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Quelle histoire !
Voilà un pontife romain, en mission touristico-pastorale dans sa chère Bavière natale, qui prononce une homélie visant à la reconquête idéologique du continent européen menacé, selon lui, par deux graves dangers : la concurrence de l'Islam et la désacralisation des esprits…
Et pour mieux argumenter sa démonstration, le pape se lance dans un rappel de jugements carrément islamophobes énoncés au 14ème siècle par un empereur byzantin justement oublié. Conséquemment à ce réquisitoire anti-musulman condamnant l'usage de la violence dans la propagation de la foi mahométane, Benoît XVI n'hésite pas à se lancer dans une célébration des vertus humanistes de la religion chrétienne, fondamentalement imprégnée de Raison dans toutes ses manifestations !
Rappel historique pour rappel historique, aurons-nous la cruauté d'évoquer les siècles d'oppressions meurtrières dont le catholicisme s'est naguère rendu coupable ?
Pour en revenir au discours pontifical de Ratisbonne, voici en quoi réside la double imposture, qui n'est pas superficielle et dont la mauvaise foi scandalise tous les esprits libres et ouverts, pour peu qu'ils ne s'attachent pas qu'aux seules apparences :
Se fondant sur d'indiscutables aspects coercitifs et oppresseurs d'une certaine tradition musulmane (dont nous n'avons jamais cessé de dénoncer les pratiques sociétales inacceptables sans nier toutefois les apports culturels passés de l'Islam), le pontife romain ose présenter l'historicité du christianisme catholique comme "mariant le meilleur de la raison au meilleur de la foi" ! (Daniel Schneidermann dans Libération)
On comprend mieux le véritable contexte de cette apparente controverse : il ne s'agit de rien d'autre, pour le Pape et le Vatican, que de lancer un véritable appel à une nouvelle croisade, apparemment contre l'Islam, mais surtout contre la modernité qui refuse les subordinations culturelles. Son message vise surtout à promouvoir une rechristianisation cléricale de l'Europe en drapant la religion catholique dans l'apparence usurpée et mensongère de la Raison, cyniquement récupérée après vingt siècles de prosélytisme irrationnel et de combats rétrogrades.
Prendre conscience de cette stratégie implicite n'est pas agresser les croyants, qu'ils soient chrétiens ou musulmans, c'est au contraire respecter toutes les formes de spiritualités en les distinguant des entreprises de dominations.
Le discours de Ratisbonne n'était pas de la part du Pape une maladresse ou un simple dérapage verbal : le Pontife romain n'est ni un niais ni un homme seul ; chacune de ses paroles est soigneusement pesée, sous la garantie de sa prétendue infaillibilité dogmatique. En fait l'opinion mondiale a assisté à la relance d'une stratégie de "reconquista" catholique dirigée, certes contre l'Islam, mais aussi et surtout contre la modernité de la spiritualité laïque, dont la Papauté essaye de s'affubler au prix d'une grossière captation illégitime de la Raison.
Nous ne devons pas prendre cet événement à la légère : si les laïques ont l'imprudence de s'en amuser en disant : "quand les religieux s'entre-déchirent, ils favorisent l'épanouissement de nos valeurs ; comptons les coups qu'ils s'assènent, nous en tirerons profit", ils sont peut-être dans le vrai ; mais c'est passer à côté de ce que le Vatican prépare, à savoir une croisade européenne et mondiale de prosélytisme reconquérant, en même temps qu'il suscite le renforcement d'un islamisme radical dont il est le concurrent et qu'il cherche à récupérer en se posant en défenseur des valeurs occidentales.
La laïcité se situe au-dessus des croyances ; elle ne cherche pas à détruire la foi tolérante : elle combat toutes les formes de cléricalisme, dont l'objectif est de dominer les sociétés, quelle qu'en soit la nature confessionnelle, chrétienne ou islamique.
Et c'est parce qu'elle se fonde réellement sur la raison, qu'elle a toujours défendue et promue, qu'il faut, en ces circonstances de controverses faussement philosophiques, rester lucides et vigilants.
Au moment où, dans les antichambres des pouvoirs politico-religieux, on remet à l'étude un nouveau projet de constitution européenne toujours aussi anti-laïque, l'opinion publique doit prendre conscience des dangers que font courir à la paix civile internationale les conflits inter-religieux réactivés.
Plus que jamais s'avère indispensable l'avènement d'une Laïcité sans frontières.