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Lettre à Richard Dawkins

Réaction après la lecture du livre "Pour en finir avec Dieu"


par Joël Bienfait  -  20/08/2008




Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.




J'ai lu avec grand intérêt le livre de Richard Dawkins, "Pour en finir avec Dieu", et je lui ai adressé le message suivant, donc je ne sais s'il le recevra (?)

Je pense qu'il peut intéresser les lecteurs de votre site :




Monsieur,


Permettez-moi d’abord de vous dire mon enthousiasme pour votre livre “The God delusion”.

Ensuite, je vous voulais vous soumettre la proposition suivante : je suis athée ET je vais tout à fait dans votre sens ; et c’est pour aller plus loin que vous peut-être dans votre sens que je voudrais vous proposer une distinction qui, à mon avis, est tout à fait importante.

Elle concerne la critique qui vous est faite et que vous rappelez à la fin de l’ouvrage : « Vous êtes exactement aussi fondamentaliste que ceux que vous critiquez.» Et vous même écrivez : “passion pour passion, nous sommes à égalité”. Je ne suis pas d’accord avec vous, mais c’est parce que je vous suis d’enthousiasme sur tout ce que vous dites que je ne peux souscrire ici à votre analyse, et je vais essayer de vous expliquer pourquoi rapidement.

Vous vous basez sur l’évolution ; personnellement, je me base sur ce que j’appelle la Loi. La Loi, c’est fort simple : toute créature, obscurément pour les moins évoluées, consciemment pour l’homme, ne fait jamais que chercher sa meilleure surface d’être, et ne s’emploie qu’à cela. Je ne me suis pas encore penché sur la question, mais c’est tout à fait compatible avec l’évolution darwinienne, et n’est même certainement compatible qu’avec cela. Si bien qu’à partir de là, on peut définir fort simplement l’amour et la violence : l’amour consiste au minimum à respecter et au maximum à favoriser l’Etre, le sien et celui des autres (au sens large : choses, plantes, animaux, humains) ; la violence consiste à porter atteinte, de quelque manière, à l’Etre des autres. (NB. Les Evangiles appellent “amour” l’amour, et “scandale” la violence)

Mais la Loi peut se formuler d’une autre manière : c’est aussi, à chaque instant, le basculement du monde dans l’Autre. Autrement dit, le monde se trouve, à chaque instant, dans un état, et il bascule dans un autre à l’instant suivant. Chaque seconde du monde est unique, entièrement différente de celle qui précède et de celle qui suit, et aucune ne revient jamais — le Temps. Si bien qu’à partir de la Loi, j’ai éléboré deux autres concepts symétriques : le Même et l’Autre. Pourquoi ? Parce que, face au monde, deux attitudes sont possibles pour l’homme : soit ne s’employer qu’à retenir et à figer le Même ; soit accepter et épouser l’Autre. Comme vous le constatez vous-même, la première attitude est celle du croyant ; la seconde est celle du scientifique. Le croyant est quelqu’un qui désire que le monde demeure immuablement tel que son dieu l’a créé à l’origine, ou en tous cas qu’on n’y apporte que le plus petit nombre possible de modifications ; le scientifique accepte le flux ininterrompu de l’Autre et ne s’attache qu’à en essayer d’en comprendre la complexité physique, biologique, physiologique, etc.

Quand un croyant et un scientifique sont face à face, ont-ils la même “passion” à défendre leur point de vue et sont-ils à égalité ? Je soutiens que non. Même si, en surface, la chaleur, la véhémence sont les mêmes, au fond, les deux attitudes sont totalement contraires.

Le croyant est dans la crispation du Même ; le savant est dans l’enthousiasme de l’Autre. Le croyant est dans ce verrouillage qui suppose une interdiction signifiée aux autres de penser autrement que lui s’ils l’osent ; le scientifique est dans cette ouverture qui invite les autres à penser plus loin que lui s’ils le peuvent. Le croyant est dans la menace, le savant dans l’élan. Le croyant penche vers la mort et le savant vers la vie. Ou encore, le croyant est dans la violence et le savant dans l’amour.

Monsieur Dawkins, dans votre livre, vous faites appel plusieurs fois à la conscience : je ne fais jamais rien d’autre avec mon entourage, mes amis ou mes élèves. Comme je crois que la conscience est très largement une collaboration, je fais ici appel à la vôtre.

Oui, Monsieur Dawkins, vous êtes passionné mais passionné de vie, d’amour — de vérité ! quand les croyants fondamentalistes sont passionnés de mort, de violence — et de Mythe ! Si bien que je me permets de vous le demander non comme une faveur à accorder à un lecteur mais comme une mise au point lucide que vous devez à votre discipline : face aux croyants, ne dites plus jamais que “passion pour passion, vous êtes à égalité”.


Un mot pour finir. J’ai cherché en vain dans votre livre une seule allusion à René Girard. Vous ne pouvez pas ne pas le connaître. Un croyant, s’il en fut jamais, mais — cet oxymore n’est possible qu’avec lui — un croyant rationnel. Et une rationalité comme on n’en a jamais mis au service du Mythe, et en particulier, en ce qui le concerne, le Mythe chrétien. Son explication de la “vérité révélée chrétienne” est d’une solidité de roc — et d’une relative simplicité, comparée aux obscurités absconses des théologies. Personnellement, pourtant athée ferme et convaincu, je n’ai jamais été aussi impressionné. Mais je pensais que, puisqu’on a affaire au Mythe, dans ce roc, il devait y avoir des failles. J’y travaille depuis plusieurs années, et ces failles, je les trouve, une à une. Personne ne veut de mon travail parce que je ne fais pas partie de ceux qui ont la parole, mais ces failles, je suis en mesure de les exposer. Je voudrais seulement vous en soumettre une, la plus grosse, une de celles qui illustrent parfaitement votre propos quand vous dites que les fondamentalistes sont dangereux, et une de celles dont je m’étonne qu’elles n’aient suscité aucune réaction (à ma connaissance) alors que ce sont des propos tenus par un star internationale et qu’ils ont une audience universelle.

Pour René Girard, dans son monde habité par Dieu, et un dieu non seulement qui signale sa présence mais qui lui fait signe, dans ce monde, forcément, tout a un sens. Et quand son interlocuteur lui demande : « Même le Sida ?», sans sourciller, René Girard répond, tenez vous bien : « Certainement, ça a un sens. Le sida rappelle que les interdits sexuels des mondes primitifs avaient leur raison d’être.» (Quand ces Choses commenceront, p.126)

Je vous laisse méditer ce propos d’un fondamentaliste qui est un chrétien bon teint et membre de la fort prestigieuse Académie française !


Joël Bienfait



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