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Lama sabachtani

ou la fin d’un pontificat


par Michel Bellin  -  22/04/2010




Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.




Au milieu des scandales qui ne cessent de décrédibiliser le Vatican et d’éclabousser l’Eglise (prétendue vertueuse et toujours donneuse de leçons), j’ai imaginé ce monologue du pape. Plus que jamais seul, en proie à l’insomnie et aux cauchemars (aux remords ?). Manipulé par la Curie et par son entourage le plus proche, le vieux pontife se sent seul, désespérément seul, complètement dépassé par les événements. Pitoyable et pourtant encore déterminé et sûr de son fait puisqu’il est infaillible et omnipotent sous ses frêles apparences. La fin est surprenante et pas tout à fait morale !




"Kyrie eleison... Christe eleison... Seigneur, je n'en peux plus... Ton Serviteur n'en peut plus... Nous n'avons plus la force... Nous n'avons plus l'âge pour ce saint ministère... Trop lourdes, tes clés, Seigneur, trop fragiles les épaules de ton vieux pasteur... prends pitié de nous... nos forces, notre pauvre cœur, notre foi même, notre charité, notre espérance... tout lâche, tout se délite... s'il est possible, éloigne de moi ce Calice... Gianni ? Gianni !... décidément, toujours seul ici !... sans cesse trahi... rien que des courbettes, des simagrées, des yeux en code, des sourires de miel... jamais de main tendue, jamais le moindre élan vraiment fraternel... ce n'est plus possible ! tous aux aguets, à nos trousses... même Angelo qui vient de passer dans le camp adverse... Angelo ! avec tout ce que Nous avons fait pour lui, tout ce que Nous avons enduré... son ascension dans la Curie, du jamais vu !...

Homo homini lupus ! mais à quoi bon à présent... à qui se fier ?... je demande grâce... miserere... laisse à présent, Seigneur, s'en aller ton Serviteur...c'en est trop, c'est assez !... Nunc dimittis servum tuum, Domine... Quelle heure ? Quel jour sommes-nous ? Mardi ? Mercredi ?... En mars ou en avril ? Le matin déjà ?... notre tête se brouille... Nous flottons de plus en plus dans un crachin mortel... je perds pied, je m'enfonce... je me liquéfie dans la nuit, le Saint Père mouille de trouille ! Pontifex Maximus... ah ! rire me fait du bien, rire de moi-même... la nuit, le Souverain Pontife a le droit de rire et c'est très bien... quelle tristesse, quelle débâcle... vanitas vanitatis et omnia vanitas... l'imbécile que je suis ! Stupido ! jamais je n'aurais dû tripler la dose hier soir... C'est l'effet inverse, l'insomnie maximale ! Dieu m'a puni. Stupido ! Stupido ! Stupido ! quel sale môme je suis resté ! J'ai honte, je m'en veux... toujours rebelle, toujours ce foutu orgueil sous mes airs timides... Jamais suffisamment humble... sans cesse notre conversion à reprendre, Dieu seul, premier servi... ma sainteté en berne Domine, non sum dignus...

Est-ce honteux pour le pape d'avoir peur dans le noir ? Comme jadis... Mutter, mutter, sois douce, je t'en supplie, souviens-toi de ton petit Josef... ah ! Transtein, c'est si loin... comme je regrette cette époque, l'Église était si forte, si incontesée... Georg, tu te souviens ? Tu es là Georg ? Reviens, fratello !... Dire qu'ils osent te salir, ils osent prétendre que tu savais pour la chorale... C'est terrifiant ! C'est terrifiant aussi la nuit ici, sais-tu, tu ne peux pas imaginer, Georg, personne ne peut imaginer... dans ce silence sacré, dans ce fatras de marbre, dans ce Temple sépulcral... et, à cause de la dose, c'est l'effet inverse à présent, l'angoisse maximale, le porche du Néant... Deux ou bien trois pilules hier soir ? Les bleues ? Les petites blanches ovales ?... Je ne me souviens plus... et sœur Filomena, elle, qui va sûrement s'en apercevoir tout à l'heure... je hais cette femme ! Comme elle me guette... son museau de musaraigne, son regard acéré, sa manière de tout vérifier, de toujours calculer mes comprimés, compter et recompter... ses fausses manières maternelles, douceur aux lèvres, guimpe rigide, chapelet égrené... c'est sa charité qui me tuera... mulier mulieri lupissima !...

Et notre foutue encyclique qui n'avance pas... jamais "Purissima Ecclesia" ne sera prête pour Pentecôte... si je me levais pour essayer de conclure ?... pas la force, plus rien à conclure... et ipsa mors nihil !... il faudrait qu'Alberto termine le texte dare dare... Alberto ! mais maintenant qu'il a lui aussi rallié le camp des progressistes... tu quoque, mi fili... tous des mous, des tièdes, des ennemis du saint Evangile... décidément seul, désespérément seul, condamné à mourir seul... jeudi ? on est jeudi ? non, pas jeudi, vendredi, on est vendredi demain... plutôt tout à l'heure...Vendredi Saint !!... impossible ! pas déjà ! pas encore l'épreuve suprême... cette année, non, non, je ne peux plus, je n'en peux plus, elle est vraiment trop lourde leur croix... tous ces visages qui vont me cerner, ces pauvres gens hallucinés, ces saintes femmes hystériques, toutes ces caméras, ces micros, ces dagues acérées qui me happent, veulent me transpercer... "Subito santo" ... lui seul, lui seul était digne de la foule, un vrai chef !... Domine, non sum dignus...

Seigneur, Seigneur, je Vous en prie... une seule parole de Vous... appelez-moi, rappelez-moi à Vous, je n'en puis plus... un seul mot... j'ai si peur, j'ai si froid...et sanabitur anima mea... maudit traître, il me poursuit jusque dans mon insomnie, ce Marcial, cet aspic mexicain que Nous avons nourri dans notre sein... chaque jour une nouvelle trahison, un scandale de plus dans sa vie, un autre mioche naturel, un trafic pédophile à présent !!... Et voilà que ses fils spirituels, tous ces Légionnaires du Christ qui par cohortes entières envahissent Rome, me cernent, étouffent le Pape de leur affection si compromettante… Et la Presse qui en rajoute, qui mélange à plaisir la balle et le grain, cette meute de hyènes infâmes... même Carlo pactise... Jamais, jamais Nous n'aurions dû lui confier la direction de "Vidimus Dominum"... trop jeune, pas assez diplomate pour ce site. Notre force, c’est notre diplomatie... c'était... Carlo, quelle erreur ! Seigneur, ton Feu sur la terre, vite, ton glaive de Justice... d'ailleurs avec les Légionnaires, ça va devenir compliqué, voire impossible pour la béatification de "Subito santo"... qui se ressemble s'assemble !... non, Seigneur, je sais, je ne devrais pas appeler mon prédécesseur comme ça devant Vous, c'est entre nous... non, bien sûr que non ! je ne suis pas jaloux de lui, je Vous assure, Seigneur...en fait, il m'écrase... il est omniprésent ici, sa gloire me poursuit, me disqualifie, m'humilie même dans mes rêves...

Ah ! si seulement je pouvais rêver un peu ! Dormir, dormir, juste une demi-heure... dans les verts pâturages, à l'ombre des oliviers... "Vous n'avez pas pu veiller une heure avec moi ? Pas même toi, Simon ?"... Pardon, Seigneur ! Christe eleison... Kyrie, eleison... Non, Nous n'étions pas fait pour cette charge... esthète, esthète oui mais pas athlète, "athlète de Dieu", comme on disait de l'autre, mais Nous, qu'y pouvons-Nous ?... je ne peux plus rien, Seigneur... je ne vaux plus rien, laisse partir ton Serviteur... Domine, non sum dignus... de la douceur, plutôt de la douceur... per favore un peu de tendresse pour le pape, est-ce trop demander ? ... ô Wolfgang, toi seul divin messager, ton miel sur mes ulcères, ta caresse sur mon front brûlant, la Sagesse éternelle du divin Sarastro... der lieb' und Tugend Eigentum !... pardon, ô Christ, pardon, c'est Toi mon seul Sauveur, Toi seul notre Rédempteur... O Jesu dulcis ! O Jesu pie ! ora pro nobis mais non ! non ! c'est décidé, non ! je ne pourrai pas ! qu'Angelo se débrouille ! qu'il bidouille avec le nonce, c'est son boulot ! Non, Nous ne retournerons pas en Espagne en novembre... je le hais trop ce José Luis, ce suppôt de Lucifer, avec toutes ses lois scélérates, ses unions homosexuelles immorales, sa croisade immonde contre la Vie !... Anatema sit !... aïe ! aïe ! ma tête... la colère est mauvaise conseillère, me voilà puni... anéanti... mea maxima culpa... j'ai mal, j'ai si mal... même pas la force de me traîner jusqu'au piano pour jouer l'air de la Flûte... ici Nous n'avons pas le droit la nuit ; pas de musique, niet, il faut dormir, disent-ils, ou prier... miserere... Maudite Filomena !... à présent tout s'embrouille, tout lâche... c'est moi le lâche... non sum dignus non sum dignus non sum dignus... mon cœur cette fois ! à l'aide !... et si je m'étais trompé d'anxiolytiques ? Si on avait changé la composition ! Si la camomille de Filomena...

Parce que je les gêne à présent, parce qu'Angelo et son dicastère veulent faire place nette, rallier la clique des progressistes menée par Godfreed, c'est patent, Nous en avons la preuve... Trahison ! Conspiration ! Heureusement, il me reste ma garde rapprochée... ah ! son port gracieux, cette force virile, un Prince ! c'est en lui que je retrouve mon énergie, pour lui seul que je veux me battre encore... mais usque tandem Seigneur ! Jusqu'à quand pourrai-je tenir ? Immolé avec Toi pour l'éternité. Pour le Salut du monde. Ce monde impie qui nous crucifie jusqu'à la fin des temps. Fiat ! Qu'il soit fait selon Ta volonté... jusqu'à l'agonie, j'y consens... Eli, eli, lama sabachtani... Gianni ? Juste un répit, mon Dieu, un tout petit instant... comme pour vous sur le chemin de croix, la douce Véronique... via dolorosa... Cette femme compatissante a épongé la face de Dieu !... Gianni ! ma Véronique à moi. !... où suis-je ?... qui suis-je ?... elle est si lourde notre croix sur le chemin du Golgotha et lorsque... où donc est-il passé ? Gianni ? Ne me laisse pas, je t'en prie... tu n'es pas déjà parti au moins ? Viens, viens, mia aurora... viens près de moi, je t'en supplie, je suis trop seul... tellement perdu... je ne me sens vraiment pas bien cette nuit... reviens... j'ai peur... sans toi, chéri, le pape a si froid !"



Fiévreuse et impatiente, la main décharnée a longtemps cherché le cordon dans l'ombre. La lumière s'est faite enfin. Le vieil homme en tremblant se penche... Mais devant l'alcôve, sur le prie-Dieu, l'uniforme chamarré et l'étincelant morion n'allument plus de buisson ardent.


Michel Bellin



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