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Asmodée, démon de la fureur


par Eric Timmermans  -  23/03/2010




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1. Asmodée : étymologie.

Asmodée est la forme grecque du nom d’un démon biblique provenant soit du perse azmuden (=tenter), soit de l’hébreu schâmad (=perdre ou destructeur). L’origine perse semble la plus probable. Ainsi, dans le livre de l’Avesta Aêshmô-daêva, Aêshmadaêva ou encore Aeshma =la Fureur : Le Dieu du Mal, p. 16) apparaît bien comme l’un des démons du parsisme (*). C’est un esprit démoniaque qui, pour les Perses, personnifiait la Colère, la Fureur. Il est dit d’ailleurs que les Daêva (démons) décidèrent de s’unir à Aêshma pour corrompre par elle l’existence des hommes. En hébreu, on le nomme Asmodaï, Asmoday ou Ashmedaï, ce qui signifie "Celui qui fait périr". Cela fait référence à l’histoire d’Asmodée telle qu’elle nous l’est présentée dans le Livre de Tobie.

2. Asmodée dans le Livre de Tobie.

Sarah (ou Sarra), une fille de Raguel (ou Ragouël), vivait à Ecbatane, une ville des Mèdes et elle avait été mariée successivement à sept maris qui tous avaient trouvé la mort. Aussi l’accusa-t-on bientôt d’être elle-même responsable de leur mort.

En vérité, les maris de Sarah avaient été tués par le démon Asmodée (Tobie 3 : 8).

Crampon : "Car elle avait été successivement donnée en mariage à sept maris, et un démon, nommé Asmodée, les avait fait mourir aussitôt qu’ils étaient venus auprès d’elle."

Jérusalem : "Il faut savoir qu’elle avait été donnée sept fois en mariage, et qu’Asmodée, le pire des démons, avait tué ses maris l’un après l’autre, avant qu’ils se soient unis à elle comme de bons époux. Et la servante de dire : "Oui, c’est toi qui tues tes maris ! En voilà déjà sept à qui tu as été donnée, et tu n’as pas eu de chance une seule fois !"

L’archange Rafaël fut donc envoyé pour délivrer Sarah du terrible démon (Tobie 3 : 17 ou 24-25) et pour lui permettre de se marier à Tobie, fils de Tobit. Tobie expulsa finalement le démon en l’obligeant à respirer la fumée des entrailles brûlées d’un poisson.

Crampon (3 : 24-25) : "Ces deux supplications furent exaucées en même temps devant la gloire du Dieu souverain ; et le saint ange du Seigneur, Raphaël, fut envoyé pour guérir Tobie et Sara, dont les prières avaient été prononcées en même temps en présence du Seigneur."

Jérusalem (3 : 17) : "Et Raphaël fut envoyé pour les guérir tous les deux. Il devait enlever les taches blanches des yeux de Tobit, pour qu’il voie de ses yeux la lumière de Dieu ; et il devait donner Sarra, fille de Ragouël, en épouse à Tobie, fils de Tobit, et la dégager d’Asmodée, le pire des démons. Car c’est à Tobie qu’elle revenait de droit, avant tous les autres prétendants. A ce moment-là, Tobit rentrait de la cour dans la maison ; et Sarra, fille de Ragouël, de son côté, était en train de descendre de la chambre."

Tobie expulsa finalement le démon en l’obligeant à respirer la fumée des entrailles brûlées d’un poisson. Ce moyen pour chasser le démon fut donné par Rafaël à Tobie dans les versets qui évoquent la halte au bord du Tigre et la capture d’un poisson qui avait tenté de dévorer Tobie ou, à tout le moins, d’avaler son pied (Tobie 6 : 8-9).

Crampon : "L’ange lui répondit : "Si tu poses sur des charbons une petite partie du cœur, la fumée qui s’en exhale chasse toute espèce de démons, soit d’un homme, soit d’une femme, en sorte qu’ils ne peuvent plus s’en approcher. Et le fiel sert à oindre les yeux couverts d’une taie, et il les guérit."

Jérusalem : "Il répondit : "On brûle le cœur et le foie du poisson, et leur fumée s’emploie dans le cas d’un homme ou d’une femme, que tourmente un démon ou un esprit malin : toute espèce de malaise disparaît définitivement sans laisser aucune trace. Quant au fiel, il sert d’onguent pour les yeux, quand on a des taches blanches sur l’œil : il n’y a plus qu’à souffler sur les taches pour les guérir."

Asmodée s’enfuit alors en Egypte par les airs où Rafaël le poursuivit avant de l’enchaîner dans le désert de la Haute-Egypte (Tobie 8 : 2-3).

Tobie 8 : 2-3 :
-Crampon : "Tobie, se ressouvenant des paroles de l’ange, tira de son sac une partie du foie et la posa sur des charbons ardents. Alors l’ange Raphaël saisit le démon et l’enchaîna dans le désert de la Haute-Egypte."

-Jérusalem : "Tobie se souvint des conseils de Raphaël, il prit son sac, il en tira le cœur et le foie du poisson, et il en mit sur les braises de l’encens. L’odeur du poisson incommoda le démon, qui s’enfuit par les airs jusqu’en Egypte. Raphaël l’y poursuivit, l’entrava et le garrotta sur-le-champ."

Ce récit a inspiré à Rembrandt l’œuvre intitulée L’Ange Raphaël quittant Tobit et sa famille (exposé au Louvre) et dans le Paradis perdu, John Milton fait également référence à cette légende biblique qui met en scène l’ange Raphaël apprenant à Tobie le moyen de chasser Asmodée : "Il en était plus satisfait que ne le fut Asmodée de la fumée du poisson qui le chassa, quoique amoureux, d’auprès de l’épouse du fils de Tobie ; la vengeance le força de fuir de la Médie jusqu’en Egypte, où il fut fortement enchaîné." (IV, 168-171).

3. Asmodée dans la tradition hébraïque

3.1. La tradition hébraïque considère le plus souvent qu’Asmodée-Ashmedaï "est le fils de Na’amah, la sœur de Tubal-Caïn, mais certains pensent qu’il est le fils du roi David et d’Agrath, la reine des démons." (La kabbale, G. Scholem, p.492).

3.2. On dit également que si Lilith la Vieille est l’épouse de Samaël, Lilith la Jeune, elle, serait l’épouse d’Ashmedaï.

3.3. L’on dit aussi qu’Asmodée serait l’un des sept démons Shedim engendrés par l’union d’Adam et Lilith.

3.4. Asmodée-Ashmedaï, qui est également considéré selon certaines sources comme l’ange gardien d’Ishmael, apparaît dans la Kabbale juive sous les traits d’un "roi des démons". Il est même précisé que les démons qui sont sous la domination d’Ashmedaï et qui sont d’ailleurs susceptibles d’aider les hommes et de leur accorder des faveurs, "reconnaissent la Torah et sont considérés comme des "démons juifs" (La kabbale, G. Sholem, p.490)… Ainsi faut-il croire qu’Asmodée-Ashmodaï est parvenu à se libérer des chaînes dont l’archange Rafaël avait usé pour l’emprisonner en Egypte, vu qu’une tradition hébraïque considère que ce "roi des démons" mourut en martyr avec les juifs de Mayence, en 1096 ! Une autre thèse kabbaliste considère "qu’Ashmedaï est simplement le titre de la fonction du roi des démons, exactement comme Pharaon est le titre de la fonction du roi d’Egypte, et numériquement équivalent à Pharaon." (La kabbale, G. Scholem, p.490).

3.5. Dans un texte rabbinique nommé le Testament de Salomon, Asmodée apparaît comme un ennemi de l’union conjugale.

3.6. On dit aussi qu’Asmodée parvînt à détrôner le roi Salomon lui-même, mais que ce dernier, grand magicien, finit par le vaincre et à l’obliger à bâtir le temple de Jérusalem sans utiliser un seul instrument métallique.

3.7. On voit encore en Asmodée un Ange de la destruction.

3.8. Asmodée serait aussi l’antique serpent qui séduisit Eve dans le jardin d’Eden.

3.9. Asmodée est parfois confondu avec Samaël et apparaît, dans les croyances populaires, comme un démon de la luxure, cruel et débauché.

4. Asmodée dans la démonologie chrétienne et visualisation.

4.1. Dans le Tractatus de confessionibus maleficorum et sagarum, Peter Binsfeld (1540-1603), évêque suffragant de Trèves, prétend qu’à chaque péché capital correspond un démon particulier. A la Luxure correspond Asmodée. Il sème donc l’erreur et la dissipation, le trouble dans les ménages et, jaloux des jeunes filles, il met tout en œuvre pour faire échouer leur mariage, ainsi qu’il le fit, comme nous l’avons vu, avec Sarah. Les théologiens chrétiens opposent à neuf ordres d’anges, neuf ordres de démons. Ils désignent Asmodée comme le chef de l’Ordre des Vengeurs des crimes.

4.2. Dans sa Pseudomonarchia daemonum, Jean Wier le décrit comme un roi puissant doté de trois têtes : la première ressemble à celle d’un taureau, la seconde à celle d’un homme et la troisième à celle d’un bélier. Il est doté d’une queue de serpent et de pieds d’oie. Son haleine est enflammée. Il chevauche un dragon et porte dans ses mains un étendard et une lance. C’est vraisemblablement de cette description haute en couleur que l’on s’est inspiré pour représenter Asmodée dans la version illustrée du Dictionnaire infernal (1863) de Collin de Plancy.

4.3. On dit qu’Asmodée, que l’on considère comme le surintendant des maisons de jeu de l’Enfer, commande à 72 (ou 40) légions de démons. Il est dit, à ce sujet, que des noms ont été donnés aux chefs des armées (ou légions) des démons mais non aux membres de celles-ci, voilà pourquoi on ne parlera que d’ "Asmodée et ses armées", par exemple, sans mention des innombrables démons placés sous son commandement. On dit aussi d’Asmodée qu’il enseigne aux hommes la manière de se rendre invisibles, de même qu’il leur apprend la géométrie, l’arithmétique, l’astronomie et les arts mécaniques.

4.4. Au 17ème siècle, dans le contexte de l’affaire Gaufridy, affaire de possession diabolique au moins aussi célèbre que celle de Loudun, Asmodée apparaît comme l’un des 6.666 démons ( !) qui possèdent Madeleine Bavent. L’on soumit aussi Louis Gaufridy à l’épreuve de la recherche des marques diaboliques. Les zélés inquisiteurs ne tardèrent évidemment pas à en trouver autour des parties génitales dudit Gaufridy et d’en attribuer l’origine à Asmodée lui-même, démon qui apparaissait, dans cette énième affaire de cruelle supercherie religieuse, comme étant du plus haut rang…

4.5. En outre, à la même époque, nous retrouvons Asmodée dans l’affaire des religieuses possédées de Loudun (1632-1634)… Sous le nom d’Asmodée des Trônes, le démon possède, avec huit comparses également démoniaques, la Supérieure du Couvent des Ursulines, sœur Jeanne des Anges, alias Jeanne de Belciel qui, dans sa confession, dit notamment d’Asmodée que "ce malheureux esprit se présentait à moi en des formes horribles, et, comme il voyait que je n’y prenais pas plaisir par le secours de la grâce, il me battait avec une telle violence que souvent j’en étais toute meurtrie." Mais Asmodée fut finalement exorcisé le 8 octobre 1632. Dans la même affaire, on voit Asmodée intervenir dans le cas de possession de sœur Agnès. Le démon occupait, dit-on, une place sous le cœur de cette religieuse. Son signe de sortie fut ordonné par l’exorciste car le démon refusait de signer sa sortie, à savoir, dessiner une fleur de Lys sur la main gauche de la religieuse. On prétendit même avoir retrouvé une lettre d’Asmodée signant ladite sortie !

4.6. A la Bibliothèque nationale de Paris est conservé un manuscrit, daté de 1729, qui n’est autre qu’un pacte signé par l’ "Archidiable Asmodée" lui-même ! (L’Ange déchu, Centini, p. 127).

4.7. Avec Astaroth, Asmodée sera invoqué au cours d’une messe noire, menée pour le compte de la marquise de Montespan par l’abbé Guibourg, qui qualifiera ces deux démons de "princes de l’amitié" et qui leur sacrifiera un enfant, afin que ladite marquise de Montespan soit la seule bénéficiaire des attentions du roi Louis XIV.

4.8. Ajoutons que le nom d’Asmodée est repris dans la liste des démons établie par l’Eglise au canon 7 du Concile de Braga (560-563).


(*) Voir également, au sujet de la mythologie perse, mon texte "Ahriman ou la naissance du Mal", mis en ligne sur ce site le 20 janvier 2010, de même que mon article intitulé "Mithra Sol Invictus", mis en ligne, le 24 décembre 2009, sur lagrangeducherchant.over-blog.com


Eric Timmermans
Bruxelles, le 23 mars 2010




Sources : Bible de Jérusalem, Cerf, 1998 / Bible du chanoine Crampon, Société de Saint Jean l’Evangéliste, 1939 / Dictionnaire du Diable, Roland Villeneuve, Omnibus, 1998 / Dictionnaire du diable, des démons et sorciers, Pierre Ripert, Maxi-Poche Références, 2003 / Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Pierre Norma, Maxi-Poche Références, 2001 / La kabbale, Gershom Scholem, Cerf, 1998 / L’Ange déchu, M. Centini, Editions de Vecchi, 2004 / Le Dieu du Mal, Hervé Rousseau, PUF, 1963 / Le Paradis perdu, John Milton, NRF-Gallimard, 2007 / Le Prince de ce monde, Nahema-Nephtys et Anubis, Editions Savoir pour Être, 1993 / Les Diables de Loudun, Aldous Huxley, Plon, 1979 / Livres des superstitions (mythes, croyances et légendes), Eloïse Mozzani, Robert Laffont, Coll. "Bouquins", 1995.



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