Enseignement public, enseignement privé : même combat ?
par Evelyne Bigou -  23/03/2007
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La situation catastrophique de l'emploi générée par l'économie libérale de marché a incité les gouvernements successifs a en imputer les causes essentielles à l'enseignement. Certes, l'Education Nationale se doit maintenant de réduire totalement l'illettrisme, mais aussi d'assurer une formation professionnelle et citoyenne. Ce que les responsables politiques oublient de préciser, c'est que ces 3 conditions réunies n'empêcheront pas le chômage; en effet, sur 4 millions de chômeurs, 300 000 offres d'emplois ne sont pas pourvues faute de gens non qualifiés. Ces dernières peuvent être satisfaites si l'Education assure la formation correspondante et donc ne laisse pas sortir entre autres du système scolaire 150 000 élèves sans diplôme. Pour les 3 millions 700 000 chômeurs restants, l'Education Nationale n'en peut rien!!! Elle doit donc être considérée comme participant à la formation de l'individu.
Pour cela, enseignements public et privé ont une contribution tout à fait différente, utile par sa pluralité; cette spécificité, le privé la garde contre vents et marées, mais les responsables politiques ont effacé celle du public.
Spécificités de l'enseignement privé sous contrat (à 95% catholique)
Quelques spécificités :
Possibilité de choisir les familles- non obligation d'appliquer la loi sur le voile ni celle sur l'intégration des enfants handicapés - très faible implantation en zones difficile (ZEP) - financement propre en plus de celui - injuste (cf plus bas) - de l'Etat...
Spécificité principale :
C'est le fameux "caractère propre", lié à la liberté pédagogique, c'est-à-dire le prosélytisme, point commun aux 3 monothéismes.
En effet, l'enseignement catholique affirme (sur internet) : "L'Enseignement catholique ne peut pas ne pas proposer aux élèves, tout en respectant leur liberté de conscience, la richesse du message évangélique. Il est clair que proposer et exposer n'est pas imposer".
Il propose donc la réponse catholique (l'existence d'un dieu et les valeurs associées) et même y prédispose les élèves. Comment ? De 2 façons :
en ne proposant pas sur le même mode d'autres réponses possibles
en liant la pédagogie à cette vision : "L'Enseignement Il est intéressant de voir comment un professeur (de mathématiques) respectueux de ses élèves, peut mettre à leur disposition, à l'intérieur de son enseignement, une ouverture vers le spirituel" (cf p.1 de "Grain de mathématiques", rubrique "Mathématiques" dans : www. enseignement-et-religion.org ; la page 12 est encore beaucoup plus explicite).
L'enseignement privé confessionnel en général, catholique en particulier, contribue à la formation de l'individu, mais la différence fondamentale avec le public, c'est que la formation y est orientée spirituellement ; elle ne développe donc pas l'autonomie réelle de l'élève et en particulier celle de son jugement.
Il n'y a rien à dire quant à l'exercice de ce prosélytisme : nous sommes en démocratie ; mais que celui-ci soit financé par l'Etat, (rappelez-vous que, surtout à partir les années 1959, ce financement public assure le fonctionnement, l'investissement de ces établissements, leurs intervenants, la formation, la rémunération et la retraite de leurs enseignants, tout ceci à égalité avec le public,….), et qui plus est par l'Etat laïque, NON !!! Pourquoi ? Cela crée une inégalité de fait dans le traitement entre la religion majoritaire (catholique) et les autres religions d'une part, entre les croyants et non-croyants d'autre part.
Spécificités de l'enseignement public
Quelques spécificités :
L'enseignement public se doit d'accueillir tous les élèves, quelles que soient leurs différences. Il reçoit, outre la population "traditionnelle", les élèves non francophones, ceux en grande difficulté (CLIS), les élèves handicapés ; il est très majoritairement implanté dans les ZEP : sur tout le territoire, 5000 établissements publics pour 17 établissements catholiques.
Spécificité principale :
C'est la philosophie qui le sous-tend : la laïcité et sa concrétisation incontournable.
Elle est le grand héritage des Lumières. Or, celles-ci constituent (cf Todorov dans son livre : "L'esprit des Lumières"), "ce grand basculement qui plus que tout autre est responsable de notre identité présente". Qu'on le veuille ou non !!!
Pour assurer la liberté et l'égalité, valeurs consubstantielles à la laïcité, l'enseignement public doit :
être indépendant de toute option politique, spirituelle, économique
affirmer les droits fondamentaux des personnes et les valeurs de notre République
les enseigner
les pratiquer :
a) comment ?
- par la transmission objective de la connaissance, par le plaisir d'y accéder au cours de la scolarité mais aussi plus tard
- par le développement du jugement : exercice de la raison et de l'esprit critique au cours de la scolarité mais aussi plus tard
b) pourquoi ?
Parce que la liberté de conscience implique la liberté de choix, mais aussi les moyens pour exercer ce choix, c'est-à-dire le développement de l'&autonomie du futur adulte - cf. b) et a) -. Là est en outre la différence avec l'enseignement confessionnel.
Ainsi, le futur citoyen pourra comprendre la société dans laquelle il vit et élaborer tout au long de sa vie, ses propres réponses. Le sens que le futur citoyen donnera entre autres à sa vie spirituelle n'est donc pas l'apanage des religions comme on veut nous le faire croire, car celles-ci proposent uniquement leur réponse et le chemin pour en être convaincu, comme on l'a vu plus haut (p. 12 de "Grain de mathématique"). Pour le futur adulte, il est à la fois exaltant et parfois angoissant d'exercer ce travail de liberté, de construire ses choix, plutôt que d'en suivre certains auxquels il aura été prédisposé et (ou) sur lesquels il n'aura pas exercé son jugement.
Malheureusement, ce gouvernement surtout, a désagrégé l'enseignement public, favorisé l'enseignement confessionnel et vidé le 1er de son essence même : la laïcité. Comment ?
En orientant les programmes :
les Lumières sont absentes en tant que telles dans la culture humaniste du socle commun (cf BO de juillet 2006), alors que la Bible et le Coran y sont envisagés par l'étude de certains de leurs textes
l'enseignement du fait religieux y est inscrit, alors que le fait athée ne l'est pas
surtout celui de la laïcité ne prime pas sur les précédents
En maintenant le privilège, l'anachronisme et le financement public des aumôneries dans et hors des établissements publics pour leurs élèves volontaires
Surtout en y multipliant les obligations, et donc les problèmes liés à celles-ci, sans octroyer les moyens correspondants.
Les enseignants oeuvrant au plus pressé sont contraints de rester "le nez sur le guidon". Travailler dans l'urgence ou à court terme n'est pas, à long terme, synonyme de vie ; il est synonyme de mort. La laïcité n'est plus qu'une notion lointaine pour eux. Ceci est d'autant plus accentué que ce gouvernement ne l'utilise plus que médiatiquement, et comme bouclier, non comme idéal à atteindre ; d'où le lent et inexorabledéclin de celle-ci.
Pendant ce temps, le privé, bénéficiant de la concurrence déloyale orchestrée politiquement, continue à exercer son caractère propre, c'est-à-dire le prosélytisme.
Depuis quelques années, le déséquilibre est amorcé et s'accélère; les élus et responsables politiques actuels et les futurs citoyens n'ont plus et n'auront pas les bases nécessaires pour résister aux pressions religieuses ni redresser la situation.
Conclusion
Nous qui savons que le vivre ensemble en paix commence par la réalisation de la laïcité dans l'enseignement public d'abord, mais aussi dans la société civile, nous devons exiger des gouvernements qu'ils aient le courage d'une part d'en affirmer la grandeur et la justice, d'autre part de la défendre en redonnant d'abord aux enseignants du public leur véritable mission, ensuite en repensant l'attribution des finances publiques pour assurer concrètement la séparation des ordres (Etat - Eglises, sphère publique - sphère privée).
Ceci est une nécessité pour notre société en mutation, pour nos jeunes, pour l'Europe qui a mis en place une certaine liberté et la démocratie, mais qui n'est toujours pas prête à admettre l'égalité en droits entre les différentes options spirituelles, c'est-à-dire l'égalité sur ce qui touche à l'essentiel de l'être, pour les femmes et les hommes enfin qui n'en bénéficient aucunement dans leur propre pays et qui puisent la force de leur combat dans l'immense espoir que suscite notre idéal laïque.