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Dieu, mon encombrant coloc


par Michel Bellin  -  21/11/2012




Les textes publiés dans Vos contributions (rouge foncé) ne représentent que l'opinion de leurs auteurs.




Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre… et devint mon colocataire. Durant de longues années. Au début, c’était l’entente cordiale, nous étions cul et chemise, bite et surplis. Puis, les choses se sont gâtées : Dieu devenait bruyant, envahissant, fouinant dans mes affaires. Il n’avait qu’un mot à la bouche : "Faut pas !". Même lorsque je quittais l’appartement, j’avais l’impression de le retrouver partout : à la télé, sur le net, chez mon libraire, dans les dépêches, dans les croisades, les bombes, les tortures planétaires… Un méga squatter universel ! J’ai alors décidé de rompre, en douceur.

Comme on n’a plus le droit d’expulser, surtout quand vient l’hiver, j’ai résilié le bail. En fait, j’avais hébergé Dieu par amitié, par faiblesse ; nous nous étions rendu quelques menus services durant ma jeunesse, c’était un grand ami de la famille, surtout de maman… Parti sans laisser d’adresse. Bon vent ! Je me suis senti soulagé, enfin seul. Trop seul peut-être. Je tentai une annonce pour retrouver un locataire, plutôt une colocataire. Le texte, je me souviens, était fort alléchant, dans la rubrique "bonnes affaires" : "Abbé défroqué souhaitant se mettre en ménage avec Belle du Seigneur échangerait bon dieu vivant contre bon vieux divan." Aucun succès. Pas une seule réponse. Il n’empêche, j’avais dit adieu à Dieu, je respirais. Je croyais respirer…

En fait, il s’est incrusté chez moi. Toujours son œil de cyclope ! Partout son gibet mortifère ! Et des poils de vieux bouc en veux-tu en voilà, partout sur le canapé ou dans le lavabo ! Partout une odeur rance, des traces de moisi, du plomb dans les tapisseries. Je me sentais mal, pas esseulé, surtout pas, mais intoxiqué. J’ai alors tout essayé, en commençant par le débaptiser. Comme "Dieu" c’est non seulement pompeux mais aussi passe-partout, ça court les rues et les geôles depuis la nuit des temps, bref je l’ai surnommé Pouet-Pouet. En toute simplicité. C’est familier, marrant et surtout moins impressionnant. Le dieu omnipotent est un gueux omnoproutant : il bégaie et il pète. Pouet-Pouet ! C’est formidiable, non ? Du coup, mon méga squatter s’est dégonflé comme une baudruche ou une capote flapie. Ouf ! Il était temps. N’empêche, même avec son surnom, mon ex-coloc continuait de me faire la morale, sans vouloir me lâcher la grappe. Et toujours autour de moi et à cause de son influence néfaste, partout et toujours la même actualité internationale, obsédante autant que consternante : bombes, fatwas, croisades, guérillas, tortures planétaires… pour la défaite de l’esprit et la mort de l’Homme.

J’ai alors repeint l’appartement, plusieurs fois, j’ai fait appel aux experts pour la décontamination, le syndic a même accepté de ravaler entièrement la façade. J’ai fini par porter mon âme au pressing, pas la boutique de Carremouth, non, un pressing haut de gamme traitant les cuirs délicats, moi qui croyais avoir la peau dure. Rien à faire. Toujours ces traces, cette odeur aliénante, cet arrière-goût de moisi entre encens et sacristie, sang séché et prépuces raccourcis. Pouah ! Entêtant ce relent ! Débilitant. Putain de bordel de Pouet-Pouet ! C’est alors que, de guerre lasse, je décidai de composer, de faire avec. Bien m’en a pris, je suis sauvé aujourd’hui, je crois de nouveau à la transsubstantiation des saintes espèces : j’ai transformé ma détestation en inspiration, mon tabou en atout. Mon sexe et mon Dieu. Mon sexe EST mon Dieu. Dominus meus et Deus meus ! Nathanaël, ne distingue pas Dieu du bonheur et place tout ton bonheur dans l’instant. André Gide est ainsi devenu mon évangéliste préféré, Onfray mon théologien, Chamfort mon professeur d’éthique et ma devise essentiellement hédoniste et phallocentrée : "Nic et nunc".

Mais une telle émancipation, c’est une très longue histoire… On ne se libère pas en quelques mois de noviciat ! De l’intoxication maternelle à la libération personnelle, du coup de foudre au coup de grisou, du coup de foutre au coup de bambou… Toutefois, comme dans la golden que cette salope d’Ève tendit à Adam, chez moi aussi le vers était déjà dans le fruit. Depuis très longtemps. Depuis tout petit. Mon gène de survie ! En tout cas, tout jeune clerc, j’avais une foi heureuse, béate mais singulière, enjouée et on ne peut plus sincère, une foi à déplacer des montagnes, à grimper au mât de cocagne, à réinventer à mon seul profit le Sermon sur la montagne. Tout jeune adulte, encore puceau mais plein d’ardeur, je revivais le credo de mon enfance lorsque, les yeux brouillés de larmes, agenouillé devant le lit maternel, les yeux fixés sur le crucifix d’ivoire où tremblotait un brin de buis, je murmurais, extatique : "Mon Dieu, je crois fermement toutes les vérités que Vous nous avez révélées, car Vous ne pouvez ni Vous tromper ni nous tromper." Oui, entre Dieu et moi, entre mon corps et Dieu, malgré des apparences de guéguerre, malgré notre guérilla d’opérette, c’était vivant, c’était vibrant. À la vie à la mort. Aucun hiatus. Motus et bite cousue. Mon corps et Lui, nous fusionnions. Mon sexe était Son sanctuaire. Sans culpabilité, sans effort, dans l’ardeur. Il faut dire que mes études supérieures m’avaient dépucelé.

Car lorsque je devins vicaire en Savoie, le soir dans ma cellule – comme aujourd’hui, Nathanaël, dans ma chambrette boulonnaise mais, Dieu merci, c’est toi qui me tiens compagnie – j’aimais souvent me contempler nu. Oui, j’ai bien noté : nu comme un ver en mon froid presbytère. (C’est depuis cette période, cher O***, que je suis si frileux et fuis les courants d’air !) Dénudé non par vice, mais par gloire et pur contentement, par pure transparence non plus à l’Essence mais aux sens, tout naturellement, spontanément, ingénument : je trouvais déjà le corps masculin noble et harmonieux, sa trique majestueuse, sa semence baptismale. La plus fameuse réussite du Créateur ! Ce membre viril, à géométrie variable, pure merveille de vitalité et d’ingéniosité, était déjà pour moi le couronnement du sixième jour sans encore connaître l’extase : "Dieu vit que tout cela était bon." Je ne comprenais pas, mais vraiment pas, qu’on pût me faire des aveux cramoisis avant de quémander une absolution. (D’ailleurs, dès ma troisième année de sacerdoce, je fis la grève de l’absolution, puis de la virginité de Marie, puis de son Assomption, puis de son Immaculée Conception, puis du Souverain Poncif, puis de ses dentelles au point de croix, puis de ses Bulles impayables, puis de sa prétendue Infaillibilité… et c’est ainsi que, de restrictions mentales en révoltes fondamentales, ce fut le début de la fin et le commencement de ma vie.)

Retour au cabanon visqueux de foutre peccamineux et d’inutile remords - lequel est, comme chacun sait, "la seconde faute". Masturbation - chuchotait l’ombre au jeune prêtre effaré - parties honteuses, vilaines manières, pensées impures volontaires… Quelle hypocrisie ! Que mépris suspect ! Lèche-cul ou suce-pet, aucun aveu ne rachetait l’autre : partout chez mes paroissiens la même déviance, la même culpabilité, la même détestation de soi-même, la même introspection farouche et dégoûtante. Et un tourment de pardon, une foi compulsive en l’absolution, cet imparable et dérisoire gri-gri digne de la Mère Denis. Quant à moi (rira bien qui rira le dernier), selon la théologie de la Libération que j’entendais mettre en honneur, le corps était sacré, le plaisir ingénu, le sexe décomplexé, en majesté, gorgé de vie, étant bien entendu ni vu ni connu le royal sujet par excellence, Temple inexpugnable, couronnement de l’espèce, parfait équilibre des contraires – souplesse et dureté, fragilité et pugnacité, productivité et gratuité, défaillance et renaissance – l’Alpha et l’Oméga de l’Homme achevé, récapitulant à lui seul tous les paradoxes, archétypes, fantasmes épiphanies… bref, en deux mots comme en mille, l’homme vivant c’est l’homme bandant à la gloire du Tout-Puissant ! Péchez en Paix, mon fils, et cédez derechef à la tentation de peur qu’elle ne s’éloigne.

Mon sexe est mon Dieu ! Fusion et rédemption. Plaisir et communion. Un tel prodige méritait bien une action de grâces : une hymne inédite. Encore novice, j’avais pensé dénicher ce morceau choisi dans le vieux texte hébraïque, quelque part du côté de Salomon et des épithalames égyptiens, mais une fois de plus ma quête avait été vaine : inspirée ou non, la Bible n’est guère mutine ! Il me fallut donc improviser, ce que je fis volontiers, sous l’inspiration du St Esprit, une nuit de pleine lune où le Paraclet soufflait à décorner des bœufs et cette première oraison jaculatoire (du latin jaculari, "lancer" dans la définition du p’tit Robert, bien plus bandant que La Rousse et si accueillant, lui, quand on l’entrouvre : "prière courte et fervente"). Bref, foin d’étymologie, cette litanie devint par la suite et aujourd’hui encore mon hymne favorite, la fine fleur de mon bréviaire. Certes, dans mon exégèse perso - pardonnez-moi, mon Père - je m’étais permis ici ou là une pointe d’anachronisme un rien croquignolet, mais la Faculté lyonnaise sise entre Rhône et Saône m’avait enseigné que l’Eglise, pour réussir son aggiornamento, devait de toute urgence réhabiliter la chair, revivifier l’’espoir, rafraîchir ses grimoires, trouver sous le latin le suc originaire, bref, rajeunir et traduire sans trahir. In pricipio erat verbum… Ce que je fis, spontanément, avec allégresse, une nuit de printemps et, soir après soir, dans mon célibatorium morose, mon Cantique des Cantiques revisité couronnait ma journée et me laissait béat, extatique, crucifié de ferveur.

Je me revois, sur ma natte à prière, si jeune, si fervent, quasiment christique… les mots ce soir encore bourgeonnent sur mes lèvres et me filent la trique :

Ave, sceptre royal, crosse papale, cierge pascal, goupillon de nacre, torche brûlante, serpent de bronze, corne d’abondance, mas de cocagne, merguez ensoleillée, banane flambée, canne à sucre, sucre candi, qu’en dis-tu ?, sabre au clair, clair de lune, cigare du Pharaon, obélisque de Louksor, souche de Jessé, tour de Babel, tour de Pise, bâton de Moïse, arc d’Ulysse, javelot d’Absalon, échelle de Jacob, pieu du Mont Golgotha, portique du Paradis, érable de vie, Phallus Pantocrator, très douce et sainte Verge, salve !

Telle était ma litanie, telle était ma croyance : des pieds à la tête et jusqu’au bout des ongles, depuis le rose du gland jusqu’au gris-bleu des yeux, ma teub tendue et mon âme mollette célébraient nuitamment le Très Saint Mystère Orgasmique, ma seule divinité une et trine : Élection ! Érection ! Résurrection !


Extrait des "Oraisons jaculatoires"
Fantasia para la siesta

(Texte revu et complété en novembre 2012)
E-book en exclusivité sur YouScribe et/ou Amazon.fr (kindle)

Lire "LES ORAISONS JACULATOIRES"


Michel Bellin



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