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Réfutation de la preuve par le degré
(des choses)

Quatrième voie de Thomas d'Aquin


par Albert Crispin  -  05/04/2015




Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.




"La quatrième voie procède des degrés que l'on trouve dans les choses. On voit en effet dans les choses du plus ou moins bon, du plus ou moins vrai, du plus ou moins noble, etc. Or, une qualité est attribuée en plus ou en moins à des choses diverses selon leur proximité différente à l'égard de la chose en laquelle cette qualité est réalisée au suprême degré; par exemple, on dira plus chaud ce qui se rapproche davantage de ce qui est superlativement chaud. Il y a donc quelque chose qui est souverainement vrai, souverainement bon, souverainement noble, et par conséquent aussi souverainement être, car, comme le fait voir Aristote dans la Métaphysique, le plus haut degré du vrai coïncide avec le plus haut degré de l'être. D'autre part, ce qui est au sommet de la perfection dans un genre donné, est cause de cette même perfection en tous ceux qui appartiennent à ce genre: ainsi le feu, qui est superlativement chaud, est cause de la chaleur de tout ce qui est chaud, comme il est dit au même livre. Il y a donc un être qui est, pour tous les êtres, cause d'être, de bonté et de toute perfection. C'est lui que nous appelons Dieu." (Thomas d'Aquin)


1. L'idée selon laquelle il existe un degré maximum dans les choses est fallacieuse.
  1. Ce n'est pas parce qu'il existe des "degrés" de propriété dans les choses que cela prouve pour autant que cette propriété existe à un degré maximum ou souverain. Ainsi, même si nous admettons qu'en principe un éléphant est plus lourd qu'un stylo, nous ne pourrons logiquement en déduire de manière irréfutable qu'il existe un degré maximum de "lourdeur". L'argument commet dès lors un non sequitur

  2. Surtout que nous sommes loin d'évaluer le degré d'une propriété en prenant comme références les extrêmes de celles-ci. Dans le cas du chaud par exemple, on évaluera subjectivement que quelque chose est plus ou moins chaud en fonction d'une moyenne ou d'une valeur arbitrairement choisie.

  3. Nous pouvons également confirmer qu'il est impossible qu'il puisse exister des degrés maximums pour certaines choses. Par exemple, il est impossible qu'il puisse exister un degré souverain de petitesse: nous ne pouvons que tendre vers 0 sans jamais l'atteindre. A l'inverse, pour reprendre l'exemple de la lourdeur, nous ne pouvons que tendre vers l'infini. Par conséquent, il ne semble pouvoir exister de degré souverain pour ces choses-là. Dès lors, nous pouvons valablement remettre en question l'argument : rien n'assure a priori qu''une propriété donnée existe à un degré maximum. C'est aux apologistes de prouver le contraire et non simplement de supposer (comme ils le font habituellement).

  4. De même, comment évaluer certaines propriétés comme par exemple la beauté ? Comment pouvons-nous prétendre qu'il existe un degré suprême de beauté alors qu'il n'y a pas de définition complète et unanime de celle-ci et que ce qui est beau semble être relatif à chaque individu ; sans oublier que la beauté peut faire l'objet de nombreux débats ?

2. Malgré nos reproches pourtant évidents, les apologistes continuent à prétendre que "il doit exister un degré souverain d'une propriété donnée sans quoi les choses ne pourraient présenter cette propriété à un degré moindre" ; cela est non prouvé et erroné.
  1. Tout d'abord, on remarque rapidement que Thomas d'Aquin s'est également inspiré de Platon (et de son monde des idées) pour élaborer cet argument. Mais cela ne repose sur aucune preuve empirique sérieuse. Nous ne pouvons raisonnablement démontrer que les propriétés existent de manière abstraite à leur degré maximum (surtout au vu des développements avancés au point précédent). Au mieux, cela ne serait qu'un appel à l'ignorance (sophisme consistant à dire qu'une proposition est vraie parce qu'elle n'a pas été démontrée fausse (ou vice versa).

  2. Notons aussi que l'exemple présenté ici (le feu) est éminemment faux, les connaissances scientifiques ayant énormément évoluées depuis l'époque de Thomas d'Aquin. L'argument n'a donc aucun fondement sérieux : surtout qu'un seul exemple ne peut constituer la preuve ou la démonstration d'un principe supposé universel (censé s'appliquer pour chaque valeur).

  3. Jusqu'à présent, nous n'avons jamais connu ces propriétés autrement qu'étant attachées aux choses du "monde sensible". Ainsi, nous n'avons jamais par exemple observé la "puanteur en soi", mais des choses qui sentent plus ou moins mauvais que d'autres. Notre expérience du monde sensible ne nous permet donc pas d'affirmer que les propriétés existent par elles-mêmes de manière purement abstraite (et qui plus est à leur degré maximum).

  4. Le concept d'émergence vient mettre à mal l'idée défendue par Thomas d'Aquin. "On appelle "émergence" une combinaison préexistante d'éléments préexistants produisant quelque chose de totalement inattendu. Un exemple classique de ce type de phénomène est celui de l'eau, dont les caractéristiques les plus remarquables sont totalement imprévisibles au vu de celles de ses deux composants, l'hydrogène et l'oxygène ; pourtant la combinaison des deux ingrédients donne naissance à quelque chose d'entièrement neuf." (1)

    Il est donc possible, selon ce concept qui est notamment appliqué en Science, que des propriétés nouvelles émergent sans pour autant qu'il faille faire appel à l'idée selon laquelle cette propriété existe de manière abstraite, antérieure et à son degré maximum.

3. La notion de perfection est problématique. Le raisonnement développé ici peut également s'appliquer à la bonté.
  1. Aucune définition objective (c'est-à-dire claire, complète et unanime) de la notion de perfection ou de bonté n'est établie. Il n'y a pas non plus de standard incontestable de ce que l'on nomme "la perfection" ou "la bonté". A vrai dire, cela fait l'objet de nombreux débat : dès lors comment affirmer que ces propriétés existent objectivement à un degré maximal ?

  2. Nous pouvons sans problème prétendre que, selon nous, les notions de perfection et de bonté sont relatives et qu'elles ont été conçues par l'Homme. Elles n'existent pas par elles-mêmes.

    • Ce qui est plus ou moins parfait/bon est subjectif et varie en fonction des individus.

    • Ce qui est plus ou moins parfait/bon varient aussi en fonction des cultures ; autrement dit du lieu et de l'époque.

    Ainsi, si les notions de perfection et de bonté ont été élaborées par l'Homme, il n'existe pas de chose objectivement parfaite ou bonne en soi.

  3. L'argument part du principe qu'il existe des degrés de propriétés. Dans le cas de la perfection et de la bonté, comment mesurer celle-ci ? Comment en déterminer les degrés ? C'est chose impossible quand il n'y a pas de définition claire et objective de ces termes !

  4. Les apologistes aiment utiliser des expériences humaines et propres à notre monde pour tenter d'en élaborer un principe universel s'étendant au-delà de celui-ci afin de prouver l'existence de Dieu et d'expliquer la nature de celui-ci. Raisonnons par l'absurde en considérant que Dieu existe ; nous pouvons employés des procédés analogues aux leurs pour montrer que Dieu n'est pas parfait :
      1) Les Hommes ne sont pas parfaits car ils ont des besoins (qu'ils soient vitaux ou secondaires).
      2) L'Homme crée des choses en vue de satisfaire ses besoins.
      3) Toute création sert donc à satisfaire un besoin.
      4) Dieu a créé le monde.
      5) Dieu a créé le monde pour satisfaire un besoin.
      6) Dieu n'est pas parfait.
    Nul doute que les apologistes s'opposeront à notre démonstration notamment en invoquant que Dieu et Homme ne sont pas comparables (et par conséquent, décidant étrangement de se contredire). Il n'empêche que nous pouvons maintenir notre raisonnement en guise de raison selon laquelle Dieu est pour nous forcément imparfait.

  5. Le paradoxe de l'omnipotence peut également être utilisé en vue de montrer que Dieu ne pourrait être, selon nous, un être parfait.

  6. De même, le dilemme d'Euthyphron nous montre que Dieu n'est peut-être le degré suprême de ce qui est Bon (à moins de donner une définition plus controversée de la bonté, mais qui impliquerait clairement que Dieu n'est pas parfait).

  7. Nous pouvons ici opposer le problème du mal à Thomas d'Aquin. S'il y a tant de maux, alors Dieu n'est pas bon et/ou est imparfait. Ainsi, si Dieu existe, il est plus logique qu'il soit, en suivant le raisonnement présenté par cet argument, le degré souverain du Mal. Pour les apologistes nous répondant que le mal absolu n'existe pas car le mal est l'absence de bien, nous leur rétorquerons qu'en plus d'avoir une définition encore une fois arbitraire du bien et du mal, ils reconnaissent ouvertement qu'il n'existe pas un degré suprême pour toute chose. Ils attaquent donc eux-mêmes les fondements de l'argument.

4. Nous pouvons évoquer le fait que le concept de propriétés émergentes ainsi que certaines théories scientifiques (l'abiogenèse) qui semblent se confirmer postulent l'idée que l'être émergerait du non-être.
    Et même s'il n'y avait aucune théorie scientifique valide, cela ne prouverait nullement l'existence de Dieu (ou d'un degré maximum de l'Etre) car cela reviendrait à commettre le sophisme de l'appel à l'ignorance. Il s'agit ici du concept bien connu de "Dieu bouche-trous" ou "God of the gaps" qui consiste à attribuer tout événement actuellement inexpliqué (mais pas forcément inexplicable) à une entité divine supérieure.

5. Thomas d'Aquin n'est toujours pas parvenu à prouver l'existence de "Dieu" avec son argument.
  1. Les propriétés à attribuées à "l'être" sont essentiellement choisies de manière subjective.
      A.1. Si Thomas d'Aquin se contentent de ces propriétés, alors on pourrait prétendre que Dieu n'est pas parfait car la perfection exige la présence d'autres propriétés.

      A.2. Si Thomas d'Aquin attribue à Dieu toutes les propriétés possibles, alors on arrive forcément à des contradictions logiques. Sauf si on admet que Dieu n'est pas logique, ce qui aurait des implications fort fâcheuses pour les apologistes (voir à ce propos la partie du paradoxe de l'omnipotence consacrée à l'hypothèse selon laquelle Dieu n'est pas soumis à la logique). Ainsi, cela ne sert plus à rien d'utiliser la logique pour tenter de prouver l'existence de Dieu car il pourrait très bien exister et ne pas exister en même temps. Nous ne pouvons rien affirmer sur Dieu si ce n'est qu'il n'est pas logique (et donc, qu'il est impossible qu'il soit exclusivement logique). Un tel Dieu, en plus d'être une hypothèse farfelue, est inutile pour expliquer notre monde car il nous restera définitivement inconnu. Sans compter que si l'on considère que Dieu a la "non-logique" en tant que propriété maximale, il ne peut présenter en même temps la "logique" comme propriété maximale. Cette hypothèse ne peut donc fonctionner.

      A.3. Si Thomas d'Aquin attribue à Dieu une série de propriétés déterminées, la liste sera arbitraire (comme le fait de l'associer à la bonté).

  2. Pourquoi "être" ? Cela pourrait très bien être une "chose" en fonction des définitions choisies. Par exemple, "l'être" au plus haut degré (que nous pouvons avoir du mal à être considéré comme une propriété) pourrait correspondre à un processus physique, à la matière et l'énergie, à la nature, à l'existence elle-même... Il en va de même du vrai, du noble ou du bon selon les définitions avancées. La seule chose que nous pouvons faire ici est spéculer, mais pas prouver puisque nous ne savons pas s'il existe quelque chose au-delà de notre univers et, même si c'était le cas, à quoi cela correspondrait.


Albert Crispin



Voir aussi : Réfutation de la preuve par le mouvement. Argument cosmologique : première voie de Thomas d'Aquin. Par Albert Crispin, 26/01/2015.

Voir aussi : Réfutation de la preuve par le commencement. Argument cosmologique : Argument du kalam. Par Albert Crispin, 13/02/2015.

Voir aussi : Réfutation de la preuve par les formes d'existence des choses. Argument cosmologique : Troisième voie de Thomas d'Aquin. Par Albert Crispin, 21/02/2015.

Voir aussi : Réfutation de la preuve par l'ordre et par la finalité. Argument Téléologique : Cinquième voie de Thomas d'Aquin. Par Albert Crispin, 09/04/2015.

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Notes

1 - Source : Comprendre le phénomène de l'émergence, par Robert Evola, Publibook, France, 2012, p. 28.



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