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Le prêtre catholique :
un homme sacrifié à la Tradition


par Michel Bellin  -  23/05/2005

Voir le témoignage de Michel Bellin, ex-prêtre catholique




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Monologue de Julius (extrait de la pièce "Le duo des ténèbres") :


"La chair est faible, l’esprit est prompt" répétait souvent ma mère. Stoïque, pieuse, sainte. Nimbée de ses migraines. Orpheline toute jeune, c’est dans le catholicisme qu’elle avait puisé son réconfort. Dans le Sacré-cœur et dans ses envoyés sur terre : les prêtres. L’abbé Simon était le prêtre préféré de maman. Peut-être parce qu’il s’appelait comme le grand pêcheur de Galilée ou qu’il célébrait si bien. Ou plus prosaïquement parce qu’il portait la soutane avec une sobre élégance et que le noir lui allait bien au teint car, je m’en souviens, il avait les cheveux blonds et bouclés. Chaque matin, ma mère était ponctuelle pour lui servir la messe. A l’époque, les femmes n’avaient droit ni à la clochette ni aux burettes : maman se contentait donc des répliques en latin, chuchotées modestement au bout du banc. A chaque Noël, elle offrait à son confesseur un livre spirituel, un grand cru de l’édition religieuse, rare et coûteux, sa manière à elle de verser comme la Madeleine son parfum de grand prix : remerciement et hommage au jeune vicaire blond. Peux-tu comprendre cela, Rachid, toi qui n’as pas eu de mère ? Je vivais dans une douce dépendance, j’y étais bien. Plus capiteuse qu’une cire, plus entêtante que l’encens, plus nourrissante qu’un lait, telle était pour moi l’ombre de ma mère. La Servante du Seigneur. Et j’allais un jour devenir Son Seigneur ! Un matin, elle fit un aveu à l’abbé. Un aveu timide et gêné sur le seuil de la sacristie. "Vous savez, mon petit Julius veut devenir prêtre. Il dit déjà la messe sans se tromper… Je l’ai surpris avec sa petite sœur : on aurait dit deux anges du Bon Dieu." Et l’abbé Simon avait écouté sans rien laisser paraître sur son visage lisse. Mais, dès cette annonciation, la voie royale était toute tracée : quand il serait grand, Julius ressemblerait à Monsieur le vicaire. Le même regard doux et profond, le même élan de cygne noir pour traverser le chœur encaustiqué, les mêmes mains blanches si expertes à disposer les lys et les pivoines devant le maître-autel. La même abnégation, celle de ceux qui ont choisi la meilleure part : lui aussi, Julius, il réchaufferait son museau gelé en discutant des amours des autres sans qu’il lui fût permis de réchauffer le tréfonds de son âme. A neuf ans, à l’âge où toi, Rachid, tu courais sur la plage de Rabat avec ce slip de bain rouge que tu aimais tant, moi, je quittais maman pour le séminaire. Neuf ans, Rachid, te rends-tu compte ! Je ne pouvais pas courir vers elle en effeuillant la marguerite ! Dans les longs dortoirs bleuis de lune, la sirène des trains remplaça la voix plaintive de ma mère. Chaque nuit, c’était le signal : je la retrouvais, je l’étreignais, mouillant le polochon réglementaire d’un abandon amer, amer et délicieux, débâcle de ma vertu et de mon héroïsme. Plus tard, bien plus tard, son icône s’estomperait, d’autres images dans le noir… à l’heure où l’essaim des rêves opalescents tord sur leurs draps souillés les bruns adolescents. Des visions effarantes… des jeunes hommes nus… de vigoureux hoplites en tuniques de lin… [S’adressant soudainement à sa mère] Ô mère, deviniez-vous ces rêves ? Les craigniez-vous pour moi ? [Long silence] Décidément, Rachid, tout dans ma vie ne fut que songes et chimères. Et je meurs de n’être jamais né. Mais le temps a passé… Tout était programmé. Vers l’âge de trente ans, j’eus néanmoins une crise. Une grande tentation comme Jésus au désert. Mon confesseur m’avait dit que c’était normal, que l’aiguillon est souvent salutaire, que Dieu n’est jamais avare de sa Grâce car Il éprouve ceux qu’il préfère. J’avais remarqué une jeune fille charmante dans ma chorale… mais, bizarrement, je devins l’ami de son frère. Lui ne s’apercevait de rien, ne comprenait rien… Moi-même, Rachid, je t’assure, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Alors, pour brouiller les pistes, je me mis à fréquenter les deux, et le frère et ma sœur, assidûment, en tout bien tout honneur évidemment. Mais ce joug me pesait, j’étais torturé. Je décidai d’amener mes nouveaux amis à la maison. Un souper simple et intime devait nous réunir tous les quatre. Mais au dernier moment, le lundi précédent… Maman avait-elle deviné ? Avait-elle déchiffré, à la sortie de la grand-messe, lors des présentations, le regard que je posais sur Pierre ?... Bref, c’était un lundi, jour de sainte Apolline. Sans doute parce qu’elle se savait répudiée, parce qu’elle avait pressenti que son rejeton, sa souche de Jessé - son Oeuvre - risquait d’être déchu urbi et orbi, ma mère… sans crier gare, sans préavis, avec un humour noir bien saugrenu de sa part, nous fit faux bond… elle… [Il hésite]… elle… trois jours avant l’invitation, dans la salle de radiographie où elle consultait pour un banal torticolis, elle s’effondra, terrassée. Par anticipation, par lassitude, son vieux cœur toujours au diapason de son fils unique avait pour ainsi dire défroqué et quitté une dépouille tant honnie. Ah ! Rachid, sous les mots que j’écris, ce sont ses yeux que je vois. Je garde le souvenir du gouffre de sa bouche (prothèse confisquée), râle plus pâle que son linceul froissé, et ce regard, ce regard… des yeux mendiant une prière ou faisant au prodigue un ultime reproche ? Des yeux de madone jusqu’au seuil de la tombe. Des yeux de servante geignante. Des yeux de veuve. Mais pourquoi ? [L’homme s’emporte soudain et se lève] Oui pourquoi, mère, me fixiez-vous ainsi sur votre lit d’agonie ? Qu’avais-je fait ? Pas fait ? Pas encore assez bien fait ? Rien n’était encore joué, je le jure… non, je ne jure pas, pardon, il ne faut pas… Je ne pouvais rien … plus rien pour vous… [Il se laisse tomber sur sa chaise. Un très lourd silence] Quand je me suis enfui de l’hôpital, Rachid, j’étais brisé, anéanti… et en même temps libéré. J’avais si honte de me sentir léger ! Je courus aussitôt m’engloutir dans le giron de ma nouvelle amie, la sœur de Pierre, je l’imbibai de larmes. Elle, comme une nouvelle mère, me consolait. Comme une vraie maman, elle me berçait. Sans rien dire. Et c’était si bon, si chaud…Puis je m’enfuis pour de vrai. Je demandai un autre poste et je quittai la paroisse. Sur-le-champ. Dans les jours qui suivirent les funérailles. C’est lui que je fuyais, le frère… "Celui qui regarde en arrière n’est pas digne de moi." Il fallait bien que je me sauve… il fallait bien que je sauve la mémoire de ma mère, que je reste fidèle. Il le fallait, Rachid, n’est-ce pas ? Par dévotion. Par pureté. Par faiblesse peut-être… [Pensif] Et dire que je ne suis même plus certain de la revoir un jour...
(...)
Rassure-toi, Rachid, je vais bientôt conclure, je reprends mes esprits (tu vois, je redeviens adulte et sensé, pas dupe un seul instant, je veux saborder mon lyrisme de pacotille) : en t'écrivant cette nuit, je ne postule rien, je ne te réclame rien, et surtout pas la clé de ton silence. Je m'offre à moi-même un havre de bonheur, quelques bribes de rêve, tapi derrière le treillis des mots comme Salomon guettant l'amour de Galaad… et je t'invite au banquet, grappille ce que tu désires, pour toi-même ou pour l'un de tes jeunes amants - tu vois, je ne suis même plus jaloux ! - c'est tant mieux, et pour toi et pour eux. Pour moi, c'est gratis, juste cette nuit, un surplus de bonheur… Oh ! Ne me reproche pas d'être tenace : cela seul me fait vivre ! Mon utopie est d'incarner mes rêves, de tisser patiemment la douce béatitude dont toi seul es la trame. Quoi qu'il en coûte, pas après pas. Car chaque oui appelle un autre oui, sans regret, sans répit. Le repentir est la seconde faute. C'est vrai, je suis tout prêt à abjurer la foi de mes Pères, je veux jeter l'aube sacrée me brûlant comme la tunique de Nessus. C'est vrai, depuis longtemps, sans oser l'avouer, je ne crois plus au Dieu sadique, lui aussi muet et glacé comme la tombe. Je ne crois même plus à moi-même. Tu vois, Rachid, plus je suis loin de mon troupeau, moins je supporte mes brebis. Ce n’est pas de la colère ni du ressentiment. Juste une sensation d’étrangeté, d’irréel, encore plus vive quand je monte à Paris. Une lassitude, une immense lassitude… Je suis fatigué d’être un croyant fonctionnaire, agent religieux, agent double, druide, bateleur. Je suis fatigué de mes bons pratiquants, zélés conservateurs, en rangs d’oignons, ressuscités à la triste figure et pourtant si braves, si braves… Je suis fatigué de subsister depuis bientôt cinquante ans au moyen d’aumônes, de messes, d’oraisons trafiquées. Je suis fatigué d’ordonner ces Pompes tristes ou joyeuses, baptêmes, épousailles, communions, funérailles, grand Magic Circus de la dévotion populaire, mes bien chers frères ! Je suis fatigué de ces nobles vocables qui tissent mes sermons, Amour, Vérité, Partage, Communion… mots rouillés, mots truqués, si mal incarnés, mots froids et écrasés comme des mégots. Je suis fatigué d’errer dans l’abstraction, l’irréel, l’intemporel ; je veux aimer d’amour pour mieux dire l’Amour, perdre la religion pour retrouver ma foi. Je suis fatigué des fils spirituels, des mioches du caté, des jeunes aseptisés et pas de vrais enfants qui pouffent dans le vent, soufflent sur leur potage et donnent des nuits d’angoisse. Je suis fatigué d’être seul, si seul, dans cet antre morose où l’autre ne m’attend pas, ne me guette pas, ne m’embrasse pas, complice, drôle, artiste et tendre, si tendre. Avant de croire au ciel, pour mieux y croire peut-être, je veux croire à la terre, à la chair, au labeur, à la sueur, à l’ordinaire, à l’éphémère. Je veux croire, je veux croire… mais quoi, j’en crève à la fin. Bon Dieu, ce que je veux c’est être un peu heureux et vivre enfin, vivre, vivre, vivre… [L’homme a crié ce mot plusieurs fois]. Pardon, mon Rachid, je me suis emporté. Je sais, tu n’aimes pas la violence, n’aie pas peur… Ce n’est qu’un mauvais sermon, celui que je ne pourrai jamais prononcer. Et c’est pourtant cela qu’il me fallait écrire. Et proclamer ! Mais que peux-tu comprendre à mes jérémiades ? Et à quoi bon te cracher ces rafales sur cette page ? Quel rapport avec toi ? Avec ta vie ? J’ai froid, j’ai mal. Dans ma poitrine un abysse et mon poignet me brûle à force de griffonner. Et dans ma bouche desséchée, ni goût ni dégoût, rien, aucune sensation : Dieu est insipide. Du vent. Un renvoi. Un relent douceâtre. Une chose est sûre : je ne suis plus son ventriloque professionnel. Je rends mon tablier. La messe est dite ! Ce soir, je veux être l'humble serviteur de Rachid. C'est lui mon seul Sauveur. C'est lui ma démence. Je sais, je suis perdu, ou sauvé… je ne sais plus… mais je veux croire encore : non au futur ni au Royaume des cieux, mais en moi, en toi, en notre bonne étoile. Il n'est jamais trop tard, chéri, n'est-ce pas ? Rejoindre enfin ma patrie charnelle… Seras-tu le bel astre qui charmait les bergers et conduisit les mages ? Puisque la Parole un jour, ou plutôt une nuit, a pris chair dans la terre d'Orient, puisque mes mots aujourd'hui peuvent geindre ou hurler, je crois en cette puissance du verbe qui prend corps et palpite, déracine les montagnes, éblouit les aveugles, ouvre une brèche dans le granit de ton silence !"


Extrait de la pièce "Le Duo des Ténèbres"
de Michel Bellin  (Editions ALNA, avril 2005)


"Un texte fort et dérangeant, donc nécessaire." (ALNA éditeur)



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