En France, on constate depuis une vingtaine d'années que l'enseignement du fait religieux à l'Ecole publique occupe régulièrement le devant de la scène médiatique.
Réel besoin, effet de mode ou mouvement savamment orchestré ?
Histoire récente de l'enseignement du fait religieux
Novembre 1986 : Le "Monde de l'Education" publie un dossier destiné au grand public.
Septembre 1989 : Le premier rapport officiel, celui du recteur Philippe Joutard, remis au Ministre de l'Education Nationale évoque cette question.
Novembre 1991 : Un colloque sur le thème "Enseigner l'histoire des religions dans une démarche laïque" est organisé par le C.R.D.P. et la Ligue de l'Enseignement à Besançon.
1991 : La revue "Panoramiques" (n°2) expose tous les points de vue sur la question dans son dossier "Les religions au lycée : le loup dans la bergerie ?".
Questions abordées : Cours de religion ou cours d'histoire religieuse ? A qui, par qui, comment, sous quelles formes, à quelles heures, quels jours ? Selon quelle optique ?
1995 : La question est abordée dans un chapitre du livre de Guy Coq "Laïcité et République. Le lien nécessaire" (Editions du Félin).
1996 : Colloque à l'Ecole du Louvre "Forme et sens. La formation à la dimension religieuse du patrimoine culturel". Les actes ont été publiés par la Documentation Française.
1996 : Le livre de François Boespflug, Françoise Dunand et Jean-Paul Willaime "Pour une mémoire des religions" (Editions La Découverte) plaide pour l'enseignement du fait religieux.
Novembre 1998 : Le Conseil de l'Europe, sur proposition de la Commission de la Culture et de l'Education, a adopté une recommandation intitulée "Religion et Démocratie". On y lit notamment : "L'assemblée est d'avis que les gouvernements devraient par conséquent faire davantage pour garantir la liberté de conscience et d'expression religieuse, encourager l'éducation en matière religieuse, promouvoir le dialogue avec et entre les religions et favoriser l'expression culturelle et sociale des religions."
Novembre 2001 : Colloque "Dieu à l'Ecole", organisé par La Vie et le CEVIPOF.
Décembre 2001 : Colloque "Peut-on encore ignorer les religions ?" organisé par l'Association professionnelle des journalistes de l'information religieuse, en partenariat avec l'Ecole pratique des hautes études.
Février 2002 : Régis Debray remet au ministre de l'Education nationale, Jack Lang, son rapport sur "l'enseignement du fait religieux dans l'Ecole laïque".
Voir une synthèse et les principaux extraits du rapport de Régis Debray.
Ces propositions sont largement reprises dans les décisions, datées du 14 mars 2002, du ministre de l'Education nationale sur l'enseignement du fait religieux dans l'Ecole laïque.
http://www.education.gouv.fr/discours/2002/religion.htm
Il s'ensuit une large controverse sur l'interprétation et la mise en application des propositions de Régis Debray.
Novembre 2002 : Séminaire national "L'enseignement du fait religieux". Le ministre de l'Education nationale, Xavier Darcos, indique que, outre les professeurs d'histoire et de géographie, l'enseignement du fait religieux doit "désormais concerner davantage les littéraires, les philosophes, les professeurs d'enseignement artistique ou de langues vivantes". Précisant que la démarche était "totalement laïque", il réaffirme ces deux principes :
"- le refus constant de créer un enseignement spécifique concernant les religions,
- l'inscription naturelle dans les enseignements existants."
Octobre 2003 : La revue "Science & Vie" (n°1033) publie un dossier de 20 pages "Religion à l'école : on y enseigne de fausses vérités" (Cf. la revue de presse).
Février 2005 : L'Assemblée nationale adopte, à la sauvette, mais avec l'accord du gouvernement, un amendement du député apparenté communiste Jean-Pierre Brard pour inscrire l'enseignement du fait religieux (Cf. la revue de presse), au titre des orientations générales de l'école. Tous les grands partis (UMP, UDF, PS, PCF) votent pour. Sur les trente députés présents, un seul vote contre.
Arguments pour et contre
Certains de ces arguments, suivis de (*), sont cités dans le rapport Debray.
Arguments pour :
Si le fait religieux est relégué hors de l'école (lieu de "la transmission rationnelle et publiquement contrôlée des connaissances"), on laisse le champ libre aux marchands de crédulités, à la presse et aux livres amplificateurs du phénomène ésotérique et irrationnel. (*) (Remarque : les religions traditionnelles vivent aussi d'irrationnel)
L'absence d'enseignement du fait religieux laisse le champ libre aux visions intégristes et fondamentalistes qui opèrent sur des jeunes n'ayant "reçu aucun éclairage qualifié" sur les textes religieux. (*)
Les enseignants savent faire la différence entre enseigner une réalité ou une doctrine, d'une part et "promouvoir une norme ou un idéal" d'autre part. (*)
Arguments contre :
Pour les religieux
La crainte d'un relativisme qui met côte à côte, comme dans un supermarché, et sur le même pied, toutes les religions, ne permettant plus de distinguer la "vraie" religion (la sienne) des fausses (celles des autres). (*)
L'examen objectif et froid des faits ne permet plus de comprendre le sens d'une religion que seuls peuvent apporter l'interprétation et le vécu de l'intérieur.
Pour les défenseurs de la laïcité
Le besoin d'enseignement du fait religieux est présenté comme une évidence. Mais on oublie de dire qu'en Alsace-Moselle où, du fait du Concordat toujours en vigueur, les cours de religion sont dispensés dans les écoles publiques, il y a de moins en moins de participants (20% dans le secondaire et 5% à l'Université).
L'enseignement du fait religieux, c'est "le cheval de Troie d'un cléricalisme masqué" (*), c'est faire de l'Ecole une "béquille" pour les religieux.
Le but caché serait électoraliste ou tactique (acheter la paix sociale dans les banlieues), en offrant une tribune à l'islam, la religion la moins bien structurée en France.
C'est un faux problème puisque depuis longtemps, dans le respect de la laïcité, les programmes permettent aux professeurs, selon leur discipline, de transmettre la connaissance des religions.
Malgré les assurances d'un enseignement "critique" et "totalement laïque", la collaboration de l'Education nationale (exemple du rectorat d'Auvergne) avec un Institut théologique est contraire au principe de laïcité.
Il s'agit là d'une vision néocommunautariste de la société avec l'idée fausse que chacun adopte la religion de sa communauté.
Une présentation officialisée des religions, même d'un point de vue scientifique et rationnel risque de cristalliser les tensions déjà présentes et "d'exacerber les communautarismes" (*) dans un lieu, l'école laïque, par définition neutre et universaliste.
Il est malsain et pervers d'enseigner des fictions qui, en niant la responsabilité pleine et entière de leurs actes, empêchent les hommes de devenir adultes, alors que c'est le but de l'école.
Pourquoi prévoir, comme cela est proposé par le rapport Debray, des "co-interventions" (avec des représentants des religions) dans la formation des enseignants en UIFM ? On ne le fait pas dans les autres matières. Pourquoi spécifiquement sur les questions religieuses ?
Les élèves agnostiques ou athées vont se sentir laissés pour compte si rien n'est prévu pour présenter, en parallèle aux religions, les philosophies qui sous-tendent leurs convictions.
Pourquoi limiter les manifestations culturelles et spirituelles à la seule religion ?
(*) Argument indiqué dans le rapport de Régis Debray.
Un faux débat
Le fait religieux ne peut, bien évidemment, être abordé à l'école laïque, que par une approche laïque. Mais celui-ci n'est qu'une des composantes nécessaires pour comprendre et éclairer les évolutions du monde d'aujourd'hui et les grandes questions d'actualité.
Plutôt que d'imputer tous les problèmes de la société à la seule absence de culture religieuse, il serait préférable de renforcer l'enseignement de l'histoire sous ses différentes formes : politique, sociale, contexte religieux et philosophique... Il en va de même pour les disciplines de culture générale qui permettent de comprendre notre monde et qui constituent la panoplie du citoyen à part entière : géographie, économie, sciences sociales, instruction civique et institutions politiques, sans oublier la morale qui met du liant dans les relations humaines.
N'aborder que l'enseignement du fait religieux, c'est voir le problème par le petit bout de la lorgnette ; c'est se plier à un effet de mode ou, pire, à une tentative du lobby religieux de réintroduire Dieu à l'école, faute de fidèles dans les églises.
L'Ecole laïque qui, par essence, devrait être un lieu neutre et dispensant une culture universelle, tend malheureusement depuis quelques années à reproduire en son sein le multiculturalisme de la société : enseignement du fait religieux, port de signes religieux, prise en compte des interdits alimentaires, autorisation d'absence pour motifs confessionnels...