "Seigneur des Enfers", mais cette qualité infernale, comme dans le cas du dieu grec Hadès, par exemple, doit être prise dans le sens de "monde des morts" et non comme le synonyme d’un royaume des peines perpétuelles tel que le conçoit le christianisme. Cernunnos est aussi un Maître des animaux, un Roi des forêts, un dieu de la Chasse qui incarne le renouveau de la Nature : les moissons ne proviennent-elles pas du domaine souterrain où règne ce dieu redoutable ? C’est également un dieu de la Magie. En tous les cas, Cernunnos est une divinité importante qui est parfois identifiée au Dis Pater, c’est-à-dire, le Souverain de l’univers souterrain qui règne sur le monde des Morts (que l’on enterre) et qui patronne la fertilité (les grains germent dans le sol). Dans la mythologie galloise, la massue de la Vie et de la Mort (on se réfèrera également, à ce propos, au Sucellos gaulois et au Dagda irlandais) se retrouve dans les mains d’un dieu gigantesque, flanqué d’un cerf, qui règne sur tous les animaux et, sans doute, sur tous les êtres vivants. Il s’agit vraisemblablement là d’un proche parent de Cernunnos.2. Visualisation.2.1. Cernunnos est souvent représenté accompagné d’un cerf ou/et porteur de bois de cerf sur le front ou/et d’oreilles animales aux tempes. Il est aussi généralement représenté âgé, barbu et moustachu, assis en tailleur et arborant un torque autour du cou.2.2. Valcamonica : Cernunnos apparaît pour la première fois sur une peinture rupestre de Valcamonica attribuée à l’âge du fer. Il est représenté debout, vêtu d’une longue tunique et couronné de bois de cerf. Dans une main il tient un torque et dans l’autre un serpent. 2.3. Gundestrup : Sur le célèbre chaudron de Gundestrup, Cernunnos trône sur une des plaques intérieures dudit chaudron, assis en tailleur, la tête surmontée de deux immenses bois de cerf : il tient dans la main droite un torque, dans la main gauche un serpent "à tête de bélier" (comme à Valcamonica). Un cerf se tient à ses côtés. Animaux sauvages et poissons l’entourent. 2.4. Autun : A Autun (Sommerécourt), deux serpents s’approchent de la coupe que Cernunnos tient dans ses mains. 2.5. Reims : A Reims, Cernunnos est représenté la tête ornée de bois de cerf, trônant en majesté, les pieds repliés sous lui, entre Apollon et Mercure. Le dieu libère d’un sac un "flux" qui semble fait de grains ou de pièces de monnaie. Un cerf et un taureau à tête de griffon s’y nourrissent ou s’y désaltèrent. Un rat placé au-dessus du groupe, semble attendre, immobile. 2.6. Pilier des Nautes (Paris) : A Paris, sur le pilier des Nautes des Parisii, Cernunnos est figuré sur le "dé" Castor-Pollux-Smertrios. On voit le buste de Cernunnos, les oreilles pointues, chauve et barbu, les cornes ornées de deux torques (ou de bracelets). Cette représentation est identifiée par l’inscription [C] ERNUNNOS, règne de Tibère (14-37 de l’ère chrétienne). 2.7. Montagnac : A Montagnac (Hérault), une inscription gallo-romaine datant du 3ème siècle avant l’ère chrétienne est dédiée au dieu d’Alisontea nommé Karnonos, peut-être un autre nom de Cernunnos. 3. Un aspect du Chasseur infernal ?Hélas, du fait de la perte de la tradition orale, les mythes qui se rattachent à Cernunnos ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Peut-être existe-t-il toutefois un rapport entre Cernunnos et le Chasseur infernal Hellequin, meneur de la célèbre "mesnie" du même nom ? Cela est assez incertain mais mérite d’être souligné en suivant les réflexions d’Henri Rey-Flaud et de Patrice Lajoye."Il n’est pas exclu qu’au cours de sa lente gestation, durant la longue nuit qu’a connu l’Occident médiéval, depuis la fin de la période romaine jusqu’à la résurrection de l’an Mil, le rituel se soit enrichi d’apports originellement étrangers au mythe primitif. Ainsi a pu être récupérée par le charivari (mais aucune certitude n’est ici possible) la figure du dieu celtique Cernunnos, le dieu aux ramures de cerf, dieu de la reproduction, dont les cornes caduques repoussaient à chaque printemps nouveau, donnant lieu à des cérémonies sacrées qui rappellent étrangement les rites charivariques : "Chaque année (à cette époque), les Gaulois allaient chasser des cerfs et des biches dans la forêt. Ils les sacrifiaient, les dépouillaient, s’affublaient de leurs peaux encore fraîches et se livraient ainsi déguisés à des danses effrénées". Le culte du dieu-cerf celtique offrait donc une figure prédestinée, tout à fait propre à supporter les instincts des "sociétés de jeunes", dans leurs raids contre les biens et surtout contre les femmes de ceux qu’ils méprisaient." (Le Charivari, Rey-Flaud, p. 79-80) Mais il est également possible que le rapport entre Cernunnos et Hellequin ne soit finalement qu’étymologique, comme nous l’explique Patrice Lajoye ("Hellequin, le dieu au bois de cerf et le Dagda", Patrice Lajoye, Bulletin de la Société de Mythologie Française n°202, 1er trimestre 2001, p.2 à 13). "Quel rapport peut-il donc bien y avoir entre (C) ernunnos et la mesnie Hellequin ? Peut-être tout simplement le mot "hellequin" lui-même. On a voulu faire de Hellequin un dérivé du nom d’un personnage historique mais le plus souvent ce mot s’est vu affubler d’une étymologie germanique, ce qui n’est pas logique puisque "hellequin", sous ses différentes formes, ne se rencontre qu’en pays de langue d’oïl ou dans les pays actuellement de langue germanique mais qui furent brittoniques ou gaulois avant les Grandes Invasions (Flandres et Angleterre). Jamais "hellequin" n’a été rencontré dans des domaines purement germaniques. Un étymon britto-gaulois soumis à des influences germaniques durant le haut Moyen Âge est par conséquent plus probable." Patrice Lajoye souligne, en outre, que "Or s’il y a bien un dieu gaulois dont le nom est remarquablement proche de cette forme, c’est le célèbre (C ) ernunnos du pilier des Nautes de Paris, le dieu au bois de cerf. La première lettre de ce nom n’a jamais été attestée, elle a été rétablie par comparaison avec le mot breton signifiant "corne". En tout cas, deux hypothèses se posent. Ou bien le "C" a bel et bien existé mais a fini par chuter par l’influence du germanique "Hern" ("corne"), ou bien celui-ci n’a jamais existé et alors il faut lire Hernunnos." (…) "Par contre Herne le chasseur, esprit qui hante la forêt de Windsor, dont parle William Shakespeare dans ses "Joyeuses Commères", synthétise bien les deux personnages que sont Hellequin et (C ) ernunnos. C’est un chasseur fantôme, donc c’est aussi un anti-pourvoyeur (il fait flétrir les plantes et tarir le lait des vaches), ce qui est une diabolisation de l’abondance. Enfin il possède comme attribut majeur des bois de cerf." Eric Timmermans Sources : - Bulletin de la Société de Mythologie Française n°202, 1er trimestre 2001 - Dictionnaire historique des Celtes, Pierre Norma, Maxi-Poche Histoire, 2003 - Essai de dictionnaire des dieux, héros, mythes celtes, Claude Sterckx, Société Belge d’Etudes Celtiques (SBEC), 1998 - Grand dictionnaire des symboles et des mythes, Nadia Julien, Marabout, 1997 - L’Ange déchu, M. Centini, Editions de Vecchi, 2004 - L’ascension d’une dynastie gauloise – La gloire des Sedatii, G.-C. Picard, Perrin, 1990 - Les Celtes : fureur et immortalité, G. Nenzioni et F. Giromini, Papermint, 1979 - Les Celtes – Histoire et Dictionnaire, Venceslas Kruta, Robert Laffont, 2000 - Les Celtes – Les dieux oubliés, Marcel Brasseur, Editions Terre de Brume, 1996 - Le Charivari – Les rituels fondamentaux de la sexualité, Henri Rey-Flaud, Payot, 1985 - L’épopée celtique d’Irlande, Jean Markale, Petite Bibliothèque, Payot, 1973 - Nouveau dictionnaire de mythologie celtique, Jean Markale, Pygmalion, 1999. Voir la page d'accueil sur le Diable ![]() ![]() |