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Réfutation de la preuve
par le créateur et par la complexité

Argument Téléologique - Analogie de William Paley


par Albert Crispin  -  09/04/2015




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La preuve par le créateur (et la complexité) est un argument fort populaire qui peut se décliner sous diverses formes, l'idée de base restant la même dans tous les cas et consistant à comparer Dieu à un grand architecte, et l'univers à sa création. Nous traiterons de la version d'origine de William Paley où Dieu est ici vu comme un horloger.

"Si en traversant un désert, je marche sur une pierre, et que je me demande comment cette pierre se trouve là, je pourrais en rendre compte d'une manière passablement satisfaisante, en disant que de tout temps cette pierre a été dans ce lieu. [...] Supposons qu'au lieu d'une pierre, j'eusse trouvé une montre, la réponse qu'elle a été de tout temps dans le même endroit ne serait pas admissible. Cependant, pourquoi cette différence ? Pourquoi la même réponse n'est-elle pas applicable ? Parce qu'à l'examen de cette machine je découvre, ce que je n'avais pas pu découvrir dans la pierre, à savoir : que ses diverses parties sont faites les unes pour les autres, et dans un certain but ; que ce but est le mouvement, et que ce mouvement tend à nous indiquer les heures. [...] Une fois le mécanisme saisi, la conséquence des faits me parait évidente. Il faut que cette machine ait été faite par un ouvrier : il faut qu'il ait existé un ouvrier, ou plusieurs, qui aient eu en vue le résultat que j'observe, lorsqu'ils ont fabriqué cette montre. [...] La machine que nous avons sous les yeux, démontre par sa construction une invention et un dessein. L'invention suppose un inventeur, et le dessein un être intelligent." William Paley (1743-1805)

Ce faisant, Paley estime que l'univers est lui aussi complexe, ce qui selon lui prouve l'existence d'un créateur intelligent.


1. Lorsqu'on analyse bien l'argument, on remarque que William Paley commet une contradiction sur le caractère qu'il attribue à la nature et à l'univers. En effet, dans un premier temps il considère implicitement que la nature est distincte de la montre car cette dernière est complexe et ordonnée (à l'inverse de la pierre), puis il estime que la nature est également complexe et ordonnée et doit donc avoir un créateur. L'argument procure à la nature et à l'univers des caractères contradictoires car tantôt distincts de la montre, tantôt pareils à celle-ci.


2. L'argument est fallacieux et trompeur dans la mesure où il estime que si deux choses présentent une même caractéristique, alors ils doivent présenter d'autres caractéristiques en commun.
  1. Nous savons qu'un tel argument est éminemment fallacieux.
    Ainsi, selon William Paley :

    1. ) Une montre est complexe.
    2. ) Une montre est l'oeuvre d'un horloger (ou créateur).
    3. ) L'Univers est complexe.
    4. ) Alors l'Univers a un horloger (ou créateur).

    Mais personne n'oserait affirmer que :

    1. ) La poule est un animal.
    2. ) Les poules pondent des oeufs.
    3. ) Le chat est un animal.
    4. ) Alors, les chats pondent des oeufs.

    Et pourtant, la logique de cet argument est identique à celle utilisée par Paley. Sans compter que si l'on considère qu'il ne faut retenir que certaines caractéristiques en commun, on arrive en arrive à de l'arbitraire.

  2. De plus, si on raisonne par l'absurde et que l'on applique sérieusement la logique de cet argument, lors on en arrive à des conséquences fâcheuses pour les analogistes.

      B.1. Si, en traversant le désert, nous croisons ensuite une sculpture, nous n'en déduirons pas que c'est là l'oeuvre de l'horloger mais qu'au contraire il s'agit là du travail d'un sculpteur. Ainsi, selon l'analogie de Paley, chaque chose possèderait un créateur spécifique (le créateur de la vie par exemple) et par conséquent, cela ne "prouverait" que le polythéisme. Le monothéisme serait dès lors erroné.

      B.2. De plus, l'horloger a un père. La même logique suppose donc que Dieu (ou les Dieux) ait un père. Sans compter que le père de l'horloger a également un père, et nous pouvons donc ici arriver à une régression à l'infini ; à moins que l'on considère qu'il y ait un "père" originel (mais cela mettrait fin à la portée que de l'analogie).

      B.3. Personne ne voit en cet horloger un être parfait. A vrai dire, le fait que la montre présente certaines imperfections nous amènent davantage à considérer que l'horloger comme un être imparfait. Contrairement à ce qu'affirme Pangloss dans "Candide", le monde est loin d'être parfait (l'oeuvre de Voltaire, qui fut lui-même un temps partisan de l'argument avancé par Paley, permet entre autres de réfuter cette assertion). Il n'y a qu'à y voir les dysfonctionnements multiples (comme les maladies de naissances par exemple). Selon cet argument, tout nous porte à croire que Dieu (le Créateur) est un être imparfait.

      Dans la même optique, ce raisonnement permet de montrer également que l'on ne pourrait a priori en déduire que Dieu est omnipotent, omniscient, bon, etc... D'ailleurs, lorsque nous confrontons le problèmes du Mal à l'analogie de Paley, nous pouvons en déduire soit que Dieu n'est pas bon car souhaitant que le mal (c'est-à-dire les maux) et l'injustice existent dans l'univers ou qu'il n'est pas omniscient ou omnipotent s'il s'avérait qu'il aurait permis sans le vouloir la présence de ceux-ci.

3. De plus, il est possible d'établir d'autres analogies quant à l'origine de l'univers. Paley n'a arbitrairement retenu qu'une seule vision des choses
  1. L'homme n'est pas le seul être vivant à construire diverses choses : l'araignée par exemple tisse sa toile ou l'oiseau fait son nid. Dans la même optique, pourquoi ne pas comparer le créateur à un animal au sens large (comme un castor) ? Surtout qu'il s'agit là d'expériences bien plus répandues et universelles que les créations humaines.

  2. David Hume (philosophe du XVIIIème siècle) explique dans le livre VII des "Dialogues sur la religion naturelle" que : "Si l'univers a plus de ressemblance avec les substances animales et végétales qu'avec les produits faits de main d'homme, il est plus probable que la cause de l'univers ressemble davantage à la cause des premières qu'à celle des dernières, et qu'il faut attribuer sa formation à la génération ou à la végétation plutôt qu'à la raison ou au dessein". (1)

4. Un bon raisonnement par analogie implique que les éléments en question doivent être comparables (sur les aspects que l'on met en cause). Cela n'est toutefois guère le cas ici, l'argument ne retenant comme unique critère de comparaison la "complexité" pour supposer l'existence d'un créateur et omet d'autres caractéristiques pourtant essentielles montrant qu'il s'agit là de deux cas fort différents. Ce faisant, l'argument compare des pommes et des poires et commet une fausse analogie.
  1. Tout d'abord, il compare une création ex materiae (l'horloger créant une montre à partir de matériaux préexistants) avec une création ex nihilo (Dieu ayant créé l'univers à partir de rien).

  2. Si nous pensons directement en voyant une horloge que celle-ci a été conçue par un horloger, c'est parce que nous pouvons empiriquement faire l'expérience de celle-ci et de sa création. Ce n'est pas le cas de l'univers, puisque personne ne semble avoir assisté à sa "création" ou à son "apparition" (sans compter que l'univers pourrait bien être éternel).

  3. Alors que chaque partie de l'horloge est assignée à une fonction (dans la mesure où elle est créée intentionnellement), cela ne semble pas forcément être le cas pour certaines parties de l'univers. Surtout que l'horloge est conçue avec une intention claire et apparente alors que l'univers ne paraît pas avoir de "but" véritablement défini. Les apologistes nous dirons que ce n'est pas pour autant que l'univers n'a pas de but, mais que l'intention du créateur nous est inconnue ou est difficilement compréhensible. Nous leur rétorquerons qu'ils présupposent ici l'existence d'une intention divine sans la prouver commettant ainsi un appel à l'ignorance mais aussi une pétition de principe puisque leur argument est supposé démontrer l'existence de Dieu !

5. Même si l'analogie ne commettait pas les fautes évoquées au point 4, on ne pourrait néanmoins conclure à l'existence d'une intention créatrice à l'origine de l'univers.
  1. L'argument est une analogie ; or, une analogie sert à expliquer et à illustrer un raisonnement ou encore à supposer l'existence d'une chose qui nous est inconnue mais non à démontrer concrètement son existence surtout lorsque nous n'en avons pas fait l'expérience. Cela se fait en se reposant sur des faits empiriques et non pas exclusivement en utilisant des raisonnements par analogie basés sur des sophismes. Nous n'avons en effet aucune garantie que le phénomène sur lequel on s'interroge possède les mêmes caractéristiques que l'objet auquel il est comparé ni même qu'il ne remettrait pas en cause nos principes théoriques et certaines choses que l'on tenait pour acquises.

  2. D'autres hypothèses sont également possibles.

      B.1. Tout d'abord, le "hasard" ; réponse qui semble exaspérer les apologistes. Et pourtant elle semble bien plus probable au vu des dysfonctionnements et imperfections de notre monde. Enfin, rappelons que contrairement à ce que semblent supposer certains apologistes, le terme "hasard" n'est pas synonyme de chaos ou de désordre.

      B.2. L'univers pourrait très bien tirer sa source d'un processus naturel ; c'est-à-dire d'une loi ou d'un principe l'obligeant à adopter la forme que nous lui connaissons. Certains apologistes affirment que la notion de loi présuppose l'existence d'un grand législateur, mais ce n'est encore une fois qu'un argument jouant sur l'ambiguïté du mot "loi" comme nous l'indiquons dans la réfutation de la preuve par l'ordre et par la finalité.

      B.3. Mais en réalité, ce n'est pas à nous de donner d'autres réponses car la charge de la preuve repose toujours sur celui qui affirme et prétend savoir prouver irréfutablement l'existence de Dieu. Surtout que même si l'on parviendrait à démontrer que les deux hypothèses précédentes sont fausses, on ne pourrait pour autant en conclure que cela prouve l'existence de Dieu car ce serait commettre un appel à l'ignorance (affirmer qu'une proposition est vraie car non prouvée fausse plutôt que de démontrer de manière irréfutable sa véracité) car nous ne savons pas s'il peut exister quelque chose en dehors de l'univers et si oui, ce que l'on pourrait y trouver (nos principes de logiques pouvant très bien ne pas s'y appliquer)... La seule chose que nous pouvons nous dire est "je ne sais pas". Il s'agit là d'une réponse qui a le mérite d'être à la fois humble et honnête.

  3. Par reprendre l'exemple précédent, même si nous supposons que l'horloge a été conçue par l'Homme, rien ne prouve pour autant que c'est le cas. D'autres hypothèses qui paraissent certes farfelues restent pourtant possibles :

    • Une sorcière a fabriqué cette horloge avec sa magie.

    • L'horloge est en fait un esprit qui a choisi de se matérialiser sous cette forme.

    • L'horloge s'est construite toute seule à cause du fluide magique environnant.

    • L'horloge telle qu'elle apparaît a surgi d'une autre dimension.

    • Des aliens ont jeté leur horloge sur Terre et elle a atterri en plein milieu du désert.

    Un peu d'imagination permet de se rendre compte que la liste est loin d'être exhaustive. Ces hypothèses paraîtront sans doute ridicules pour certains, mais elles ne sont pas pour autant fausses (dans ce cas, il faudrait pouvoir les infirmer).
Mais en réalité, ce point nous permet simplement de montrer que ce n'est pas parce que nous nous faisons une idée de quelque chose (comme l'idée que le monde a été conçu par un créateur) que cette idée est pour autant véridique, même si cette idée est basée sur une habitude. Nous utilisons nos conceptions et nos expériences pour tenter d'expliquer et comprendre le monde mais rien n'assure que ce-dernier obéira à nos prévisions car comme l'explique David Hume, nous n'avons aucune preuve irréfutable démontrant que le soleil se lèvera demain et que l'univers ne disparaîtra pas d'ici quelques secondes pour une raison inconnue, voire sans raison particulière.


Ainsi, nous pouvons opposer à l'argument de Paley les propos de Ludwig Feuerbach : "Ce n'est pas Dieu qui créa l'homme à son image mais le contraire".



Albert Crispin



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Notes

1 - Source : http://fr.wikisource.org/wiki/Dialogues_sur_la_religion_naturelle/VII



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