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Scientifiques et bouddhistes se rencontrent
lors des conférences "Esprit et Vie" de 1987 à 2000

Nature et contenu des discussions


Résumé de Mémoire de DEA, Benoît Sorel, avril 2006
(mémoire réalisé à l'université de Strasbourg de février à septembre 2004)




Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.



De 1987 à 2000, des conférences bisannuelles nommées Esprit et Vie regroupaient autour d'une même table des chercheurs en neurosciences, astrophysique, physique quantique, et des psychologues, sociologues, philosophes et historiens, avec le chef spirituel du bouddhisme, le Dalaï-lama ainsi que d'autres personnalités bouddhistes. A la suite d'une curiosité d'ordre plutôt personnel, de quelques chercheurs pour le bouddhisme et du Dalai-lama pour la science, succéda un entrain plus officiel qui fit se perpétuer ces conférences. En 2004, des lieux incontournables dans l'avancement de la science, tels le Massachusetts Institute of Technology, l'Académie Nationale des Sciences des USA et la renommée université d'Oxford ont accueillis ces réflexions entre science et religion.

Quelles sont les attentes que fondent les participants scientifiques et bouddhistes lors de ces rencontres ? Le Dalaï-lama y apprend que les connaissances scientifiques sont de portée universelle, et il souhaite que si le bouddhisme peut contribuer à l'avancement de la science, des actions soient engagées en ce sens. Il souhaite aussi initier une application des préceptes bouddhistes au 21ème siècle qui ne soit pas contradictoire ni indépendante des connaissances scientifiques. Les scientifiques quant à eux ont l'espoir d'acquérir de nouvelles connaissances des mécanismes cognitifs en cherchant des corrélations physiologiques des processus mentaux de méditation, et ils souhaitent également confronter les particularités conceptuelles de la physique quantique avec la philosophie bouddhiste de l'interdépendance et de la causalité.

Ce contact avec une religion centrée sur l'Homme et profondément philosophique est aussi pour les participants engagés l'occasion de renforcer la "science compassionnée", c'est à dire une science où l'Homme possède une place centrale dans les connaissances tout comme dans la méthodologie.

Pourtant, ces intentions vont à l'encontre de la nécessité pour la démarche scientifique d'être exempte de tout phénomène de croyance. Les échanges entre les scientifiques et les bouddhistes lors de ces conférences sont-ils alors de véritables dialogues ? Quel est le bien-fondé intellectuel des initiatives scientifiques qui y sont élaborées ? Parmi les diverses raisons envisageables qui font se perdurer ces conférences, quel est le poids de ces deux paramètres ?

Nous avons dans notre étude cherché une perspective qui évite tout favoritisme pour la science ou pour le bouddhisme. Cette rencontre science-bouddhisme se présente donc comme suit. A Dharamsala ou bien dans un institut de recherche aux Etats-Unis ou en Europe, les conférences Esprit et Vie ont essentiellement la forme d'enseignements interactifs entre le Dalaï-lama et des scientifiques. Les thèmes sont vastes et assez nombreux : la méthode en science et dans le bouddhisme, la nature de la conscience et des émotions, l'évolution, l'univers à l'échelle de l'atome et des galaxies, la nature de la réalité. Le bouddhisme de tradition mahayana est le plus représenté, ainsi que les neurosciences, la physique quantique et l'astronomie.

Les discussions relatives aux neurosciences constituent l'essentiel des rencontres. Au fil des conférences, elles vont en s'amplifiant. Après un stade de présentation et mise en confrontation des connaissances, les interlocuteurs font émerger de nouvelles pistes philosophiques et de nouvelles idées concrètes. Ils identifient des expérimentations possibles où chercheurs et moines collaborent dans le but de mieux comprendre les relations entre le fonctionnement du cerveau et l'expérience vécue. Plusieurs programmes de recherche sont effectivement lancés, achevés, et le retour sur expérience est commenté lors des conférences suivantes.

L'exploration de l'univers et du monde subatomique font l'objet de deux conférences. La mise en contact et la confrontation des connaissances scientifiques et bouddhistes permet de révéler des similitudes enthousiasmantes, notamment des correspondances entre certaines façons d'appréhender les paradoxes quantiques et astronomiques avec la philosophie centriste bouddhiste. Certains chercheurs se sentent encouragés dans leur perspective de recherche et dans leur choix d'expérimentations. Des collaborations en laboratoire entre physiciens et moines ne sont pas envisagées, mais une correspondance régulière est mise en place.

Il existe enfin des séances durant les conférences qui se résument à une présentation respective des connaissances. Scientifiques et bouddhistes n'y échangent quasiment aucun propos.

Le temps fort des discussions est l'établissement de rapports entre les connaissances d'ordre scientifique et les connaissances bouddhistes. Nous expliquons ainsi ce mécanisme :

Scientifiques et bouddhistes partagent de nombreuses préoccupations. Treize considérations sont en même temps sujets d'étude neuroscientifique et bouddhiste, le fonctionnement de la conscience en premier lieu. Il existe trente-et-une autres considérations communes, équitablement répartie entre trois autres aspects des démarches scientifique et bouddhiste : la méthodologie, la philosophie, l'environnement culturel. Dix-sept considérations sont communes au bouddhisme et à la physique quantique et astronomique, réparties aussi entre les quatre aspects. Il est donc justifié que scientifiques et bouddhistes, pour les domaines respectifs concernés, comparent les réponses qu'ils ont élaborées dans le cadre de ces considérations communes (pour exemples : le processus émotionnel et la façon d'appréhender les phénomènes à l'échelle subatomique).

L'absence de considérations communes conduit à des discussions stériles. Les considérations trop "techniques", exprimées par des équations mathématiques, des mécanismes biochimiques, ou avec le vocabulaire de méditation, sont intraduisibles entre science et bouddhisme. C'est uniquement sous leur forme vulgarisée que scientifiques et bouddhistes se découvrent des considérations communes.

Cette forme seule ne suffit pas : les protagonistes ne parviennent pas à envisager comment les préoccupations relatives aux théories phylogéniques ou aux chakras, pour exemples, bien que vulgarisées, pourraient être communes à la science et au bouddhisme. Les discussions stériles sont donc aussi celles relatives à des considérations qui ne permettent pas au moins un contact entre les deux partis au niveau méthodologique, philosophique, culturel, ou en tant que sujet d'étude.

La vulgarisation et la prise en compte global sont donc deux critères des discussions pertinentes entre scientifiques et bouddhistes.

Les discussions relatives aux neurosciences et aux sciences physiques possèdent ces deux critères, mais elles évoluent pourtant différemment. Pour expliquer cette divergence, nous avons créé une perspective particulière centrée sur la "structure de pensée". Pour une considération donnée, nous comparons les structures de pensée scientifiques et bouddhistes, c'est à dire la trame des concepts, théories ou paradigmes produits par la science ou le bouddhisme pour répondre à la considération. Nous avons ainsi relevé que, pour les considérations communes, dix-huit structures de pensée sont similaires entre bouddhisme et neurosciences et huit entre bouddhisme et sciences physiques. Nous avons modélisé les discussions comme suit :

Dans un premier temps, les interlocuteurs juxtaposent et confrontent leurs connaissances respectives et identifient ainsi les considérations communes.

Dans un second temps, ils comparent les réponses respectives que science et bouddhisme apportent à ces considérations, et notent les similitudes et les différences.

Dans un troisième temps, les interlocuteurs testent des combinaisons possibles entre science et bouddhisme, en empruntant à l'autre parti une méthode, une philosophie ou un sujet d'étude qui diffère.

La divergence se produit à la suite de ce temps : dans le cas où un sujet d'étude bouddhiste semble abordable par une méthodologie scientifique, ou l'inverse, ou si une méthodologie combinée paraît envisageable, les philosophes, sociologues et historiens interviennent pour savoir quels contextes philosophiques et culturels nécessiteraient ces nouveautés.

Le but des programmes de recherche est de tester ces nouvelles perspectives. Cela implique d'introduire la pratique bouddhiste dans le laboratoire, mais sous les instruments de mesure bien sur. Ceci est possible grâce à de nouvelles technologies qui permettent d'étudier le cerveau in vivo, donc de corréler l'activité physiologique du cerveau (de moines en méditation), avec les états de conscience (que la méthodologie bouddhiste permet de contrôler). C'est donc la réunion particulière de certains paramètres de discussions avec un contexte technologique précis qui autorise les scientifiques à élaborent des expérimentations en collaboration avec les bouddhistes.

Toutefois, moitié moins de considérations communes, en particulier le fait que la matière n'est pas un sujet d'étude bouddhiste, et des similitudes en majorité de nature philosophique, expliquent que des perspectives de recherche ne soient pas produites en physique quantique et en astrophysique.

Nous expliquons les différences d'aboutissements des discussions (expérimentations, enthousiasme, stérilité) par la conjugaison de quatre critères :
  • la présentation des connaissances sous une forme vulgarisée
  • l'approche globale de la science et du bouddhisme (par quatre aspects : sujet d'étude, méthodologie, philosophie, environnement culturel),
  • les considérations que scientifiques et bouddhistes peuvent partager,
  • les similitudes et différences des structures de pensée des réponses scientifiques et bouddhistes.

Ces critères nécessitent que les interlocuteurs s'expriment librement, acceptent le regard de l'autre, envisagent de nouvelles idées sur la base des différences et des similitudes sans remettre en cause les spécificités de leur démarche respective, et à un rythme non forcé. Les rencontres Esprit et Vie sont donc le lieu de véritables dialogues.

Qu'en est-il de la qualité des programmes de recherche qui sont élaborés durant ces dialogues, et de leurs résultats ? Il faut laisser la communauté scientifique y réagir comme pour tout autre problématique de recherche. Mais notre regard sur cette rencontre est en mesure de fournir des éléments prévisionnels si l'on s'interroge sur le stade actuel d'évolution des disciplines scientifiques concernées. Les neurosciences ont aujourd'hui à leur disposition des théories récentes sur la dynamique du cerveau ainsi que des techniques non intrusives d'investigation du cerveau qui permettent de suivre en temps réel son activité et avec une grande précision. Identifier les aires du cerveau qui sont stimulées selon des circonstances cognitives contrôlées est le sujet de nombreux programmes de recherche. Scanner le cerveau de moines en méditation est en soi une nouveauté, à laquelle s'ajoute le fait convoité que les méthodes bouddhistes de méditation permettent en plus de contrôler les pensées et les états de conscience. Pour cela il n'est pas nécessaire d'altérer ce qui fait la spécificité des démarches scientifiques et bouddhistes, et ainsi l'expérimentation subjective est couplée avec l'expérience subjective.

L'étude scientifique de la façon dont ces pratiques mentales orientales influencent la physiologie du cerveau est un nouveau champ d'investigation, et cela constitue justement un point d'altercation. Dans ma société occidentale, les effets des habitudes mentales et les pratiques pour influer celles-ci ne font pas l'objet de beaucoup d'attention. L'entraînement mental est assimilé aux seuls domaines des religions, et logiquement toute étude scientifique de ces pratiques est perçue comme une tentative de validation scientifique des croyances religieuses.

Astrophysique et physique quantique sont actuellement dans une phase où les considérations philosophiques sont importantes. Dans la quête d'une théorie unificatrice, les façons de penser produites doivent être validées sur le plan conceptuel, logique et expérimental. Cela prend du temps. Cependant, la méthode bouddhiste (de l'école Madhyamika) d'exploration de la matière aux échelles subatomique et astronomique, sans instruments, directement par la conscience, amène les bouddhistes à certaines considérations philosophiques vers lesquelles sont aussi conduits les scientifiques quand ils considèrent certains particularités (le chat de Schroedinger, le paradoxe EPR, etc...) mais par l'utilisation des mathématiques et des appareils de mesures. Ceci est interpellant. Un point d'altercation apparaît quand certains scientifiques viennent à considérer que ce fait (que des considérations produites par la science aient des équivalences produites dans un contexte religieux, ici le bouddhisme) n'est pas une coïncidence, que cela apporte même une confirmation de l'orientation de leurs recherches.

Si ces deux points d'altercation relèvent pour une part de l'opinion personnelle, ils relèvent par contre certainement pour l'autre part d'une méconnaissance de la diversité des concepts qui peuvent être mis sous le concept de religion. Le bouddhisme sans déités est très différent du catholicisme. Les rencontres de scientifiques avec des catholiques sont plus fréquentes qu'avec des bouddhistes, et déjà bien étudiées. Dominique Lambert (Science et théologie : les figures d'un dialogue, Presses Universitaires de Namur, Bruxelles, 1999) a identifié quatre critères du dialogue science-théologie catholique : la prise en compte de la nature évolutive des connaissances scientifiques, la possibilité par principe et la nécessité d'un tel dialogue, la perspective éthique, la médiation sur le seul terrain philosophique. Ces critères attestent de la séparation entre science et religion telle qu'on la connaît jusqu'à maintenant dans la culture française, mais les différences avec les critères que nous avons produit pour la rencontre science-bouddhisme laissent entrevoir que la définition de cette séparation peut être repensée, et que la nature de cette séparation est évolutive. Cela sans se départir du savoir acquis que la séparation de la démarche scientifique et spirituelle est indispensable.



Nous conclusions sont que, faisant preuve de rigueur sceptique accompagnée d'ouverture d'esprit, les participants des rencontres Esprit et Vie mènent un dialogue qui évite les écueils du concordisme (les connaissances acquises spirituellement intègrent par principe les connaissances scientifiques passées et à venir) et discordisme (il faut couper tout lien entre ces deux activités de l'être humain, dont une seule devrait exister), de l'obscurantisme (le sentiment religieux doit prévaloir sur la raison humaine et donc sur la science) et de l'idéalisme (la science est une démarche qui peut expliquer toute la diversité de la nature et des actions humaines et donc elle serait automatiquement bénéfique pour la société). Scientifiques et bouddhistes déterminent ensemble ce champ de réflexion où il est possible de repenser les relations entre l'expérimentation objective et l'expérience subjective, de repenser l'expérience subjective elle-même, avec des propositions concrètes de test. La rigueur intellectuelle de la rencontre science-bouddhisme sous sa forme des conférences Esprit et Vie explique donc pour partie que celles-ci se soient prolongées jusqu'à maintenant.

En tant que suite de ce mémoire de DEA, une analyse culturelle des conférences "Esprit et Vie" a été entamée en mars 2009. C'est une analyse qui contourne le recours aux concepts scientifiques et bouddhistes afin de permettre au profane (de religion comme de science) d'évaluer la légitimité des dialogue entre bouddhistes et scientifiques. Cette analyse culturelle est basée en partie sur la sociologie des sciences. Le site web de cette analyse est :

www.science-and-buddhism.eu

La description ainsi que la table des matières de l'analyse sont accessibles en francais et en anglais (l'analyse - 69 pages - étant réalisée en langue allemande).

En vous souhaitant bonne lecture,


Benoit Sorel




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