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Laïcité : ma conception


par Jean-François Moizan  -  9/10/2012




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Allez, comme on parle beaucoup de laïcité en ce moment, il n'y a pas de raison que je n'y mette pas aussi mon grain de sel !

La problématique de base est : comment faire cohabiter pacifiquement dans un même espace (disons par exemple la France) des personnes de religion différente, voire même des personnes sans religion du tout ?

J'y ajouterai une autre problématique que je traiterai dans un second temps : dans un tel espace de cohabitation, quels peuvent être les droits des parents sur leurs enfants, en matière de religion ?

Commençons donc par la question de la cohabitation. Le passage suivant, extrait de l'article de Wikipédia sur la laïcité, est une bonne base de discussion :
"Dans un État laïque, il ne saurait exister de religion civile, serait-elle négative (proposant comme chez Rousseau l'exclusion des croyances fanatiques, ou imposant l'athéisme comme dans les États communistes). Au sens contemporain, elle est le principe d'unité qui rassemble les hommes d'opinions, religions ou de convictions diverses en une même société politique, distincte par conséquent d'une communauté. Dans une perspective laïque, les croyances et convictions qui ont rapport à la religion (religions proprement dites, croyances sectaires, Déisme, Théisme, Athéisme, Agnosticisme, spiritualités personnelles) ne sont que des opinions privées, sans rapport direct avec la marche de l'État. C'est là considérer la politique comme une affaire humaine, seulement humaine. Réciproquement, la liberté de croyance et de pratique doit être entière; dans les limites de "l'ordre public", l'État s'interdit d'intervenir dans les affaires religieuses, et même de définir ce qui est religion et ce qui ne l'est pas (pas de religions officielles ni même reconnues selon l'article 2 de la loi de 1905)."
Il y a beaucoup de choses intéressantes dans tout ça. Je vais essayer de préciser comment je vois les choses.

Pour commencer, une prémisse. La vérité d'une religion, et les normes de comportement auxquelles sont censés se conformer ses croyants, sont donnés au départ, n'ont pas vocation à être débattus, et peuvent être arbitraires (textes sacrés, coutumes,...). Ils ne sont pas construits par confrontation au monde réel, par un débat contradictoire prenant en compte les faits et les différentes opinions (ce qui pourrait amener à changer de vérité en fonction des découvertes et des débats). Par nature, les vérités et les normes de comportement de deux religions peuvent donc être totalement contradictoires et incompatibles.

Ces contradictions et incompatibilités peuvent être levées par l'affrontement et par la victoire du plus fort (ce qui n'a pas ma préférence), ou bien (ce qui a ma préférence) par le respect par tous de règles communes au sein du même espace de cohabitation. Dans ce dernier cas, rien ne garantit (contrairement au voeu de l'article de Wikipédia) qu'une religion soit totalement libre de sa pratique, dans la mesure où sa pratique peut être contradictoire avec les règles communes.

Pour construire des règles communes, il faut partir du principe que la religion (ou l'absence de religion) est une affaire strictement privée et individuelle, et le reste en découle assez naturellement :
  • Chacun a le droit d'adhérer à la religion (ou l'absence de religion) qu'il veut, ou de créer sa propre religion.
  • Personne ne peut contraindre autrui à adhérer à sa propre religion par la force, ou par un quelconque abus de faiblesse ou de position dominante.
  • Personne ne peut exiger quoique ce soit des autres pour des raisons religieuses. Ce qui cadre le comportement de chacun, c'est la loi commune, et en aucun cas une quelconque religion. Nul n'est censé ignorer la loi, mais personne n'est censé connaître la vérité et les normes de comportement de la religion des autres. Les collectivités publiques (s'adressant par nature à des personnes de n'importe quelle religion, ou sans religion) n'ont pas à tenir compte des exigences particulières d'une personne du fait de sa religion. D'une part parce que cela pourrait être impossible (en cas de demandes contradictoires ou irréalistes), d'autre part parce que, même sans impossibilité, cela a toujours un coût, qu'il serait anormal de faire supporter à la collectivité pour l'intérêt de quelques-uns. Les pratiques individuelles de la foi doivent donc s'adapter au fonctionnement collectif du pays où résident les personnes, et non l'inverse.
  • Aucune collectivité publique ne peut subventionner de culte, de quelque façon que ce soit.
  • Le fonctionnement interne des cultes doit être conforme à la loi.

Quelques conséquences pratiques de tout ceci :
  • L'enseignement au collège des généralités sur les religions n'est pas nécessaire.
  • Aucune cantine scolaire de l'enseignement public, ne doit se tenir pour obligée de proposer tous les jours des menus adaptés à telle ou telle religion.
  • Les collectivités publiques doivent cesser d'entretenir à leur frais les églises catholiques construites avant 1905 (celles construites après 1905 étant déjà entretenues aux frais des catholiques eux-mêmes).
  • Les dons aux associations cultuelles ne doivent plus bénéficier d'aucune déduction fiscale.
  • Les écoles privées sous contrat d'enseignement avec l'Etat ne doivent en aucun cas dispenser d'enseignement religieux. Ce dernier doit être totalement facultatif, effectué par une entité juridiquement distincte, sans aucune subvention d'aucune sorte de la part de l'école privée sous contrat (genre mise à disposition gratuite de locaux, de personnels,...).
  • L'état doit cesser de rémunérer les prêtres d'Alsace-Moselle.
  • Toute religion qui ne respecte pas l'égalité hommes-femmes doit être sanctionnée (à commencer par celles qui interdisent à des femmes d'exercer certaines fonctions au sein du culte).

Il résulte aussi du point de départ (la vérité d'une religion est arbitraire et ne relève pas du débat) le point suivant.

Dans un débat de société portant sur tel ou tel point (euthanasie, mariage homosexuel, contraception, arrêt du nucléaire, thérapie génique,...), l'important est de construire collectivement une vérité qui n'est pas fournie au départ, par un débat contradictoire et après examen de faits. En prenant en compte les données du moment, en essayant d'imaginer les conséquences de telle ou telle décision, etc. Mais pas en se référant à ce qu'a pu en penser Machin il y a X siècles. Ce genre de vérité (construite collectivement par le débat) n'a rien à voir avec la vérité d'une religion, qui est donnée au départ et n'est pas discutable. C'est pourquoi il me semble totalement inutile, voire néfaste, d'accueillir à bras ouverts dans ce type de débats, des représentants de différentes religions. On ne peut pas attendre d'un militant d'une religion qu'il enrichisse de façon constructive et factuelle un débat, alors qu'il est "payé" pour défendre une vérité arbitraire et non discutable.

Voilà pour la question de la cohabitation. J'en viens maintenant à la seconde question : dans un espace de cohabitation de différentes religions (et de l'absence de religion), quels peuvent être les droits des parents sur leurs enfants, en matière de religion ?

D'une façon générale (sans parler de religion), les parents n'ont pas tous les droits sur leurs enfants, ils ont certaines obligations et certains interdits. Les parents doivent envoyer leur enfant à l'école, ne doivent pas les traiter en esclave,... Donc la question de savoir s'il peut y avoir des obligations ou des interdits concernant la religion, se pose. Un parent peut-il tout se permettre vis-à-vis de son enfant concernant la religion ?

Un enfant devrait être considéré comme un adulte en puissance, pas comme un objet destiné à assouvir les désirs de ses parents. Sa religion, ça devrait être son choix éclairé, pas celui de ses parents. Le droit de vote, et d'autres droits, ne sont accordés qu'à l'âge de la majorité ; un métier n'est généralement choisi que vers le fin de l'adolescence, un conjoint à l'entrée dans l'âge adulte ; pourquoi des parents imposeraient-ils une religion à un enfant qui est, par ailleurs, considéré comme suffisamment mature pour voter, se marier ou voguer de ses propres ailes ? Pour moi, la réponse est clairement que les parents doivent se garder d'imposer leur religion à leurs enfants, et les laisser décider par eux-mêmes quand ils seront adultes.

Le choix d'une religion doit être une liberté individuelle, pas une coercition familiale. Pour que cette liberté individuelle puisse s'exercer dans les faits, il faut qu'au moment où un individu est en mesure de prendre sa décision en toute connaissance de cause (donc pas avant qu'il soit adulte), personne n'ait déjà choisi pour lui. Pour des parents, donner une religion à un enfant, ça revient en pratique à le déposséder de sa liberté de choix. Si c'est vos parents qui décident de votre religion, ça veut dire qu'une fois à l'âge adulte, votre religion, ça sera celle de vos parents, ce ne sera pas celle que vous aurez choisi (il est rare qu'on change de religion...). Ce n'est pas admissible dans un pays dont la liberté est une des valeurs fondamentales, et qui reconnaît la liberté de culte sans en privilégier ni en imposer aucun. Imposer une religion à un enfant, c'est clairement un abus de faiblesse. C'est aussi grave qu'un mariage forcé, ou qu'une clause abusive qui vous interdirait de vous désengager d'un abonnement.

Or, il n'y a vraiment aucune urgence à donner une religion à un individu, aucun âge maximum où il faudrait impérativement qu'un individu ait une religion. La religion est une simple option, pas une nécessité, on vit très bien sans.

De plus, en autorisant les parents à décider de la religion de leurs enfants, on fausse la concurrence entre religions, en créant une "rente de situation" pour les religions en place. C'est une "prime à l'ancienneté" qui favorise clairement la médiocrité et la sclérose de l'offre religieuse, pas son amélioration par une saine concurrence. En final, cela va à l'encontre des intérêts des citoyens, qui serait de disposer d'une offre religieuse de qualité et réellement concurrentielle.
Aux religions de se vendre aux adultes, et d'avoir de bons arguments pour prouver qu'elles sont meilleures que leurs concurrentes.

Laisser sa liberté de choix à l'individu, permet au passage de régler la question de savoir, quand deux parents n'ont pas la même religion, laquelle donner à leur enfant. Aucune, mon capitaine ! Laissez-le vivre ! Laissez-le choisir tout seul !

Voilà pourquoi, pour conclure sur ce point, je suis favorable à l'interdiction pure et simple de toute éducation religieuse. C'est le seul moyen efficace de préserver la liberté individuelle de conscience. Je remercie au passage mes parents : bien qu'ayant eu tous deux une éducation catholique, ils ont fait le choix de m'en dispenser. A une échelle plus large, il convient également de saluer le fonctionnement des Amish, où le baptême est conscient et au volontariat, et ne se fait qu'à l'âge de la majorité (les Amish ont d'ailleurs été bien persécutés pour cela...).

Et pour finir cet article, quelques mots sur une pratique ancestrale de certaines religions : la circoncision. Si vous m'avez suivi, vous n'aurez aucun mal à deviner ce que j'en pense. Il s'agit (factuellement) d'une mutilation irréversible, et j'en pense qu'elle ne doit en aucun cas être imposée à un enfant pour un quelconque motif religieux.

En France, elle tombe clairement sous le coup de l'article 16-3 du Code civil :

Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui.

Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir.

Plutôt que d'être tolérée, elle devrait être largement condamnée. En Allemagne, un jugement de juin 2012 d'un tribunal de Cologne, a d'ailleurs condamné cette pratique, pour les mêmes motivations.


Jean-François Moizan
Le blog de Jean-François Moizan



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