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Réfutation de la preuve
par l'ordre et par la finalité

Argument Téléologique : Cinquième voie de Thomas d'Aquin


par Albert Crispin  -  09/04/2015




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La preuve par l'ordre et par la finalité n'est ni plus ni moins que la preuve téléologique dans sa version classique. Il s'agit en réalité de la cinquième et dernière voie de Thomas d'Aquin.
"La cinquième voie est tirée du gouvernement des choses. Nous voyons que des êtres privés de connaissance, comme les corps naturels, agissent en vue d'une fin, ce qui nous est manifesté par le fait que, toujours ou le plus souvent, ils agissent de la même manière, de façon à réaliser le meilleur; il est donc clair que ce n'est pas par hasard, mais en vertu d'une intention qu'ils parviennent à leur fin.
Or, ce qui est privé de connaissance ne peut tendre à une fin que dirigé par un être connaissant et intelligent, comme la flèche par l'archer. Il y a donc un être intelligent par lequel toutes choses naturelles sont ordonnées à leur fin, et cet être, c'est lui que nous appelons Dieu."
Thomas d'Aquin
Une variante de l'argument consiste à dire que : "l'univers est ordonné, ce qui prouve l'existence d'une intention à l'origine de celui-ci".



1. La notion d'ordre est purement subjective.
  1. Ce que nous voulons dire par là, c'est que la notion d'ordre provient de l'esprit humain : il n'y a d'ordre que parce que nous le pensons. En réalité, la nature n'est composée que de faits ou d'événements. Rien au sein de celle-ci ne prouve qu'il y a un quelconque ordre voulu par une entité supérieure. C'est nous-même qui interprétons personnellement le fait qu'un état donné de la nature est "ordonné" en choisissant nous-même les normes et modèles. Toute situation peut dès lors être "ordonnée", même celles que d'autres jugeraient chaotiques.

    Par exemple : une bibliothèque où les livres sont arbitrairement placés n'est objectivement pas plus ordonnée qu'une bibliothèque où les livres sont regroupés par auteur. C'est nous même qui jugerons que la seconde est plus ordonnée que la seconde et ce, sur base de critères choisis subjectivement. Donc, pour prouver qu'un "ordre" existe, il faut déjà le supposer. Et cela n'est rien d'autre qu'une pétition de principe !

  2. Cet état "d'ordre" étant subjectif, il est également personnel et donc variable. Les individus, selon leurs cultures et leurs croyances, donneront une définition différente de la notion d'ordre et conclurons si l'ordre existe ou non. Par exemple, même si Pangloss dans "Candide" (de Voltaire) soutient que nous vivons dans le meilleur des mondes possibles, le problème du mal, les handicaps de naissance, les catastrophes naturelles ou encore le fait que certaines espèces pondent et se reproduisent en masse alors que peu de leurs progénitures naîtrons et survivrons peut constituer une explication suffisante pour refuser l'idée selon laquelle il y a de l'ordre ou de l'harmonie dans le monde. La liste n'est évidemment pas exhaustive ; puisque la notion d'ordre dépend de tout un chacun.

  3. Lorsque nous estimons qu'une chose est ordonnée, nous devons nous baser sur un modèle abstrait (ou une norme) à partir duquel nous déterminons si ce que nous évaluons est oui ou non ordonné (autrement dit, si cela correspond au modèle). Mais dans le cas de l'univers, puisque nous n'en connaissons qu'un, c'est sur la base de celui-ci que nous observons un "ordre" (et que l'on considère son fonctionnement comme étant "ordonné"). En d'autres termes, affirmer sans plus de précisions que l'univers a été conçu sur la base d'un ordre revient en réalité à dire : l'univers a été créé sur la base de l'univers.

    Ainsi, l'exemple de la bibliothèque présenté plus haut ne se limite qu'au point A. En effet, nous avons ici deux modèles que nous pouvons comparer (constater des divergences et des ressemblances entre ceux-ci), alors que dans le cas de l'univers nous n'en connaissons qu'un seul. Cela signifie que notre monde pourrait être semblable à la première bibliothèque et que les apologistes pourraient juger celui-ci comme étant ordonné.

    Par conséquent, dire "Il y a de l'ordre dans l'univers donc Dieu existe" sans plus de précision signifie "L'univers existe donc Dieu existe"... ce qui ne prouve rien. Et si des explications supplémentaires étaient fournies (le monde est ordonné pour des raisons X ou Y), alors celles-ci seraient forcément arbitraires.

  4. De plus, les propos que nous venons d'avancer semblent concorder avec les divers travaux et recherches effectués dans le domaine de la psychologie cognitive. Nous invitons dès lors le lecteur curieux à se renseigner sur les travaux portant sur l gestaltisme (ou psychologie de la forme) mais également de s'intéresser au phénomène de paréidolie et d'apophénie, donnant du poids à l'idée que "l'ordre" perçu au sein de l'univers est subjectif.

2. La notion de finalité paraît à première vue plus ambiguë. Toutefois, Thomas d'Aquin parle sans doute des lois et principes naturels et scientifiques qui régissent notre monde.
  1. Thomas d'Aquin sous-entend que l'existence de lois physiques suppose l'existence d'un législateur (de surcroit divin). Cette idée amène deux gros problèmes.

      A.1. Nous avons montré dans la réfutation de la preuve par le créateur et par la complexité que l'on ne pouvait prouver l'existence d'une chose qui nous est inconnue ou inexpliquée au moyen d'une simple analogie. Nous ne pouvons donc logiquement et irréfutablement déduire de la présence de lois et de principes naturels la preuve de l'existence d'un quelconque législateur.

      A.2. Il s'agit ici aussi d'une fausse analogie. Celle-ci se base sur un sophisme d'équivoque car la notion du mot "loi" n'est pas la même dans les deux cas.

      • Un législateur prononce et fixe des lois prescriptives. C'est à dire que les lois juridiques (et/ou morales) peuvent être violées (une loi prohibant le meurtre n'empêche pas une personne d'aller tuer son voisin). A l'inverse, les lois naturelles sont descriptives : elles ont pour but de décrire la nature des choses et ne peuvent être violées. Nous ne pouvons décider de nous arrêter de cligner des yeux par exemple.

      • Ainsi, les lois juridiques et morales peuvent être plus ou moins librement modifiées et peuvent varier selon les individus et sociétés. Une loi scientifique est réputée immuable, sauf informations nouvelles apportées qui peuvent nuancer le principe. Le changement n'est pas "libre".

      • Si une loi morale ou juridique est violée, elle reste encore d'application. En revanche, si une loi naturelle ne peut être transgressée car si une chose nouvelle s'oppose à un principe établi, la loi scientifique disparaît. Dans le premier cas, les individus doivent (en principe) se plier à la loi alors que dans le second cas c'est la loi qui doit se plier aux faits.

  2. Les lois et principes scientifiques sont a priori neutres. Certes ils agissent toujours de la même manière (c'est le principe même d'une loi descriptive comme nous venons de l'expliquer) mais pas "de façon à réaliser le meilleur". Le terme "meilleur" est un terme subjectif qui n'a pas sa place ici. Les phénomènes étudiés, décrits et expliqués par la Science n'agissent pas de manière objectivement "bonne" ou "mauvaise" ; ils ont simplement lieu. Les choses agissent en vue de réaliser le meilleur parce que nous les interprétons ainsi, ni plus ni moins. Mais ce terme de meilleur peut avoir une autre signification que nous développerons au point suivant.

    Dans tous les cas, considérer que les choses ne peuvent se produire que parce qu'une intention doit les animer ou les diriger n'est qu'une forme de pétition de principe (raisonnement fallacieux dans lequel on suppose dans les prémisses la proposition que l'on est censée prouver).

3. La notion de "meilleure" ne peut prouver l'existence de Dieu puisqu'elle est arbitraire. Toutefois, il est possible de s'opposer à cette notion de "meilleur".
  1. Que signifie exactement "réaliser le meilleur" ? Ce terme est tellement flou et vague qu'il ne fait que confirmer nos impressions selon lesquelles il s'agit d'une notion arbitraire.

  2. Une autre manière d'interpréter ici le mot "meilleur" serait de le considérer comme un synonyme "d'habitude" (Thomas d'Aquin écrivant : "ils agissent de la même manière"). En d'autres termes, cela signifie simplement que les choses respectent les lois et principes naturels quoi qu'on puisse penser à leur sujet. Mais la simple présence de principes physiques et naturels ne prouve pas l'existence d'une entité intelligente qui aurait établi ceux-ci, comme nous l'avons vu au point 2.

  3. Pourquoi dire "réaliser le meilleur" sachant que la vie est si fragile et que le monde lui est hostile ? Il n'y a qu'à voir le nombre d'espèces qui se sont éteintes au cours des siècles et des millénaires passés, ou les caractéristiques étranges et inutiles voire néfastes dont peuvent être affublées certaines créatures (nous pourrions évoquer l'appendice et le coccyx dans le cas de l'Homme).

    Nous pourrions aussi dire que l'Homme, pour survivre, doit travailler et agir sur son environnement qui lui est hostile (comme le nombre de substances qui lui sont nocives). Ce qui ne devrait être le cas si tout était fait de façon à réaliser le meilleur.

  4. Les nombreuses imperfections de notre monde (voir les quelques exemples donnés plus haut au point 1) nous permettent de remettre en question la notion de "meilleure". Pouvons-nous dire d'une catastrophe naturelle qu'elle agit de façon à réaliser le meilleur ?

    1. ) Si oui, revient à dire que les choses agissent naturellement comme nous l'avons évoqué précédemment ; ou que l'idée de "réaliser le meilleur" peut varier selon les individus (puisque nous remettons alors en question cette conception des choses).

    2. ) Si non, les notions d'ordre et de finalité peuvent être remises en question.

4. Les connaissances scientifiques n'étaient pas aussi développées que les nôtres du temps de Thomas d'Aquin, ce qui explique pourquoi il n'était pas au courant de choses invalidant ses écrits, comme par exemple la théorie de l'évolution darwinienne, qui nous permet de remettre en cause son argument. Le principe de sélection naturelle explique que seuls les plus adaptés survivent. Cela signifie d'une part que les moins adaptés ne survivent pas et que la nature ne réalise donc pas toujours "le meilleur" et d'autre part que la nature est capable de s'auto-organiser. Elle n'a pas besoin d'une quelconque volonté (divine ou non) puisque l'évolution n'a pas de "but" ou intention.

Ainsi, contrairement à ce qu'avance l'argument, ce sont les créatures qui s'adaptent à la nature et non l'inverse.

Il n'est pas rare que les apologistes haïssent la théorie de l'évolution darwinienne et formulent toutes sortes d'arguments pour tenter de la réfuter et de préserver intacte leur conception du monde. Si nous n'aborderons pas de la théorie de l'évolution darwinienne et ne traiteront pas des arguments avancés contre celles-ci car d'autres, bien plus qualifiés que nous à ce sujet (bien plus vaste et plus complexe que l'on pourrait croire au premier abord), ont déjà maintes fois répondu à certains arguments tels que la complexité irréductible de l'oeil ou de la flagelle de la bactérie. Néanmoins, nous tenons à répondre à un argument qui est encore tenus par certains obscurantistes religieux.

Ceux-ci, dans une tentative toute aussi désespérée qu'absurde, ont tenté de nier la théorie de l'évolution darwinienne en se reposant sur des "vérités évidentes" telles que "le plus ne peut sortir du moins", "du moins parfait/complexe ne peut sortir le plus parfait/complexe",... Ce ne sont nullement des "vérités logiques et évidentes" mais des dogmes non démontrés ! Sans compter qu'il est facile de prouver le contraire : un programme informatique simple pouvant générer un réseau d'information complexe et certaines molécules pouvant, par réactions chimiques, former des substances bien plus complexes.

La théorie de l'évolution repose sur un large faisceau de faits et de preuves, tandis que ces dogmes ne reposent que sur des principes théoriques (ou un "bon sens" qui s'avère être plus que douteux). Etant donné qu'il n'y a pas de réelle preuve de ce qu'ils avancent (alors que c'est sur eux que repose la charge de celle-ci), leur argument ne parvient pas à s'opposer à la théorie de l'évolution. Mais cette théorie est fondée sur des preuves et des faits empiriques et dans le cas où une théorie (descriptive) entre en conflit avec la pratique, c'est à la théorie de s'adapter aux faits et non l'inverse ! Lorsque la science rentre en conflit avec la religion, c'est à cette dernière de céder le pas, ce qu'elle ne semble ici pas comprendre. Dans le cas contraire, ce serait la victoire du dogme sur les faits et du fanatisme sur la raison.


5. L'analogie avec l'archer est fallacieuse, comme nous l'avons déjà expliqué. En fait, l'argument en entier s'avère être une analogie et nous renvoyons dès lors le lecteur à la réfutation de la preuve par le créateur et par la complexité. Continuer à prétendre que "ce qui est privé de connaissance ne peut tendre à une fin que dirigé par un être connaissant et intelligent" n'est qu'une pétition de principe comme nous l'avons dit au point 2.B.


6. Thomas d'Aquin commet également un sophisme de composition en affirmant que si chaque chose contenue dans l'univers a une finalité, alors l'univers dans son ensemble a une finalité. Ce n'est ici qu'une spéculation, pas un fait irréfutable.


7. Rien ne prouve que c'est Dieu qui a créé le monde et l'origine de celui-ci est peut-être tout autre.
  1. Tout d'abord, le problème du mal peut mettre à mal cet argument. Les nombreuses imperfections que nous pouvons subjectivement constater dans la nature remettent en question l'idée d'un Dieu :

    1. ) Parfait, car nous ne déduisons pas d'une chose imparfaite que son créateur est
    2. ) Omnipotent, en se demandant si Dieu s'est avéré incapable de créer un monde sans maux.
    3. ) Omniscient, car il pourrait en fait être un incapable notoire qui ne pouvait mesurer et anticiper les conséquences de ses actes.
    4. ) Bienveillant, car si Dieu est omnipotent et omniscient, alors il est sadique ou immature.

    Dès lors, il nous semble peu convaincant que Dieu ait créé le monde.

  2. Il est à noter que l'hypothèse du hasard n'est pas réfutée contrairement à ce qu'affirme Thomas d'Aquin.

    Même s'il devait être prouvé que ce que nous appelons hasard n'existe pas dans notre monde, cela ne prouve pas qu'il ne puisse pas exister ailleurs. Dire que le hasard n'existe pas et donc que l'univers n'a pas été causé par hasard n'est qu'un appel à l'ignorance. En effet, même si les lois scientifiques ne sont pas en elles-mêmes hasardeuses et changeantes (sinon ce n'est plus une loi scientifique), rien ne dit qu'elles n'ont pas pu être générées aléatoirement ou que leur origine n'est pas le "hasard".

    Précisons que hasard ne signifie pas chaos ou désordre. Par conséquent, le hasard peut donner lieu à une situation telle que nous la connaissons et que nous qualifions d'"ordonnée".

  3. Nous pouvons également supposer que la nature elle-même ou toute autre processus naturel (nécessité physique) qui nous est inconnu ou incompréhensible est responsable de la situation actuelle.

  4. Rien n'empêche de combiner les réponses précédentes en supposant que le monde est issu du hasard et de processus naturels.

  5. D'autres idées restent également valables, comme le multiverse, un univers éternel, un univers non causé, le fait que "l'ordre" de l'univers n'est qu'une propriété émergeante de celui-ci, etc.

  6. Mais en réalité, ce n'est pas à nous de donner d'autres réponses car la charge de la preuve repose toujours sur celui qui affirme et prétend savoir prouver irréfutablement l'existence de Dieu. Surtout que même si l'on parvenait à démontrer que les hypothèses précédentes sont fausses, on ne pourrait pour autant en conclure que cela prouve l'existence de Dieu. Ce serait commettre un appel à l'ignorance (sophisme consistant à affirmer qu'une proposition est vraie car non prouvée fausse plutôt que de démontrer de manière irréfutable sa véracité) car nous ne savons pas s'il peut exister quelque chose en dehors de l'univers et si oui, ce que l'on pourrait y trouver (nos principes de logiques pouvant très bien ne pas s'y appliquer)... La seule chose que nous pouvons véritablement dire est "je ne sais pas". Il s'agit là d'une réponse qui a le mérite d'être à la fois humble et honnête.

  7. D'ailleurs, l'argument commet également le sophisme de l'affirmation du conséquent en affirmant :

    1. ) Si Dieu existe alors il y a de l'ordre dans l'univers.
    2. ) Il y a de l'ordre dans l'univers.
    3. ) Donc Dieu existe.

    Pour que cela soit vrai, il faudrait prouver que c'est effectivement Dieu qui a créé le monde. Nous parlons effectivement d'une démonstration et non d'une supposition ; tenter d'évincer toutes les autres hypothèses actuelles pour "prouver" l'existence de Dieu consisterait en un appel à l'ignorance puisque que nous parlons d'une chose qui nous est pour le moment inexpliquée et que nous n'avons pas de liste exhaustive de toutes les réponses possibles. Enfin, rappelons qu'il est extrêmement ardu, voire impossible, de "philosophiquement" tenter de prouver l'inexistence d'une chose non définie clairement et complètement (comme tenter de prouver l'inexistence de la magie). Surtout que l'absence de preuves ne constitue pas forcément une preuve d'absence. Ce principe, d'ailleurs parfois rappelé par certains croyants, s'applique également concernant ces autres hypothèses qui nous seraient inconnues...


Albert Crispin


Voir aussi : Réfutation de la preuve par le mouvement. Argument cosmologique : première voie de Thomas d'Aquin. Par Albert Crispin, 26/01/2015.

Voir aussi : Réfutation de la preuve par le commencement. Argument cosmologique : Argument du kalam. Par Albert Crispin, 13/02/2015.

Voir aussi : Réfutation de la preuve par les formes d'existence des choses. Argument cosmologique : Troisième voie de Thomas d'Aquin. Par Albert Crispin, 21/02/2015.

Voir aussi : Réfutation de la preuve par le degré (des choses) Quatrième voie de Thomas d'Aquin. Par Albert Crispin, 05/04/2015.

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